Propos sur l'Office des Ténèbres

De Lamentations de Jérémie.

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Les Lamentations de Jérémie sont écrites en vers hébraïques et chaque verset est distingué par une lettre de l'alphabet hébreu, comme pour soulager la mémoire : cela se trouve en plusieurs autres endroits de la Bible comme aux Psaumes 25 (24), 37 (36), 111 (110), 112 (111), 119 (118) et 145 (144) et au chapitre 31, versets 10-31 des Proverbes.
Les Lamentations de Jérémie sont écrites en vers hébraïques et chaque verset est distingué par une lettre de l'alphabet hébreu, comme pour soulager la mémoire : cela se trouve en plusieurs autres endroits de la Bible comme aux Psaumes 25 (24), 37 (36), 111 (110), 112 (111), 119 (118) et 145 (144) et au chapitre 31, versets 10-31 des Proverbes.

Version du 2 juillet 2010 à 07:17

Lorsqu'on parle de l'Office des Ténèbres, un certain nombre d'images stéréotypées viennent aussitôt à l'esprit, images venant le plus souvent des on-dit colportés incessamment au fil des années. Quelle base peut-on donner à ces représentations ? Quel crédit peut-on apporter ? Et surtout quel rapport avec la liturgie ?


Les Lamentations de Jérémie sont écrites en vers hébraïques et chaque verset est distingué par une lettre de l'alphabet hébreu, comme pour soulager la mémoire : cela se trouve en plusieurs autres endroits de la Bible comme aux Psaumes 25 (24), 37 (36), 111 (110), 112 (111), 119 (118) et 145 (144) et au chapitre 31, versets 10-31 des Proverbes. Les lettres hébraïques ont été mis en musique, non pour aider les fidèles dans le décompte des lamentations puisque aussi bien elles n'étaient pas toutes récitées ni chantées, mais sans doute pour plusieurs raisons dont celles de laisser libre cours à la virtuosité du compositeur ou tout simplement de servir d'interlude entre deux versets. Claude de Vert (1645-1708), vicaire général de l'ordre de saint Benoît, aborde la question dans un ouvrage concernant l'explication simple, littérale et historique des cérémonies de l'Eglise (pendant un séjour à Rome, il fut frappé de l'éclat et de la pompe des cérémonies du culte catholique, et il forma le projet d'en rechercher l'origine ), et y consacre une réflexion tout à fait personnelle mais sans doute parfaitement justifiée. Á propos des lettres hébraïques, nous n'avons garde de les y laisser, puisqu'il est expressément marqué dans les anciennes Coutumes de l'Ordre qu'on les omettoit ; illaque alphabeta omnino tacemus. Les Statuts de S. Lanfranc portent la même chose, & disent qu'on lira ces Leçons sine alphabetis præscriptis. Et il paroit même par une infinité d'Ordinaires & de Cérémoniaux qu'on en usoit ainsi dans tout l'Ordre de S. Benoist. Cisteaux ni Prémontré n'avoit jamais admis cet alphabet avant les derniers changemens arrivez dans sa discipline : & les Chartreux ne connoissent point encore ces lettres, non plus que les Eglises de Lyon, de Vienne en Dauphiné, & quelques-autres [Sens, Orleans, Narbonne, S. Quentin]. L'on peut, si l'on veut, les marquer pour la distinction des versets ; mais de les lire & de les prononcer, cela paroit assez inutile. Nous ne voyons pas que dans le Beati immaculati [psaume 118 ou 119], où les mêmes lettres divisent les Octonaires, on s'avise de les y lire . De plus, ces lettres sont chantées et c'est ce que Claude de Vert n'a jamais admis ni jamais pu comprendre : car enfin ces lettres aleph, beth, ghimel, daleth, &c. n'étant-là que pour tenir lieu de chifre & de nombre, & marquer la distinction des versets, comme qui mettroit, 1, 2, 3, 4, &c. & le chant n'ayant été institué que pour exprimer par la voix, le sens des paroles : comment a-t-on pu donner des airs & des tons à des mots qui ne signifient rien, & qui ne presentent aucune idée . M. Grancolas (1660-1732), docteur de la Sorbonne, constate à propos des acrostiches que les Leçons se lisent depuis long-tems avec chant, & avec l'Alphabet des Hébreux, puisque Lanfranc défend à ses Moines de les chanter, & ordonne de les dire sans Alphabet : Sine cantu & solitis Alphabetis . L'analyse de la musique consacrée aux Lamentations de Jérémie, quelle que soit l'époque, quel que soit le pays, montre que les œuvres n'incluent pas obligatoirement les lettres acrostiches comme de même, elles ne traitent pas, d'ailleurs, l'ensemble des textes des Lamentations prévus par le Breviarum Romanum de 1568. Ceci laisserait penser que la polyphonie devait alterner avec le chant grégorien, voire ne remplacer qu'un verset, dans le but de contribuer à une palette harmonique assez large à des psalmodies assez monotones dans son ensemble.

