Nouveau Breviaire de l'Ordre de Clugny

De Lamentations de Jérémie.

Office de la Semaine-sainte contenu dans le nouveau Breviaire de l'Ordre de Clugny#1

D. Claude. C'est encore rendre inutile & comme anéantir la raison du Chandelier triangulaire, dont la maniere d'éteindre les cierges fait cependant aujourd'huy une des grandes cérémonies de la Semaine-sainte. Il paroît même là, à prendre la chose physiquement, je ne sçai quel contretemps, car au lieu qu'autrefois quand on récitoit ces Matines la nuit, on n'éteignoit les cierges qu'à mesure que le jour venoit, paulatim (ce qui arrivoit toûjours à Laudes, & quelquefois même au dernier Nocturne, suivant la longueur ou le breveté des nuits) presentement c'est tout le contraire ; & on les éteint & avec cela toutes les lampes, quand la nuit approche, tout juste dans le temps qu'on en a plus affaire. Mais ces Eglises-là apparemment ont leurs raisons, sinon litterales, du moins spirituelles & allégoriques.

D. Pierre. Vous me faites faire attention à des choses à quoy je ne pensois gueres. Mais à propos de cierges, combien en allumerons-nous donc presentement que nous dirons à Tenebres trois Pseaumes plus que nous n'en disions, sans compter les Cantiques du troisiéme Nocturne ?

D. Claude. Quinze qu'il y avoit déja, & six que nous ajoûtons, c'est vingt & un qu'il faudra allumer.

D. Pierre. Et que deviendra la raison mysterieuse des quinze ? D. Claude. Pour moy je ne sçache point de raison mysterieuse de ce nombre. Il y en peut neanmoins avoir ; en effet quelques Rituels#2 appellent ces cierges candelæ mysteriales. Mais il en faut donc trouver aussi pour les nombres de neuf#3, de douze#4, de treize#5, de quinze#6, de vingt-quatre#7, de vingt-cinq#8, de vingt-six#9, de quarante-quatre#10, &c. en usage en differentes Eglises. En tout cas, s'il en étoit necessaire, nous n'en manquerions pas pour vingt-& un qui est le nombre septenaire repeté trois fois ; ou, si l'on veut, car tout cela est arbitraire, le ternaire repeté sept fois.

D. Pierre. Mais quelle est donc la veritable raison de ces cierges ? & comment expliquez-vous tout cela ?

D. Claude. Je crois vous avoir déja insinué ce qui paroît à peu près qu'on en pourroit penser. Je vous dis donc que comme dans l'Office de la nuit il y avoit toûjours grand nombre de cierges, particulierement dans les nuits solennelles, telles que celles du Jeudy, du Vendredy & du Samedy-saint (Ecclesia sit omni lumine decorata, dit l'Ordre Romain, en parlant de ces trois nuits-là) & qu'on éteignoit ces cierges peu à peu, paulatim ; on observera d'abord pour garder dans cette extinction quelque proportion & quelque égalité, paulatim & æqualiter#11, d'en éteindre une partie à chaque Nocturne, par exemple, environ le quart#2, & même le tiers#13 dans les Eglises, comme celle de Rome, où on les éteignoit tous avant Laudes, & où il ne restoit pour cet Office que des lampes, l'on éteignoit aussi successivement. Dans la suite pour faire la chose avec encore plus d'ordre, & y proceder même avec ceremonie (car dans l'Eglise tout se fait en ceremonie, jusqu'à du feu nouveau, témoin ce qui se pratique encore par-tout le Samedy-saint, excepté chez les Chartreux) on détermina de les éteindre un à un ; & cela en quelques Eglises à chaque Pseaume#4 ; en d'autres, à chaque Antienne#15 ; en d'autres, à chaque Leçon#16 ; en d'autres, à chaque Pseaume & à chaque Leçon#17 ; en d'autres, à chaque Pseaume & à chaque Leçon#18 ; en d'autres, à chaque Pseaume & à chaque Répons#19 ; & enfin à d'autres, à chaque Pseaume, à chaque Leçon, à chaque Antienne & à chaque Répons#20 ; chaque Eglise, plus ou moins, suivant le nombre de ses cierges : lequel par-là fut reglé & demeura enfin plus ordinairement fixé ou à 15. sur le pied des Pseaume des Matines & des Laudes, ou à 24. sur le pied encore des Leçons de Matines ; & ainsi du reste.

D. P. Il ne me reste qu'une difficulté sur tout ce que vous venez de dire. Je comprens assez qu'à Laudes, comme c'étoit un Office du matin, on pouvoit y diminuer le nombre des lumieres, & mesme les éteindre toutes, en effet inutiles, particulierement sur la fin, c'est-à-dire, vers le Benedictus. Je vous passeray encore, si vous voulez, le troisiéme Nocturne, qu'on ne peut douter qui n'attrapât quelquefois le jour. Mais que dans la profonde nuit, c'est-à-dire, au premier & au second Nocturne, on éteignît des cierges, par la raison que le jour venoit, comme il paroit que vous voulez l'insinuer, je vous avouë que c'est ce que j'ay de la peine à me persuader.

