L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XVIe siècle

De Lamentations de Jérémie.

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En 1505, Pierre Gringore (1475-1539), poète et dramaturge français, édite une complainte sur la cité chrétienne dont la source repose essentiellement sur les Lamentations de Jérémie<sup>[[#5]]</sup>. Voici le début de la parodie :
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|[1:1] <span style="color:#800000;">''Helas comment est seulle la cite''
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:<span style="color:#800000;">''Quie regnoye et sans aduersite''
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:<span style="color:#800000;">''Qui plaine estoit de gens et ie la treuue''
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:<span style="color:#800000;">''Tres desolee en soy mendicite''
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:<span style="color:#800000;">''De dueil comblee auec necessite''
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:<span style="color:#800000;">''Et sy estoit comme assez on le preuue''
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:<span style="color:#800000;">''Plaine de gens las elle est faicte veufue''
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:<span style="color:#800000;">''La dame estoit truage on ne luy rend''
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:<span style="color:#800000;">''Peche musse en temps est apparent''
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|[1:2] <span style="color:#800000;">''Ceste cite plorante est toute nuyt''
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:<span style="color:#800000;">''Larmes en loeil elle a pour son debupt''
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:<span style="color:#800000;">''Et nul amy nest qui la reconforte''
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:<span style="color:#800000;">''Tout le meilleur amy quelle ayt luy nuyst''
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:<span style="color:#800000;">''Chascun son bruit & son renom destruit''
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:<span style="color:#800000;">''Humain repos ne treuue en nulle sorte''
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:<span style="color:#800000;">''Ny a celuy qui de son lieu ne sorte''
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:<span style="color:#800000;">''Pour la greuer/ en son angoesse trop''
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:<span style="color:#800000;">''Brief il ne fault pour tout perdre que vng cop''.
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|<span style="color:#800000;">''Ceste cite tant fameuse et tant belle''
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:<span style="color:#800000;">''Qui en son nom Crestiente sappelle''
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:<span style="color:#800000;">''Est fort troublee & mise en piteux point''
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:<span style="color:#800000;">''Par le grant Turc tartarin infidelle''
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:<span style="color:#800000;">''Qui me contrainct lamenter auec elle''
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:<span style="color:#800000;">''Puis que asprement il nous icque & no9 point''
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:<span style="color:#800000;">''Pour nous greuer/luy ses gens sont en point''
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:<span style="color:#800000;">''Ja descendus/pensez y nobles princes''
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:<span style="color:#800000;">''Paix doit regner en royalles prouinces''.
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La ''Saincte Bible, traduict en Franchois'', éditée par Martin Lempereur et Guillaume Vorsterman à Anvers le 10 décembre 1530, révisée par Nicolas de Leuze, ne manque pas de surprendre par le langage utilisé, particulièrement par son caractère abrupt, souvent ampoulé, toujours imagé, mais sans jamais perdre de sa force ou de sa couleur ni trahir le fond de la pensée des auteurs.
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|<span style="color:#800000;"> <span style="color:#800000;">'''Aleph'''. ''Comment a le Seigneur couvert la fille de Sion dobscurite en sa fureur : il a iette Israel du ciel en la noble terre : & na poĩt en recordation de ses pieds au ior de sa furer''.
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|<span style="color:#800000;"> <span style="color:#800000;">'''Beth'''. ''Le Seigner la precipite & na pas espargne toutes les belles choses de Jacob : il a destruict en sa fureur toutes les munitions de la Vierge de Juda : & les a iette par terre. Il a souille le royaume & ses prĩces''.
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A partir de la Vulgate, la traduction ''françoyse'' des ''Lamentations'', celle attribuée au pédagogue et humaniste Jacques Lefèvre d'Étaples (~1455-1536), le bon homme Fabry (en latin Jacobus Faber Stapulensis), et à son cercle d'amis dont le titre, ''La Saincte Bible en Françoys'', aussi appelée ''Bible d'Anvers'', annonce qu'elle est ''translatee selon la pure et entiere traduction de Sainct Hierome, conferee et entierement revisitee selon les plus anciens et plus correctz exemplaires (1530), affin que aulcunesfois il en peult avoir quelque pasture spirituelle'', est la première en France à rejeter les interprétations exégétiques arbitraires du moyen âge et à restituer le vrai sens de l'Écriture. Il s'agit de prose essentiellement.