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Sommaire

L'extinction des cierges

Au XIIe siècle, Rome adopte les coutumes gauloises d'extinction des lumières au cours des trois jours saints, mais c'est une coutume qui remonte dès le VIIIe siècle. Pendant l'office, on éteint un à un les cierges de cera communi de l'hericia placé habituellement du côté droit de l'autel, après la lecture de chaque psaume (9 pour les Matines, 5 pour les Laudes), tantôt d'un côté tantôt de l'autre, commençant par le côté du Chœur : Pour cet Office aujourd'hui & les 2 jours suivans, on n'allume que 15 cierges. Dans les Eglises qui n'ont pas de luminaire aux côtés de l'Autel, l'on place contre les marches de l'Autel au milieu, un grand Chandelier triangulaire, propre à tenir 15 Cierges. A la fin de chaque Pseaume on éteint un des Cierges, tantôt d'un côté tantôt de l'autre, commençant par le côté du Choeur qui est en semaine , lesquels representent les douze Apostres & les trois Maries, qui perdirent leur foy, & quitterent leur Maistre l'un après l'autre . A la fin de l'office, un seul éclaire encore la communauté . Il est placé derrière l'autel : il symboliserait le corps de Jésus-Christ après sa crucifixion. Après un temps de silence, ce cierge est rapporté pour signifier la victoire de la lumière sur les ténèbres, la résurrection de Jésus-Christ vainqueur des forces du mal. Ce rite est très discuté : le nombre de cierges pour commencer ainsi que leur signification liturgique. Pour certains, l'extinction progressive des cierges signifierait l'abandon des disciples. Le dernier était caché derrière l'autel pour être ensuite montré à la fin de l'office afin de symboliser la passion, la mort et la résurrection du Christ. Pour d'autres, les cierges placés sur l'autel représenteraient les Prophètes qui avaient annoncé la venue du Messie et qui furent mis à mort par les Juifs : Et on esteint un cierge à la fin de chaque Pseaume, pour marquer que la lumiere de la Foi dont les Prophetes ont éclairé les Juifs, estoit éteinte en eux, lorsqu'ils outragerent, & firent mourir le Sauveur du monde. Et à la fin du Cantique de Zacharie, pere de Saint Jean Baptiste, on n'éteint point le cierge qui represente Jesus-Christ, (que Saint Jean a montré estre la veritable lumiere du monde ;) pour nous faire entendre que Jesus-Christ mourant selon son Humanité, estoit toûjours vivant selon sa Divinité de Jesus-Christ. On cache ce cierge, pour marquer que la Divinité de Jesus-Christ estoit cachée sous le voile de son Humanité. C'est aussi pour representer Jesus-Christ dans le Sepulchre. On montre ensuite ce cierge, pour representer sa Resurrection. Dom Claude de Vert réalise au début du XVIIIe siècle des recherches très approfondies auprès de nombreux diocèses en France sur l'origine et la signification de l'extinction des cierges. Et c'est dans un long discours qu'il démontre le résultat auquel il souhaite obtenir. Les notes sont de l'auteur. Alors on éteignoit toutes les lumieres & jusqu'aux lampes , comme inutiles. In luce extinguantur, dit l'ordinaire de l'église de Soissons. Dans la suite, ces matines du jeudy, du vendredy & du samedy-saint, avancées de quelques heures, & même en plusieurs églises, anticipées dez la veille (parce que les nuits depuis l'équinoxe commencent en effet à devenir beaucoup plus courtes  ; & toujours accompagnées de leur luminaire accoutumé, finissoient au contraire dans la profonde nuit : ce qui par consequent rendoit alors, principalement sur la fin de laudes, la lumiere absolument nécessaire. Cependant, comme on ne s'avise gueres d'innover sur ces sortes de pratiques, on continua d'éteindre généralement tous les cierges, comme on faisoit au temps même que matines commencées à minuit, finissoient vers le point du jour. Seulement on en garda un, soit pour aider à lire la collecte , ou pour éclairer à sortir de l'église, & aux moines & autres réguliers, à remonter au dortoir, ou enfin pour quelqu'autre besoin que ce pust-être. Il paroît sur tout qu'on affecta de les éteindre pendant le Benedictus, & de réciter ce cantique au milieu des tenebres ; jusque-là que le cierge qu'on réservoit pour la fin, fut même entierement caché depuis l'extinction du reste du luminaire : ensorte que, cette lumiere venant à paroître & à éclairer au milieu des tenebres & dans les ombres de la nuit, exprimoit merveilleusement, au goût de ces temps-là, ces derniers mots du Benedictus qui terminoit tout l'office, ILLUMINARE his qui in tenebris & in umbra mortis sedent. Il est dit, par exemple, dans le cérémonial des dames de Sainte-Glossine de Mets, "qu'Après les pseaumes de laudes, ces trois jours-là, on éteint tout le luminaire & qu'il sera fait tenebres." A laudes, dit l'ordinaire d'Amiens de 1414, on éteint peu à peu les lumieres, ensorte qu'à la derniere antienne il soit tenebres." On chante ensuite le Laudate, dit le breviaire de Dol, & on éteint le luminaire, & à la fin de l'antienne de devant le Benedictus, on cache le cierge qui étoit allumé ; ensorte que ce cantique & les prieres dont il est suivi, soient chantées dans les tenebres ; IN TENEBRIS dicantur." L'ordinaire des Jacobins & celuy des chanoines-réguliers du prieuré de Saint-Lo de Rouën, portent à peu près la même précaution. "Qu'on éteigne le cierge qui restoit seul, disent ces ordinaires, & qu'on récite en tenebres le Benedictus & tout ce qui suit. Quæ sequuntur, in tenebris cantantur, dit le rituel MS. de l'abbaye de N.D. de Daoulas." Que le Benedictus avec son antienne soit chanté pareillement en tenebres, dit l'ordinaire de Rheims & aussi celuy de Saint-Martin de Tours. Et de là vient que tout ce qui se faisoit & se récitoit depuis le Benedictus, jusqu'à la fin de l'office, étoit nommé tenebres. UBI verò ventum est ad TENEBRAS, dit un auteur du onzieme siecle, dum Kyrie eleïson cum versibus cantaretur &c. Et c'est même ce qui dans la suite donna le nom de tenebres à l'office entier, je veux dire, à matines & à laudes, jointes ensemble. Matutinæ tenebrosæ dicuntur, dit le rituel de Daoulas, cité plus haut, eò quod sine lumine terminantur. Voyez ce que nous avons déja observé sur cela vol. I. page 45. à quoy on peut ajouter que cet office se trouve déja ainsi appellé dans la chronique de Hugues de Flavigny, qui vivoit au commencement du XII. siecle. Enfin dans tous les anciens ordinaires ou cérémoniaux, on remarque une attention nompareille à éteindre, du moins à cacher toutes les lumieres pendant le Benedictus, & à n'en laisser paroître aucune qu'à la fin. "Lors qu'on commence l'antienne de Benedictus, dit l'ordinaire de Saint Pierre-le-vif de Sens, qu'on cache la lumiere qui est restée sous l'autel de Saint-Potentien, in crotis sancti Potentiani. Et c'est ce qui s'observe encore communément par tout, suivant le cérémonial Romain, qui porte qu'On tiendra caché sous l'autel ou en un autre endroit, où il ne puisse être apperçu, l'unique cierge qui reste allumé à la fin du Benedictus, jusqu'à ce que le supérieur venant à donner le signe, on remette cette lumiere en vuë. On voit aussi que chez les Chartreux, dez que le dernier Laudate de laudes est commencé, le sacristain cache avec soin sa lanterne, & qu'à l'antienne de Benedictus, il éteint même la lampe ; tant il est capital de dire, ces jours-là, ce cantique, dans les tenebres & dans l'obscurité. A Rouën pour n'y être pas surpris, ils faisoient même ensorte que l'office fût entierement achevé avant le jour. Custos ecclesiæ (le sacristain ou coutre) sollicitè provideat, dit l'ancien ordinaire de cette église, quòd ante lucem suo modo spatiose nocturnum officium compleri valeat. Je vois dans l'ancien ordinaire de Noyon, qu'on se plaint de ce qu'on attendoit que le Benedictus fût achevé pour tout éteindre. Il faut, dit cet ordinaire, que cela soit fait avant le commencement du cantique . Plus loin , il rajoute encore une précision : Au samedy-saint, au rit Romain, le diacre, en élevant le cierge triangulaire allumé, dit LUMEN Christi . Et à l'abbaye de Fecan, parce que le baston qui portoit ce cierge, étoit tourné en forme de serpent, ou plutôt à cause que la bougie serpentoit autour du baston, on chantoit en rentrant dans le chœur, Sicut exaltatus est serpens in eremo, ita exaltari oportet Filium hominis.

