L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XXIe siècle

De Lamentations de Jérémie.

En 2000, paraît la Bible Parole de vie qui connaîtra plusieurs éditions#176. Le texte qui est le résultat d'une traduction en "français fondamental", le vocabulaire étant volontairement restreint à 3 000 mots, en est le suivant :

1 1Hélas ! la voici abandonnée,
cette ville autrefois si peuplée !
Elle est comme une veuve,
celle qui était si célèbre
parmi tous les peuples.
La voilà esclave,
celle qui était une reine
parmi les provinces !
2Elle passe ses nuits à pleurer,
et ses joues sont couvertes de larmes.
Parmi ceux qui l'aimaient,
personne ne la console.
Tous ses amis l'ont trahie,
ils sont maintenant ses ennemis.


En 2000, paraît également une traduction du texte de Eikha par le Rav Yehoshua Ra'hamim Dufour#177.

1 Hélas! Comme elle est assise solitaire,
la ville si peuplée autrefois,
et maintenant comme une veuve !
Immense parmi les nations,
princesse parmi les Etats,
elle est réduite à payer tribut !
2 Elle pleure sans cesse la nuit,
et ses larmes couvrent ses joues.
Elle n'a pas de consolateur
parmi tous ceux qui l'aimaient.
Tous ses amis l'ont trahie
et sont devenus ses ennemis.


La littérature française entretient ainsi avec la Bible une relation paradoxale et plus riche que les autres littératures européennes mais, comme le dit Paul Claudel en 1936, malheureusement les Bibles de langue française ne nous donnent que des transcriptions pauvres et plates, sans résonance et sans poésie. Il est vrai que les traducteurs français n'associaient jamais d'écrivains contemporains. Trop souvent les traductions de la Bible en français sont issues d'une pensée de la langue, des langues, ou d'une pensée de l'histoire et de l'archéologie des textes, rarement, voire jamais, d'une pensée de la littérature, est-il dit dans la partie introductive de la Bible. C'est chose faite avec la Bible [des écrivains] depuis 2001 avec le travail collectif#178 entre plusieurs exégètes et écrivains francophones, une cinquantaine, de part et d'autre de l'Atlantique, afin de retrouver la légèreté d'une langue écrite et parlée dans un monde en devenir. L'originalité repose donc sur la constitution de binômes composés d'un exégète et d'un écrivain. Le résultat est quelquefois décapant.

Aleph. Comment !
Elle habite en solitude, la ville remplie de peuple ?
Elle est comme une veuve :
Grande parmi les nations, princesse parmi les provinces,
La voilà livrée à mépris.
Beth. A pleurer : elle pleure dans la nuit
Et ses pleurs sont sur ses joues.
Pour elle, pas de consolateur, parmi ceux qui l'aiment,
Tous ses proches l'ont trahie,
Devenus pour elle ennemis.


La Nouvelle Bible Segond (NBS)#179, bible protestante, qui paraît en 2002, ne présente pas de différences avec la version précédente de 1874 tout au moins en ce qui concerne les textes étudiés dans le présent chapitre.

La Bible d'Alexandrie LXX, traduction du grec de la Septante préparée dans le cadre du Centre Lenain de Tillemont de l'université Paris-Sorbonne, unité associée au CNRS, comprend dans le volume 25.2, paru en 2005 aux Editions du Cerf à Paris, les livres de Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie#180. L'introduction et les notes figurant en tête du livre des Lamentations ont été préparées par Isabelle Assan-Dhôte et Jacqueline Moatti-Fine#181.

Alph « Comme elle s'est assise solitaire, la cité qui s'était multipliée en peuples! Elle est devenue comme une veuve, elle le qui s'était multipliée parmi les nations, princesse parmi les provinces, elle est devenue tributaire ! Tout au long de la nuit, elle pleure, et ses larmes ruissellent sur ses joues.
Beth Elle a pleuré, pleuré dans la nuit, et ses larmes sur ses joues, et il n'y a personne qui la console, parmi tous ceux qui l'aimaient ; tous ceux qui la chérissaient l'ont trahie, ils sont devenus pour elle des ennemis.


La Nouvelle King James Française#182 de 2006 présente une version classique du texte des Lamentations :

Comment est assise solitaire, la ville qui était si peuplée!
Comment est-elle devenue comme une veuve!
Celle qui était grande parmi les nations, et princesse parmi les provinces,
comment est-elle devenue tributaire!
Elle pleure beaucoup durant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues;
parmi tous ses amants, elle n'en a aucun pour la consoler;
tous ses amis ont agi perfidement avec elle,
ils sont devenus ses ennemis.


Dans l'essai biographie du prophète, Jérémie le prophète, l'homme en son temps#183¸ figurent les Complaintes sur la destruction de Jérusalem#184. Ces textes, écrits par Eric Dereeper, abordent dans leur contexte historique les textes des Livres bibliques.