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|<span style="color:#800000;"> '''Aleph'''. ''Cõmět est la cité seulle assise, celle q estoit plaine de peuple : La dame des nations est faicte cõe vefue. La principale des prouĩces est faicte tributaire''.
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|<span style="color:#800000;"> '''Beth'''. ''En larmoyant a plouré de nuict, & ses larmes sont en ses ioues. Il ny a nulz de ses amys qui la cõsole. Tous ses amys sont mesprisee, & luy sõt faictz ennemys.''
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La ''Bible de Serrières'' dite également d'Olivétan<sup>[[#6]]</sup>, imprimée en 1535 à Neuchâtel, contemporaine du 1<sup>er</sup> Livre de ''Pantagruel'' de Rabelais (1532), est éditée, avec le faux privilège de Jean Calvin, au cours des troubles nés au sein de l'église catholique avec l'arrivée des courants érémitiques. Elle est basée sur les textes tant ''grecques que ebraicques'' mais cette ''translation'' suivait étroitement celle de Lefèvre tout au moins pour la version des deutérocanoniques et le Nouveau Testament :
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|<span style="color:#800000;"> '''Aleph'''. ''Comment sied seullette la cite tãt peuplee : celle q estoit grosse entre les gentz est faicte cõe vefue la princesse entre les puinces est faicte soubz tribut''.
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|<span style="color:#800000;"> '''Beth'''. ''Elle a fort ploure la nuict ses larmes sont par ses ioues : car elle na nul de tous ses amys qui la console et tous ses prochains ont faict desloyaulment contre elle & luy ont este faictz ennemys''.
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Cette Bible fera l'objet de plusieurs révisions : Jean Calvin en 1560, Théodore de Bèze en 1588, David Martin en 1707 et Jean-Frédéric Ostervald en 1744. Elle subira une nouvelle révision en 1910 pour devenir la ''Bible synodale''.
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En 1540, paraît à Genève la ''Bible à l'épée'', chez l’imprimeur Jean Girard, version en caractères romains de la bible de 1535 de Pierre Olivétan (Nouveau Testament traduit sur les manuscrits gréco-byzantins, dit "Texte majoritaire" ou "Texte reçu").
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Isaac Lhéritier, un compositeur français de la première moitié du XVI<sup>e</sup> siècle, fait publier vers 1540 par ''The Lyons publisher Moderne'' un motet macaronique qui parodie l'un des versets des Lamentations de Jérémie (le verset 1:12) en ces termes suivants :
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|<span style="color:#800000;">'''''O vos omnes''' par trop aventureulx''
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:<span style="color:#800000;">'''''Qui transitis''' cherchant daymer la proye.''
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:<span style="color:#800000;">'''''Per viam''' & soyes curieulx''
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:<span style="color:#800000;">'''''Et videte''' le chemin perilieux.''
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:<span style="color:#800000;">'''''Si est dolor''' reprenez aultre voye''
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:<span style="color:#800000;">'''''O vos omnes'''''
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La Bible de Louvain (1550), un an après la parution de ''La Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse''<sup>[[#7]]</sup>, est une deuxième traduction catholique de la bible en français<sup>[[#8]]</sup>. C'est une ''Saincte Bible nouvellement translatée de latin en françois, selon l'édition latine, dernièrement imprimée à Louvain, reveue, corrigée & approuvée par gens sçavants'' :
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|<span style="color:#800000;"> '''A.''' ''Comment sied seullette la cité, celle qui estoit tãt peuplée. La dame des nations est faicte comme vefue? La principale des prouinces, est faicte soub tribut.''