De tels propos sont repris à nouveau sous forme d'un entretien, technique de communication fort utilisée à cette époque, entre Dom Claude & de Dom Pierre moines de l'Ordre de Clugny, sur la disposition de l'Office de la Semaine-sainte contenu dans le nouveau Breviaire de cette Ordre, dialogue apportant quelques précisions complémentaires notamment sur le nombre de cierges utilisés. On se référera à l'intégralité du texte en Annexe A. Jean Grancolas, de son côté, pense qu'on a un peu rendu énigmatique quelque chose qui a dû, à l'origine, être banal et sans dessein . Dans la suite on a trouvé du mystére à finir quand tout étoit éteint, & on a appelé Ténébres ou Matutinæ Tenebræ, & quod sine lumine terminantur, parce que quand on les finit il n'y a plus de lumiére. Nous avons vû qu'Abelard les appelle Ténébres  : Horum vulgo dierum vigiliæ nuncupantur Tenebræ... Hugues de Flavigni, qui vivoit au douziéme siecle, leur donne aussi ce nom. Aujourd'hui on a si fort avancé Matines & Laudes, qu'ils finissent à la nuit, & on éteint les cierges dans le tems qu'on en auroit le plus de besoin, si on avoit à rester à l'Eglise. Dans Amalaire on voit que Theodore, Archidiacre de Rome, étant consulté sur ces cierges qu'on éteignoit déjà peu à peu au tems d'Amalaire, répondit, qu'il n'avoit point vû éteindre les cierges la nuit à l'Office en l'Eglise de S. Jean de Latran, où le Pape assistoit : Solco esse cum Apostolico in Lateranis quando celebratur Officium de Cœna Domini, nihil in cadem nocte observatur de extinctione luminum. Il poursuit ensuite ses réflexions sur le nombre de cierges, nombre qui soucie beaucoup de monde si l'on en croit les textes qui y font référence. On met quinze cierges sur le chandelier, à cause des quinze Pseaumes de l'Office, & on en éteint un à la fin de chaque Pseaume, Tot cerei ad nocturnos, & extinguuntur per singulas Lectiones, dit Ulric, dans ses Coutumes de Cluni. Dans l'Ordre Romain on ne marque point le nombre des cierges qu'il y avoit : dans le Code de Ratolde de Corbie, où l'on marque l'usage de Rome qu'on y doit suivre, il est marqué que l'Eglise sera toute éclairée, & qu'on y mettre trente-huit cierges : Ecclesia omni lumine sit decorata, idest, triginta octo luminaribus. Dans les Statuts de Lanfranc, il est ordonné d'en mettre vingt-cinq, pour en éteindre un à chaque Antienne, & à chaque Répons ; en d'autres endroits on éteignoit tous les cierges pendant les Matines, & il ne restoit à Laudes que les lampes devant l'Autel. De son côté, l'Abbé François Cancellieri indique que par cette cérémonie l'on represente, le refroidissement des Apôtres et des Disciples, qui chancellerent dans la foi, oublierent leurs promesses, et abbandonerent leur bon maître par une fuite lache et honteuse. Le cierge qui reste seul allumé, et que l'on cache deriere l'autel, nous figure la sainte Vierge qui resta ferme et inébranlable dans la foi de la resurection de J.C. bien refroidie et obscurcie parmi les Disciples, ou bien J.C. lui-même, que les hommes ingrats et pervers croyaient mort, lorsqu'il ressuscita glorieux, après avoir resté trois jours dans le sepulchre. Pour l'Abbé Houssaye, il n'est pas jusqu'aux cérémonies, à la fois sobres et mystérieuses, dont il est accompagné, qui ne révèlent son origine. On en a donné des explications symboliques dont je suis si éloigné de contester la valeur que je les rapporterai ailleurs. Comment cependant ne pas se rappeler, à la vue de ces lumières en plus grand nombre, celles que les premiers chrétiens devaient allumer pour dissiper l'obscurité des catacombes, et dans l'extinction successive des quinze cierges du chandelier triangulaire et des cierges de l'autel, un souvenir de ces offices qui se prolongeaient jusqu'au jour, et vers la fin desquels on éteignait peu à peu les lampes, à mesure que le jour pénétrait dans l'église construite par la foi audacieuse des chrétiens, ou dans la salle haute, leur abri durant la persécution . Le témoignage du chanoine Goschler apporte encore un éclairage supplémentaire à ceux relevés ci-dessus. Pour lui, l'extinction successive des cierges rappelle : 1.° Que tous les prophètes qui rendirent successivement témoignage au Sauveur, loin d'être écoutés par les Juifs, furent au contraire persécutés, mis à mort, et que par suite les Juifs ne reconnurent pas le Christ, qui resta caché à leur âme endurcie, 2.° Que les apôtres abandonnèrent le Sauveur pendant sa passion, le renièrent même et qu'ainsi non seulement le Christ s'évanouit à leurs yeux par la mort, mais encore à leur esprit par leur manque de foi ; qu'à la mort du Rédempteur, de profondes ténèbres se répandirent sur la terre, mais que les ténèbres de ceux qui ne crurent pas en lui furent bien plus épaisses encore. Le Christ est notre lumière, il se cache à nos yeux et nous laisse marcher dans les ténèbres et le mal, lorsque nous lui fermons volontairement l'accès de notre cœur. – Enfin le cierge caché derrière l'autel signifie encore que le Christ, qui est mort, n'a pas cessé néanmoins, pendant ces saintes journées, de vivre mystérieusement pour les siens et de les assister de sa grâce. Ces interprétations d'une disposition, dont l'origine est difficile à cerner puisque aussi bien, anciennement, on ne mettait pas de cierges sur l'autel, serait une survivance d'un rite de l'Eglise primitive en un temps où l'office étant célébré à l'aube, la lumière naturelle du jour rendant progressivement inutile la clarté artificielle des cierges. Ce rite ancestral ne posait pas trop de problème dans la mesure où le jour se levant, les cierges étaient éteints un par un. Les 15 cierges symboliseraient les 11 apôtres fidèles, les 3 Marie et le Christ. L'Abbé Houssaye reprend les mêmes propos que l'Abbé Meusy apporte dans son Cathéchisme des Fêtes de Besançon écrit en 1774. Il y a d'autres significations sur la signification du nombre de cierges : 11 apôtres, 2 disciples et le Christ (le compte n'y est pas !). A remarquer que le nombre de cierges était variable d'une paroisse à l'autre au Moyen Âge : 7 ou 72 du côté de Metz , 9 à Nevers, 13 à Paris et Reims, 24 à Salisbury, 25 à York et Hereford , 26 à Amiens, 44 à Coutances, etc., et chaque nombre devait avoir sa signification locale. A la cathédrale de Séville en Espagne, le candélabre triangulaire contient 16 cierges illustrés chacun d'une image de saint. A la chapelle Sixtine à Rome, les cierges sont de cire jaune. Six ont été posés sur l'autel, six sur la cancellata et quinze sur un candelabre triangulaire, placé du côté de l'épître. Dans le dialogue entre deux moines, Dom Claude de Vert expose longuement le sens et le nombre de ces lumières mis en scène. Résumons un peu les débats qui se perdent dans des méandres et qu'il n'est pas utile de rappeler ici. Pour moy, dit un des moines, je ne sçache point de raison mysterieuse de ce nombre. Il y en peut neanmoins avoir ; en effet quelques Rituels appellent ces cierges candelæ mysteriales. Mais il en faut donc trouver aussi pour les nombres de neuf, de douze, de treize, de quinze, de vingt-quatre, de vingt-cinq, de vingt-six, de quarante-quatre, &c. en usage en differentes Eglises. En tout cas, s'il en étoit necessaire, nous n'en manquerions pas pour vingt-& un qui est le nombre septenaire repeté trois fois ; ou, si l'on veut, car tout cela est arbitraire, le ternaire repeté sept fois. Il ajoute que si l'Ordre Romain précise qu'il faut des cierges pour les cérémonies du Jeudy, du Vendredy & du Samedy-saint (Ecclesia sit omni lumine decorata) & qu'on éteignoit ces cierges peu à peu, paulatim, [et d'une façon égalitaire] paulatim & æqualiter, il convient d'en éteindre une partie à chaque Nocturne, par exemple, environ le quart, & même le tiers dans les Eglises, comme celle de Rome, où on les éteignoit tous avant Laudes, & où il ne restoit pour cet Office que des lampes, l'on éteignoit aussi successivement. Dans la suite pour faire la chose avec encore plus d'ordre, & y proceder même avec ceremonie… on détermina de les éteindre un à un ; & cela en quelques Eglises à chaque Pseaume ; en d'autres, à chaque Antienne  ; en d'autres, à chaque Leçon  ; en d'autres, à chaque Pseaume & à chaque Leçon  ; en d'autres, à chaque Pseaume & à chaque Leçon  ; en d'autres, à chaque Pseaume & à chaque Répons  ; & enfin à d'autres, à chaque Pseaume, à chaque Leçon, à chaque Antienne & à chaque Répons ... Ceci explique pourquoi le nombre de cierges est tant variable d'un diocèse à l'autre, voire d'une église à l'autre. Le rite de l'extinction proprement