1 Hélas ! Elle est assise solitaire, cette ville si grande ! Elle est devenue comme une veuve ! Elle, si grande parmi les nations, princesse sur les provinces, elle est astreinte à la corvée !
2 Elle passe la nuit à pleurer, ses joues ruissellent de larmes. De tous ceux qui l'aimaient, personne ne la console ; tous ses amis l'ont trahie, ils sont devenus ses ennemis.


Il faut prendre conscience que ces quelques pages ne traduisent qu'une brève évolution des textes bibliques des Lamentations de Jérémie. Ce chapitre n'a pas la prétention de décrire l'histoire de la bible.

Bien entendu, les Lamentations de Jérémie ont été reprises dans différentes langues régionales françaises. C'est l'exemple même du jersiais, langue minoritaire de Jersey, qui vient des langues d'oil, du normand, du guernesiais, du picard, du gallo et du ouallon. Et si cette langue est intéressante à plus d'un titre, c'est qu'elle est encore parlée au XXe siècle jusqu'au bord de la Loire.

Les deux premiers versets, écrits en jersiais par le poète Geraint Jennings en juin 2000#185, se présentent comme suit :

La ville est veuve - la grise campangne mouothit.
Les nièrs c'mîns vithent coumme des ribans dé deu
Copant les bouais'sies d'if, dé tchêne, d'louothi,
D'bouôlias et d'fau. Prannons d'la fouaille pouor l'feu,
Satchant lé tondre. La tendresse dé nos tchoeurs
Alleunm'tha les rouoges veues d'touos nos carrefours.
Lé brit dû du trafi sonn'na nos plieurs.
Nos lèrmes sont à laver hors nos amours.


Ces lamentations n'ont pas été mises en musique !

Chaque Leçon des Ténèbres se termine sur le texte latin, Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum, tiré du Livre du prophète Osée (14,2).

Du Jerusalem, Jerusalem convertissez-vous au Seigneur vostre Dieu du XVIIIe au Allez reviens Israël jusqu'à Yhwh ton Dieu. Tu es tombé, c'est de ta faute du XXe, en passant par Reviens pécheur à ton Dieu qui t'appelle#186 du XIXe, ce texte revient comme une ritournelle destinée à inciter à la conversion des âmes comme le rappelait récemment Paul VI dans son homélie de canonisation des martyrs d'Ouganda du XIXe siècle lorsque Charles Lwanga protégea les pages des avances homosexuelles du roi du Baganda, Mwanga#187. Parlant de ce crime, Paul VI recourt à Jérémie car combien ne reconnaîtraient pas la même confusion, le chaos culturel, l'idolâtrie, la licence, l'injustice des jours de Jérémie dans le milieu dans lequel tout prêtre, aujourd'hui en 1996, doit vivre, se déplacer, avoir son existence ? Combien, à un moment ou à un autre, ne pourraient pas faire l'écho au sentiment d'abandon complet de Jérémie, ou de solitude existentielle ? Combien n'a jamais souffert de cette frustration de Jérémie, celle de prêcher à des sourds ?#188

La réforme du Concile du Vatican de 1962 a pratiquement supprimé les Lamentations de Jérémie à l'exception d'une partie de l'Oratio (versets 5:1 à 5:7 et 5:15 à 5:21) maintenue à la Prière matinale du Samedi Saint.


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176. Société biblique française, Villiers-le-Bel, 2005, F-Pn, 2005- 315427, pp. 993 et s.
177. http://www.modia.org/priere/eikha.html
178. La Bible, Nouvelle traduction. Paris, Montréal. Bayard, Médiaspaul. 2001, pp. 1669 et s., traduction par François Bon et Jean-Pierre Prévost.
179. Ed. Vida, Nîmes, 2002, F-Pn, 2002-127444, pp. 725 et s.
180. La traduction grecque ayant été réalisée entre 150 et 250 avant notre ère présente un texte plus ancien que le manuscrit hébraïque qui sert habituellement aux autres traduction.
181. Les notes, fort longues, n'ont pas été reprises.
182. http://concordance.keo.in/king_james_francaise/index.html
183. Jérémie et Les lamentations de Jérémie, Eric Dereeper, 313 p., Ouvrage non édité, Paris, 2005.
184. http://users.skynet.be/evangile/Prop/Lmnt/Lmnt.htm
185. http://www.societe-jersiaise.org/geraint/jerriais/lament.html
186. Etienne-Nicolas Méhul.
187. En 1885, Mwanga ordonne l’exécution de l’évêque anglican Hannington et de 50 chrétiens, tant catholiques (dont les fameux "23 saints martyrs de l’Ouganda") que protestants : ils sont brûlés vifs.
188. Cardinal John O'Connor, Archevêque de New York (http://www.vatican.va).

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