Comment on remplace les cloches

De Lamentations de Jérémie.

Depuis longtemps, l'ingéniosité du clergé a pourvu au remplacement des cloches pendant les deux jours de la semaine sainte où elles restent muettes. Il nous a paru intéressant de rechercher les instruments affectés communément à cet usage dans diverses localités, soit en France, soit à l'étranger. Énumérons-les d'abord, en procédant graduellement du simple au compliqué :

  • le maillet en bois (n° 1), instrument le plus rudimentaire utilisé à frapper tout objet sonore se trouvant à la portée de la main ;
  • le battoir (n° 2), appelé ainsi en raison de sa forme, qui n'est autre qu'une planchette à manche, que bat, suivant la cadence du mouvement plus ou moins rapide, une tablette fixée d'un côté par des charnières ;
  • la claquette (n° 3) que tout le monde à vu manier par nos marchands ambulants de gauffres et de plaisirs, est une planchette de bois dur, sur laquelle, quand on l'agite, vient frapper avec un bruit sec une pièce de fer semblable à la poignée d'un volet de boutique#1 ;
  • les systèmes (n° 4 & 5 ) [qui] se rapprochent des castagnettes : ils consistent, en principe en une lamelle de bois fixe, que frappent deux lamelles mobiles, articulées près de la base du manche ;
  • la crécelle (n° 6 & 7) [dont le] mécanisme fondamental n'est un secret pour personne… Une languette, dont l'extrémité libre caresse une roue dentée suffit pour produire un grincement aigu de cri-cri exaspéré. Perfectionnée pour un usage moins frivole, la crécelle augmente de dimensions, substitue les pièces de métal aux pièces de bois, dissimule dans une gaine ses terribles rouages. Mieux encore : les languettes se multiplient et s'accouplent, frottant sur un cylindre cannelé, muni d'une manivelle. Alors, c'est une boîte à musique, un orgue de Barbarie, sans airs, sans notes, sévissant "à blanc", si l'on peut dire, mais non pas d'une façon inoffensive pour les oreilles délicates.

Dresser une nomenclature complète de tous ces "substituts portatifs", baptisés de noms différents et variant de forme, suivant les pays serait difficile mais surtout vain. Quelques spécimens typiques observés çà et là, fourniront d'ailleurs une documentation suffisante à ceux que ne tente pas le démon familier des collectionneurs. Et, chose curieuse, on remarquera que parfois la différence entre les instruments est en raison inverse de la distance entre les localités où ils sont usités.

Par exemple, on trouve en Corse comme en Autriche les simples bâtons, plus ou moins longs. En Espagne, ils sont remplacés par les maillets.

L'usage de la claquette est surtout répandu à l'étranger. On la rencontre en Italie, en Espagne, en Autriche. Á Florence, elle s'appelle tabella et crepitacolo, à Padoue et à Rovigo battarella, à Naples trocola, à Palerme croccola, dans les Abruzzes tric-trac, etc. A Sienne, la tablette porte, fixés par des chaînes, deux boulets en fer dont le choc produit un bruit retentissant ; en Autriche, elle est armée de marteau. En Wallonie, les crécelles ont pour noms crin-crin, rétchétchém, rakète, tartèle, scalète, ragalète, clabet, tchake-mârtê, crêylète, moulignau, roubèl, clitchètes, cascayètes, etc., pour ne prendre au hasard que quelques noms dans une longue liste dressées par Roger Pinon#2.

C'est surtout la grande crécelle revêtue d'une boîte qui est en honneur à Rome et à Sienne. Dans la première de ces villes, elle porte le nom de raganetta, dans la seconde, celui de battistero. Elle s'appelle également regola, à cause du mouvement "réglé" que la manivelle permet d'imprimer à la roue dentée.

La croccola de Palerme et la matraca espagnole, sortes de castagnettes à manche affectent une forme à peu près identique.

En général, ces instruments divers fonctionnent à des heures fixes : le matin, avant la messe ; à midi, au moment de l'Angelus ; deux ou trois fois l'après-midi, pour annoncer les offices, et à la fin de la journée. Dans certains pays, on ne les emploie qu'à l'intérieur des églises ; dans d'autres, les instrumentistes opèrent sur les clochers ou sur la voie publique.

Source : L'Illustration n° 2825, pp. 287 et s., 17 avril 1897.


Retour au sommaire



1. Á la cathédrale d'Angers, la claquette était composée dans les années 50 de deux planchettes en bois reliées par une charnière que l'enfant de chœur refermait sèchement pour produire un bruit sec.
2. Roger Pinon, Les crécelles de la Semaine sainte à Fleurus en Hainaut, Estretto da: STUDI in onore di Carmelina Naselli, Vol. I., Universita di Catania, Facoltà di Lettere e Filosofia, 1968, p. 299.

Outils personnels