dite reste à Claude de Vert une inconnue qu'il tente d'expliquer en posant la question de savoir pourquoi on pouvoit y diminuer le nombre des lumieres, & mesme les éteindre toutes, … particulierement sur la fin, c'est-à-dire, vers le Benedictus. Je vous passeray encore, si vous voulez, le troisiéme Nocturne, qu'on ne peut douter qui n'attrapât quelquefois le jour. Mais que dans la profonde nuit, c'est-à-dire, au premier & au second Nocturne, on éteignît des cierges, par la raison que le jour venoit, comme il paroit que vous voulez l'insinuer, je vous avouë que c'est ce que j'ay de la peine à me persuader. La verité est que tout cela n'est point sans difficulté. Mais pour en sortir, il faut supposer que cette extinction des lumieres n'a d'abord été pratiquée qu'à Laudes ; & que ce n'a été que dans la suite, & particulierement depuis que Laudes furent jointes à Matines, que cette extinction venant à se tourner en pure cérémonie, elle fut portée jusques sur tout cet Office, & commença dès le premier Nocturne, quoique recité dans la profonde nuit. Les Chartreux aussi bien que tout l'Ordre de Citeaux n'en éteignent point encore à Matines ces jours-là ; mais seulement à Laudes, & cela, vers le dernier Pseaume ou le Benedictus. Il en étoit de même dans la Congregation de Bursfeld … Les Carmes avoient toûjours observé jusqu'au commencement de ce siecle, ou tout au plus jusqu'à la fin du dernier, de n'éteindre des cierges, ces trois jours-là, qu'à Laudes, sçavoir à la fin de chaque Antienne nous avons avec cela l'Eglise de S. Martin de Tours, où tous les jours de l'année on ne diminuë encore le luminaire qu'au dernier Pseaume de Laudes. Et on voit que dans l'Eglise de Paris, ces trois jours-là tout le fort de l'extinction se fait à Laudes, où durant le Cantique un éteint tous les cierges de la grosse lampe ; au Laudate, ceux des petites ; & au Benedictus, ceux l'Autel. Tout cela prouve, comme vous voyez, que cette ceremonie ne regardoit d'abord que Laudes. Selon M. Marolles, les six cierges [de dessus l'autel] qu'on éteint ainsi successivement, representent les Prophetes qui en divers temps annonçans la venuë du Fils de Dieu, ont esté cruellement mis à mort : & celuy qui estoit au haut du chandelier triangulaire, éteint le dernier, nous donne à connoistre que Nostre Seigneur ayant accomply toutes les propheties, est mort pour établir la Foy. Les lampes & autres lumieres de l'Eglise, sont pareillement éteintes : ce qui marque le miserable état où se trouva le monde, Jesus-Christ sa vraye lumiere estant éteint par la Synagogue. L'Oraison achevée, on fait quelque bruit, & incontinent paroist le Cierge allumé, qui étoit caché sous l'Autel. Alors tout le monde se leve, & chacun s'en va en silence. Le Cierge qu'on fait paroistre allumé, qui auparavant sembloit estre éteint, nous enseigne que Nôtre Seigneur estant mort quant à l'humanité, demeura vivant quant à la divinité, qui pour lors ne paroissoit pas ; mais fut manifestée au temps de sa Resurrection. Que si on fait quelque bruit avant que de s'en aller, c'est pour montrer avec combien de tumulte & d'insolence, les Soldats envoyez se saisirent de Nôtre Seigneur au jardin des Olives. Selon le bréviaire de la Société des Libraires, l'extinction des Cierges nous represente les ténébres qui couvrirent la Terre, lorsque le Fils de Dieu rendit l'esprit, & ces ténébres, dit Saint Leon, reprochoient aux Juifs l'aveuglement de leur cœur, qui les portoit à faire mourir celui qu'ils devoient reconnoïtre pour leur Sauveur, après tant de miracles dont ils avoient été les témoins. Le Cierge allumé que l'on cache sous l'Autel, veut nous figurer Jesus-Christ même, qui étant mort & enseveli, vivoit encore d'une vie cachée aux hommes, parce que la mort naturelle & veritable qui avoit separé son Ame de son Corps, n'avoit pü separer la Divinité du Corps ni de l'Ame : ainsi ce Corps tout privé qu'il étoit de la vie naturelle, vivoit en quelque maniere d'une vie divine, & reprit peu de tems après la vie qu'il avoit perduë, ce qui peut être marqué par ce même Cierge que l'on tire allumé de dessous l'Autel. Pour Ludovic Celler, les ténèbres ont leur origine dans les adorations secrètes et poursuivies des premiers chrétiens ; les cierges qui figurent dans ces cérémonies ont plusieurs significations ; ils rappellent les lumières allumées dans les catacombes par les fidèles persécutés, et personnifient par leur nombre Jésus-Christ d'abord, puis les apôtres et trois Maries. Le cierge qui personnifie le Christ est en cire blanche ; on le place en haut du candélabre triangulaire qui porte les lumières ; les quatorze autres cierges sont en cire jaune ; on les éteint successivement pendant l'exécution des ténèbres, et cette extinction successive peut rappeler la fuite des apôtres et l'abandon de plus en plus grand de Jésus-Christ pendant sa passion. Il précise dans un autre ouvrage que l'ordre triangulaire du chandelier est un souvenir de l'ancien chandelier à vingt-quatre branches qui brûlait dans les églises primitives, et que l'on éteignait cierge après cierge, à mesure que les vingt-quatre heures du jour s'écoulaient. Paul Renouard (1891) rapporte de son voyage à Rome que les liturgistes [lesquels ?] donnaient de cette cérémonie une explication spécieuse : Lorsque le maître des cérémonies pose le cierge sur l'autel, c'est Jésus sur le calvaire. Lorsqu'il le cache derrière l'autel, c'est la sépulture. Le R. P. Dom Prosper Guéranger explique dans son ouvrage concernant L'Année liturgique, la Passion et la Semaine Sainte , que le Fils de Dieu est éclipsée sous les ignominies de sa Passion. Il était "la lumière du monde", puissant en œuvres et en paroles, accueilli naguère par les acclamations de tout un peuple ; maintenant le voilà déchu de toutes ses grandeurs…Chacun s'éloigne de lui : Pierre même nie l'avoir connu. Cet abandon, cette défection presque générale sont figurés par l'extinction successive des cierges sur le chandelier triangulaire, même jusque sur l'autel. Cependant la lumière méconnue de notre Christ n'est pas éteinte, quoiqu'elle ne lance plus ses feux, et que les ombres se soient épaissies autour d'elle. On pose un moment le cierge mystérieux sur l'autel. Il est là comme le Rédempteur sur le Calvaire, où il souffre et meurt. Pour exprimer la sépulture de Jésus, on cache le cierge derrière l'autel ; sa lumière ne paraît plus. Alors un bruit confus se fait entendre dans le sanctuaire, que l'absence de ce dernier flambeau a plongé dans l'obscurité. Ce bruit, joint aux ténèbres, exprime les convulsions de la nature, au moment où le Sauveur ayant expiré sur la croix, la terre trembla, les rochers se fendirent, les sépulcres furent ouverts. Mais tout à coup le cierge reparaît sans avoir rien perdu de sa lumière ; le bruit, cesse, et chacun rend hommage au vainqueur de la mort. En Corse, les membres de cinq confréries de Bonifacio (Sainte-Croix, Saint Jean-Baptiste, Saint Barthélémy, Sainte Marie-Madeleine et Saint Erasme) sont assis dans les stalles derrière le maître autel et chantent l'Office des Ténèbres : chaque leçon est chantée par un seul confrère à la fois et est suivie des psaumes récités en commun. A la fin de chaque leçon, le confrère interprète se lève, se dirige vers le chandelier et éteint le cierge le plus bas, de la gauche vers la droite. A la fin des leçons, le dernier chantre se lève, prend le dernier cierge et entonne le Benedictus. Puis on éteint les six autres chandeliers simples disposés sur l'autel principal. Ce dernier cierge faisait dire aux anciens Corses que lorsque le Christ est mort dans les âmes, le monde est plongé dans les ténèbres : Spenti i lumi, mortu u Cristu. Le rite de l'extinction des cierges a fait l'objet d'un long et vaste débat sur l'origine de la pratique et son application dans l'Église. On peut peut-être se risquer de se rapprocher des vues de M. Grancolas : a-t-on rendu énigmatique quelque chose d'ordinaire et sans dessein ! En tout cas, c'est ce qu'un des rédacteurs de La Semaine Sainte à Rome élude tout simplement en indiquant qu'on a voulu donner de cet usage une série d'explications mystiques sans aucune valeur historique. A Rome on ne connaissait pas encore cet usage au IXe siècle, il provient des rites de l'Eglise franque ou gallicane. Dans les basiliques romaines on allumait pour l'office nocturne le nombre de phares ou lampes nécessaire pour éclairer l'assistance et spécialement les lecteurs. On les éteignait peu à peu à mesure que le jour pénétrait dans la basilique.