D. C. La verité est que tout cela n'est point sans difficulté. Mais pour en sortir, il faut supposer que cette extinction des lumieres n'a d'abord été pratiquée qu'à Laudes ; & que ce n'a été que dans la suite, & particulierement depuis que Laudes furent jointes à Matines, que cette extinction venant à se tourner en pure cérémonie, elle fut portée jusques sur tout cet Office, & commença dès le premier Nocturne, quoique recité dans la profonde nuit.

D. P. Ce que vous dites-là est quelque chose ; mais je voudrois des preuves qu'on n'ait éteint des cierges qu'à Laudes, sans en éteindre à Matines : car rien n'établiroit mieux, ce me semble, ce que vous venez de supposer, ni ne justifieroit davantage la raison physique & litterale que vous prétendez donner à cette ceremonie, qui est que la nuit venant à se dissiper, on n'avoit plus besoin d'aucune clarté que de celle du jour.

D. C. Les Chartreux#21 aussi bien que tout l'Ordre de Citeaux#22 n'en éteignent point encore à Matines ces jours-là ; mais seulement à Laudes, & cela, vers le dernier Pseaume ou le Benedictus. Il en étoit de même dans la Congregation de Bursfeld#23 jusques-à l'introduction du Breviaire Monastique, c'est-à-dire, jusques vers le milieu de ce siecle. Les Carmes avoient toûjours observé jusqu'au commencement de ce siecle, ou tout au plus jusqu'à la fin du dernier, de n'éteindre des cierges, ces trois jours-là, qu'à Laudes, sçavoir à la fin de chaque Antienne#24 nous avons avec cela l'Eglise de S. Martin de Tours, où tous les jours de l'année on ne diminuë encore le luminaire qu'au dernier Pseaume de Laudes. Et on voit que dans l'Eglise de Paris, ces trois jours-là tout le fort de l'extinction se fait à Laudes, où durant le Cantique un éteint tous les cierges de la grosse lampe ; au Laudate, ceux des petites ; & au Benedictus, ceux l'Autel. Tout cela prouve, comme vous voyez, que cette ceremonie ne regardoit d'abord que Laudes.

D. P. Je suis assez content sur cela. Mais pourriez-vous appliquer icy le principe que vous avez établi en parlant de la conformité de l'Office de la Semaine sainte avec ceux des autres temps de l'année ? & est-il vray de dire que ce qui est encore en usage à l'égard des cierges, les trois derniers jours de cette Semaine, n'est qu'un reste de ce qui s'observoit autrefois dans toutes les nuits solemnelles ?

D. C. Cela est trés-vraysemblable ; car en plusieurs Eglises [Tours, Chartres, &c.] on ne remarque encore nulle difference à et égard, entre ces trois jours & les trois autres jours solemnels de l'année ; & je viens de vous dire que dans l'Eglise de S. Martin de Tours on diminuë encore tous les jours pendant Laudes le nombre des lumieres ; marque que sur cela il n'y avoit rien de singulier ces jours-là.

D. P. En voila assez pour les cierges. La digression même paroit un peu longue. Dans le fonds je vois qu'à l'égard du nombre de ceux qui doivent être allumez pendant Tenebres, la chose est assez indiférente. Ainsi nous déterminant par le nombre de Pseaumes ou des Cantiques, comme on a toûjours observé jusqu'icy dans Clugny, il faut nécessairement en allumer 21.


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1. Explication simple, litterale et historique des cérémonies de l'eglise. Par dom claude de vert, Trésorier de l'Eglise de Clugny, Visiteur de l'Ordre de Clugny en la Province de France, & Vicaire Général de S. A. E. Monseigneur le Cardinal de Boüillon, Doyen du Sacré College, Abbé Général de Clugny, &c. tome quatrieme contenant Lee Remarques sur les Rubriques de la Messe. A paris Chez florentin delaulne, ruë S. Jacques, à l'Empereur, M. DCCXIII. Avec Privilege du Roy & Approbations. [1706], pp. 403 et s.
2. S. Aubert de Cambray.
3. Nevers.
4. Le Mans.
5. Paris, Rheims, Angers, les Jacobins.
6. Tout ce qui suit l'usage moderne de Rome.
7. Cambray, S. Quentin.
8. Evreux.
9. Amiens.
10. Coutances.
11. S. Ben. de Dijon.
12. Amiens, S. Vandrille, Evreux, Fecan.
13. Ord. Rom. Montcass. Corb.
14. Clugny, Chesal-Ben, toutes celles qui suivent l'usage moderne de Rome.
15. S. Vinc. de Laon, Bourgueil.
16. Noyon, le Mans, Nevers.
17. Rouen, Vienne en Daufiné, Bayeux, Avranches, Premontré.
18. S. Quentin.
19. Dol, le Bec, S.Ben sur Loire, Salisbury.
20. Coutances, Chartres.
21. Stat. antiq. 1.p. c. 13. §. 4.
22. Rit. Cist. au. 1689.
23. Cæremon. c. 35.
24. Quinque candelæ ad Tenebras accendantur, quæ in fine quinque Antiphonarum de Laudibus singulæ extinguuntur. Brev. des Carmes de l'an 1542.

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