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Le rituel du bruit à la fin de l'Office

Á la fin de la cérémonie, après un instant de méditation, le silence était interrompu par un bruit appelé strepitum. Ce bruit serait aussi un vestige de l'antiquité. C'est en frappant de la main sur son banc ou sur son livre que le célébrant donnait le signal du départ . Cependant, certains auteurs prétendent que le bruit fait par toute la communauté représenterait la confusion et le désordre produits sur la terre à la mort de Jésus-Christ. Pour d'autres encore, ce fracas depuis les stalles du chapitre exprime le bouleversement de la nature à l'instant où, quand le Christ expira sur la croix, la terre trembla, les roches se fendirent et les tombeaux s'ouvrirent. Que si on fait qq bruit avant de s'en aller, c'est pour montrer avec combien de tumulte & d'insolence, les Soldats envoyez se saisirent de Nôtre Seigneur, au jardin des Olives . Selon le même M. Marolles, si on frape le bois de la main, c'est que Nôtre-Seigneur criant sur le bois de la Croix, fit voir évidemment sa charité & sa miséricorde. Deux ouvrages, deux avis divergents. Augustinus Patricius Piccolomini indique: La prière étant achevée, le maître des cérémonies frappe avec sa main une marche de l'autel ou sur quelque banc, et tous dans une certaine mesure provoque un bruit ou claquement. Ceci représente symboliquement la convulsion de la nature qui a suivi la mort de Jésus-Christ. Selon la Société des Libraires, le petit bruit que l'on fait à la fin de Laudes, represente cette confusion qui parut dans toute la Nature à la mort de son Auteur, lorsque les pierres se fendirent, les Sepulchres s'ouvrirent, le Voile du Temple fut dechiré, &c. Pour d'autres encore, il représente les ténèbres et le tremblement de terre qui arrivèrent à la mort du sauveur, ou bien le bruit ou le tumulte des soldats à la Passion . Pour M. de Berthomeuf, le bruit qui se fait à la fin des Tenebres signifie [que] le Ciel obscurci, les tombeaux ouverts, l'alarme & l'émeute de Jerusalem à la mort du Seigneur ; ce renversement de la nature en a converti plusieurs ; quelques-uns des plus mechans s'en retournoient en frapant leurs poitrines, & en reconnoissant la divinité de Jésus-Christ. Dans le pays nantais, le Vendredi Saint on soufflait à pleins poumons dans des cornards, gros coquillages de mer, et l'on tambourinait aux portes des églises avec des marteaux de bois à l'Office des Ténèbres pour marquer la mort du Christ . Au Guatemala, on actionne la sirène des tremblements de terre à trois heures de l'après-midi du Vendredi Saint. Selon M. Grancolas, on ne voit nulle part qu'on fit du bruit à la fin des Ténébres ; l'Officiant donnoit seulement le signal en frappant de la main sur son Livre ou sur son siége, pour avertir de s'en aller ; les jours solemnels ausquels l'Eglise étoit pleine de Peuple, il étoit obligé de frapper plusieurs coups pour être entendu de tout le Peuple. Le Bréviaire Romain dit qu'on ne doit faire qu'un petit bruit : Fit fragor & strepitus aliquantulum. Dans l'Office de la Semaine Sainte de 1749, on est offusqué de voir de tel débordement : on n'a garde de parler comme de quelque chose de mystérieux, de ce bruit tumultueux qu'on fait aujourd'hui après la fin de ce même Office. Ce seroit faire injure à l'Eglise, que de lui attribuer un désordre visible, qui ne vient ordinairement que de gens sans piété, sans raison & sans éducation, & qui ne sert qu'à faire gémir ceux qui ont une piété véritablement éclairée. Pour Cancellieri, on fait un peu de bruit après le récit du Pape de l'oraison Respice quæsumus Domine. Selon quelques auteurs il vient d'un Rit de la sinagogue, dans la quelle, toutes les fois qu'on proferait le nom d'Aman, les juif faisoient du bruit, et du fracas. Il represente selon d'autres la marche des soldats qui ayant Judas pour guide, allerent se saiser du sauveur pour l'emprisonner ; mais il est plus vraisemblable, selon le sentiment de Mazzinelli, dont les savantes explications sur la semaine sainte, méritent d'être preferées à toutes les autres, que ce bruit exprime, le trouble horrible, et la confusion de la nature, à la mort du Redempteur, lorsque le soleil s'obscurcit, la terre trembla, le voile du temple se déchira, les tombeaux s'ouvrirent, les pierres se fendirent, que toute la nature se ressentit de la mort de son auteur, les juifs seulement, appelé pour cela par saint Leon, plus durs que les pierres mêmes, resterent dans leur incrédulité : il n'en fut pas de même du centurion qui, se retira, baissant la tête, en frappant la poitrine, confessant pour fils de Dieu celui qu'il avait vu expirer sur la croix, au milieu de tant de prodiges ; aussi après qu'on a retiré le cierge allumé de derriere l'autel, tout le monde se leve, et part en silence, et avec componction. Ce bruit rappelle le désespoir causé par la mort du Christ, selon Celler. Mais, il dit par ailleurs dans un autre ouvrage qu'Anciennement, on frappait des tablettes de bois pour appeler aux offices dans les jours où les cloches s'abstenaient de sonner, et l'on prétend que le bruit que les cardinaux font après le miserere est un souvenir de l'agitation des cliquettes et rappelle le désespoir qui interdisait tout autre moyen de convocation. Mais d'autres interprétations sont avancées selon lesquelles ce bruit aurait pour origine des rites païens (voir ci-après le rituel corse). C'est en parlant des chants liturgiques que Clerval indique qu'au cours du Triduum, les Ténèbres se terminaient ainsi. Après le Benedictus, deux chanoines, près de l'autel, chantaient trois fois, puis deux fois, puis une seule fois : Kyrie eleison, et à chaque coup, les enfants leur répondaient : Domine, miserere nobis. Les deux chanoines entonnaient ensuite : Factus est obediens usque ad mortem, et un enfant ajoutait seul : mortem crucis. Puis on priait, prosterné sur le pavé, jusqu'à ce que le Doyen eût donné le signal de se retirer, en frappant trois fois sa stalle. En 1706, Claude de Vert, sur ce sujet, reste assez évasif. Il n'est pas certain qu'il ait étudié la question au vu de la réponse qu'il apporte dans le dialogue entre les deux moines. Son interlocuteur rapporte ceci : C'est le signe pour sortir, & en même temps avertir le Sacristain de donner de la lumiere, soit en faisant paroistre celle qu'il a tenu cachée pendant le Benedictus ou le Christus factus est ; soit en ralumant quelque cierge ou quelque bougie, il y avoit des Eglises où pendant le Benedictus on ne reservoit aucune lumiere. Á cela de Vert lui répond : Mais pour donner un signe, faut-il faire tant de bruit ? La réponse est des plus déconcertantes : Cela pourroit venir de ce que comme ce signe n'étoit pas toûjours entendu du Sacristain, lequel étoit ou derierre l'Autel ou dans la Sacristie, il falloit que le President ou le plus ancien du Chœur, ou le Chantre , ou le Semainier , ou le Maître des Cérémonies , (car sur cela il y avoit differents usages) réiterât son signe & frapât à diverses reprises, & jusqu'à trois ou quatre fois sur sa forme ou sur son livre, ou autrement, pour se faire entendre ; & même que ceux qui étoient proche de luy, fissent aussi quelque fois du bruit par la même raison. Bien plus, on fut obligé en quelques Eglises, comme à Paris, d'aller faire ce bruit derriere l'Autel. Enfin tout cela donna lieu à cette Rubrique des nouveaux Bréviaires, fit fragor & strepitus : au lieu que jusques-la pour marquer ce signe, on s'étoit toujours exprimé ainsi : percutiat suppel, qui præst ou Abbas ou Prior , ou Cantor , ou Prælatus , ou Hebdomadarius , ou Episcopus , ou Decanus , ou Sacerdos , ou Cœremoniarius , ou Maior , &c. facit signum , ferit cum malleo , signet , percutit , facit percussionem , facit sonitum , facit sonum , signo facto ou dato , signo facto per sonitom , seniore pulsante , fit sonitus , fiant sonitus , &c. Mais depuis quand les termes fit fragor & strepitus ont-ils été substituées aux précédents ? Il faut qu'il n'y ait guere plus d'un siecle. Au moins avant le Concile de Trente n'en est-il fait nulle mention dans aucun Breviaire que je sache, même dans le Romain. Post RESPICE, lumen absconditum reportatur : voilà tout ce que dit le Breviaire de 1543. Plusieurs Eglises, Cisteaux, les Chartreux & quelques-autres n'ont pas encore introduit ce bruit. Le Breviaire de la Congrégation de Valladolid en Espagne de 1610. & celuy de Brioude de 1654.& d'autres, n'en disent rien. Il paroit même qu'il n'y a pas longtemps que c'étoit encore un bruit reglé, qui retenoit tout-à-fait de l'ancien signe, étant fait & réïteré seulement jusqu'à trois fois par le Président du Chœur , ou tout au plus par ceux qui chantoient le Kyrie derriere l'Autel  ; & non un bruit confus & tumultuaire de tout le Chœur, & même de toute la Nef, ainsi qu'il se pratique presque par tout aujourd'huy. Je ne doute point que ce qui a le plus contribué à induire à faire ce bruit, n'ait été l'équivoque de la Rubrique fit fragor & strepitus, laquelle ne déterminant point en effet par qui ce bruit se devoit faire, a laissé à tout le monde la liberté de se sousentendre ; chacun croyant que le verbe indefini fit, pouvoit le regarder & luy convenir : au lieu qu'à s'appliquer tant soit peu à cette expression fit fragor à strepitus, il est visible qu'elle est formée de celle-cy, Sacerdos facit fragorem ou strepitum ; & que ce n'est que la construction active qui a été changée en passive, en sorte que la personne designée par l'ablatif sousentendu de fit dans cette nouvelle Rubrique, ne peut être que celle-là même qui dans l'ancienne maniere d'exprimer ce signal est designée par le nominatif de facit. Le Manuel des cérémonies de Rome de 1866 reste très discret sur ce rite et signale seulement qu'après le Miserere, le Souverain Pontife récite l'oraison à la fin de laquelle on fait un peu de bruit dans la chapelle ; puis le Pape et les Cardinaux se retirent . Aucune explication sur la signification religieuse d'un tel geste. Á la fin du XIXe siècle, Paul Renouard rapporte que le bruit qui se fait entendre, c'est le tumulte de la nature au moment où le Christ ayant expiré, la terre trembla, les rochers se fendirent et les sépulcres s'ouvrirent. Le cierge reparaît : c'est la Résurrection. I. Goschler apporte une réponse simple à cette même question. Pour lui, le bruit de crécelles qu'on fait entendre à la fin de l'office, a pour but de donner aux assistants le signal du départ . Plus loin, il justifie également l'utilisation de la crécelle en l'absence des orgues et de toute musique instrumentale y compris les cloches, pour exprimer notre deuil et nous inspirer une plus grande tristesse : durant ces jours, les Apôtres, les témoins du Christ, tremblants devant les Juifs se cachèrent et se turent, nous faisons de même taire les cloches, leurs symboliques représentants… Quant aux crécelles dont nous nous servons à cette époque, elles ont pour but, 1° de fortifier en quelque sorte en nous la tristesse par le bruit monotone et sec de ces instruments de bois ; 2° de mortifier nos sens, en remplaçant l'harmonie solennelle des cloches, l'éclat joyeux et clair des sonnettes, par le clapottement peu musical de cette aigre machine ; 3° de nous faire pratiquer l'humilité en nous convoquant au culte divin non plus d'une manière solennelle et pompeuse, mais d'une façon pauvre et discordante ; 4.° de nous rappeler que ce fût par un instrument de bois, par le bois sacré de la croix, que tous les peuples furent appelés à la connaissance de Dieu et de l'éternel salut. Boileau dans Le lutrin (~1674) parle de la crécelle utilisée au cours de la Semaine Sainte en lui conférant une sinistre renommée : Prenons du saint jeudi la bruyante crécelle… ... Du fond poudreux d'une armoire sacrée Par les mains de Girot la crécelle est tirée. Ils sortent à l'instant, et, par d'heureux efforts, Du lugubre instrument font crier les ressorts… Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui sommeillent ; Déjà de toutes parts les chanoines s'éveillent L'on croit que le tonnerre est tombé sur les toits, Et que l'église brûle une seconde fois ; L'autre, encor agité de vapeurs plus funèbres, Pense être au jeudi saint, croit que l'on dit ténèbres, Et déjà tout confus, tenant midi sonné, En soi-même frémit de n'avoir point dîné. (Chant Quatrième)

Des instruments ont ainsi été mis à la disposition des enfants de chœur pour pallier l'absence des cloches qui rythment les cérémonies de la Semaine sainte. Aujourd'hui, on n'en fait plus cas. Il faut rechercher dans les archives pour retrouver ces substituts d'instruments. L'Illustration en donne une liste assez détaillée qui touche également le remplacement des grosses cloches de l'église. Nous n'en parlerons donc pas et le lecteur pourra se référer à l'Annexe B. Une première indication de l'usage de Schallbretter ou planches sonores, se trouve dans le De ecclesiasticis officiis libri quatuor, de Symphosius Amalarius, abbé de Hornbach dans le diocèse de Metz, et qui mourut en 857 : elles servaient au lieu des cloches pour convoquer les fidèles à l'église. Ces Schallbretter sont les ancêtres des cloches de bois, dont les crécelles peuvent être des réductions. Cette indication est confirmée par Jean de Bayeux, dit d'Avranches, archevêque de Rouen au XIe siècle, qui assure que de son temps les cloches, après le Gloria du jeudi saint, étaient remplacées par des tabulae ou tablettes . A ranger dans la catégorie des claquettes ou des battoirs, cette imitation de bréviaire en bois qui, en se refermant, produit un bruit sec. Cet instrument était encore utilisé au XXe siècle. En Corse, une fois les chants terminés, un cercle est formé par des membres des confréries pour frapper sur le sol avec les palmi, les mazzuchi, branches de palmier provenant des environs de Bonifacio (appelés aussi les instruments des ténèbres dans d'autres lieux). Ils utilisent également la troccula, une crécelle avec caisse de résonance. Des commerçants disposaient des caisses en bois devant leur boutique pour que les enfants tambourinent aussi avec des mazzuchi. Cette coutume, pratiquée également dans d'autres régions de l'île, rappellerait le tremblement de terre qui a accompagné la mort du Christ. Les livres des confréries ne mentionnent pas ce bruitage parce que les autorités épiscopales ont dû sévir pour faire face à ce vacarme. Dans l'esprit du peuple, ce bruit était connu pour mettre les démons en déroute… Dans d'autres lieux, après l'extinction des cierges, se déclenche un vacarme infernal. Les fidèles forment un cercle et tapent sur le sol, et les murs de l'église avec de longs bâtons en arbousier ou des branches de palmier. Tout ce charivari, destiné à chasser les démons symbolise le fracas du tremblement de terre qui accompagna la mort du Christ. Matthieu 27 verset 51 :" Ed eccu chi u velone appesu in u tempiu si strisgio in diu da cima in fondu a terra trimo è e petre si sbacconu". Comme on peut le voir, l'ingéniosité du clergé a pourvu au remplacement des cloches pendant les deux jours de la semaine sainte où elles restent muettes. L'usage des crécelles pour le strepitum répond ainsi au besoin de faire abstraction de la musique au cours des deux jours qui précédent la mort du Christ. Ceci étant, on reprendra encore la réflexion de Grancolas : n'a-t-on pas rendu énigmatique quelque chose d'ordinaire et sans dessein, alors qu'il s'agissait tout simplement de répondre à un impératif d'ordre technique pour indiquer la fin du recueillement ! C'est également la conclusion de l'un des rédacteurs de La Semaine Sainte à Rome qui résume la situation en indiquant que les interprétations mystiques qu'on a voulu rattacher au bruit que l'on fait à la fin de l'office sont tout aussi erronées, car, après l'office, la conclusion de l'oraison étant secrètement récitée par le célébrant, celui-ci ou le supérieur du chœur, donnait le signal du départ.

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L'anticipation des matines

Au XIIe siècle, pour des raisons de commodité dans les paroisses, la transposition à la veille au soir, lors de l'office des Laudes, donc à la tombée de la nuit, renforce l'aspect ténébreux de ces offices qui célébraient la Passion du Christ conformément à son déroulement : Jeudi Saint, l'agonie et l'arrestation du Christ, Vendredi Saint, la mort sur la croix, Samedi Saint, la descente de la croix et la mise au tombeau. Les Trois jours saints ont été récemment repoussés d'un jour par décret du pape Pie XII du 30 novembre 1955 afin de rétablir la place primitive des offices. Il n'est pas difficile de comprendre le caractère dramatique que conférait une telle présentation liturgique. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles les compositeurs ont écrit les morceaux les plus fervents de l'histoire de la musique. Sans doute, les Passions doivent être attachées à cet engouement pour le drame mis en musique.

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Les processions

La tradition andalouse

On sait que les maîtres de chapelle espagnols avaient également l'obligation de composer de la musique sacrée. C'est un fait avéré par les nombreuses compositions conservées dans les cathédrales et que l'on retrouve dans les colonies hispano-américaines. Mais il se trouve que les documents qui nous sont parvenus aujourd'hui parlent plus facilement des processions de la Semaine Sainte que des Ténèbres. C'est à partir du XVIe siècle que les traditions andalouses de la Semaine Sainte s'expriment par les habituelles processions qui attirent encore beaucoup de touristes aujourd'hui. C'est Séville qui ouvre le chemin à cette grande tradition imprégnée d'inspiration profane et de caractère subversif propres aux rituels carnavalesques. La Semaine Sainte n'est pas la seule fête religieuse touchée par cette déviation puisque la Fête-Dieu subit également les mêmes turpitudes. Gonzalo de Céspedes y Meneses disait déjà que Séville célèbre les offices de la Semaine Sainte d'une façon si particulièrement somptueuse qu'elle laisse Rome, tête du monde et siège de l'Eglise, loin derrière. C'est à cette même époque que se constituent les confréries de pénitence si actives au cours de ces processions : d'origine corporative (tonneliers, boulangers, etc.), appartenant à une même catégorie sociale ou à une même fonction publique (aristocratie, avocats, etc.) ou appartenant à une même ethnie ou à une même nation (noirs, mulâtres, Catalans, etc.), chaque confrérie s'attachait à se distinguer des autres par des expiations publiques, par des costumes typiques ou par des accompagnements musicaux. Le synode de Séville de 1604 dénonçait déjà les vanités et les vices qui dénaturaient la Semaine Sainte. Peine perdue, puisque les frères Tharaud décrivaient longuement les processions sévillanes au début du XXe siècle en ces termes : la porte de l'église s'ouvre et l'on voit dans les profondeurs des milliers de cierges embrasés. Ils sortent en files interminables, portés par des processionnants tout habillés de noir, les reins sanglés d'une cuirasse de chanvre, avec des cagoules si hautes qu'elles atteignent, sans exagérer, la hauteur du premier étage des petites maisons fardées. On ne les porte plus, ces cierges, comme pendant le jour, parallèlement à la terre, mais inclinés sur la hanche et se croisant deux par deux. Quand finiront-ils de sortir ! J'en ai compté déjà des centaines, et en voici des centaines et des centaines d'autres encore. Il en sort, il en sort toujours, et là-bas au fond de l'église la forêt scintillante n'a pas encore diminué. Un chemin de feu s'est tracé dans la foule sombre et bruyante. Puis tout à coup, dans le portail, un vaste espace de lumière paraît se détacher doucement. C'est le paso qui sort (p. 26) [...]. Les saéta jaillissent coup sur coup, mêlant dans un désaccord étrange leurs accents graves ou aigus et leur ardeur à réussir la note que le public attend pour applaudir ou siffler. Près de moi, une femme [...] multiplie les roulades [...] Une autre, assise à une table [...] se met à roucouler, car son chant est plutôt celui d'une pigeonne que celui d'un rossignol (p. 22). [...] Il est quatre heures du matin. Je succombe aux processions. Je n'ai plus le courage de m'atteler à aucun char, d'entendre aucune saéta, de recommencer des stations dans les cafés et les bars toujours pleins (p. 29). Depuis le XVIe siècle, les processions se sont nettement propagées en Espagne et en Amérique latine prenant même une disproportion touristique exagérée tout en s'éloignant de leur destination d'origine. Il est curieux de noter, quand même, que si on enregistre un large étalage des processions espagnoles, on fait peu cas de la musique exécutée ou chantée dans les églises.


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