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|<span style="color:#800000;"> '''Beth'''. ''En larmoiant a plore de nuict, & ses larmes sont en ses ioues : il n'y a aucun de ses amys qui la console : Tous ses amys l'ont mesprisée,& luy sont faictz ennemys.''
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De l'aveu des translateurs, ''ceux-ci ont usé des termes communs et faciles, sans obscuration des parolles non accoustumées aux gentz simples, pour lesquels principalement'' [ont] ''moderé la traduction''.
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Celle de Jean de Tournes (1504-1564), converti au protestantisme en 1545, bible dite de français moyen, a été diffusée en 1551. Le texte est le suivant<sup>[[#9]]</sup> :
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|<span style="color:#800000;"> '''Aleph'''. ''Comment sied seullette la cité tant peuplee? & celle qui estoit grande entre les gens, est faite comme vefue? La princesse des provinces est faite souz tribut?''
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|<span style="color:#800000;"> '''Beth'''. ''Elle plorera la nuict, ses larmes sont par ses iours: & n'y ha aucun de tous ses amis qui la console, & tous ses amis l'ont contemnee, & luy ont esté faits ennemis''.
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Robert Estienne (1498-1559), traducteur et imprimeur, édite en 1553 une version protestante de la Bible, version qui sera retouchée à plusieurs reprises par Jean Calvin (1509-1564) et Théodore de Bèze (1519-1605). La version de 1560 présente le texte suivant<sup>[[#10]]</sup> :
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|<span style="color:#800000;"> א <span style="color:#800000;">''Comment est maintenãt assise seulette la cite tant peuplee ? celle qui estoit grande entre les gens, est faicte comme vefue, la princesse entre les prouinces est faicte tributaire''.
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|<span style="color:#800000;">  ב <span style="color:#800000;">''Elle ne fait que plourer de nuict, ses larmes decoulent par ses ioues : & n'ha nul de tous ses amis qui la console, tous ses prochains se sont portez desloyaument enuers elle, ils luy ont este faicts ennemis''<sup>[[#11]]</sup>.
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La version de 1678, ''reveu et conferé sur les textes hebreux & grecs par les pasteurs & professeurs de l'Eglise de Geneve'', présente bien entendu un texte plus approprié de la fin du XVII<sup>e</sup> siècle<sup>[[#12]]</sup> :
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|<span style="color:#800000;"> '''Aleph'''<sup>[[#13]]</sup>. ''Comment est-il avenu que la ville tant peuplée est gisante<sup>[[#14]]</sup> seulette? que celle qui étoit grande entre les nations, est devenue comme<sup>[[#15]]</sup> veuve? que celle qui étoit dame entre les provinces a été rendue tributaire?''
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|<span style="color:#800000;"> '''Beth'''. ''Elle ne cesse de pleurer<sup>[[#16]]</sup> de nuit, & ses larmes sont sur ses jouës? il n'y a pas un de tous ses amis qui la console : ses intimes amis se sont portés déloyaument contr'elle, & lui sont devenus ennemis.''
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Revenons en 1555, avec l'édition<sup>[[#17]]</sup> de la Bible ''nouvellement translatée'' de Sébastien Castellion (1515-1563), également protestant, professeur de grec à l'université de Bâle, ''le seul traducteur de la Bible en français qui soit, pour le XVIe siècle, réellement innovateur''<sup>[[#18]]</sup> :
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|<span style="color:#800000;"> א ''Commĕt demeure seulette la ville si peuplée : e ressemble a vne vefue, celle qui auoit le plus de gens que nacion quelconque : celle qui étoit maitresse des prouinces, cõment êt elle deuenue taillable''<sup>[[#19]]</sup> ;
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|<span style="color:#800000;">ב ''Elle pleure de nuit<sup>[[#20]]</sup>, e iette des larmes par-dessus ses ioues : il n'y a nul de tous ses amis qui la console : tous ses familiers l'ont trahye, e sont deuenus ses ennemis.''
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Cette publication a eu lieu cinq ans après celle qu'il a faite en latin.
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Guillaume Guéroult (1507-1569), poète, éditeur et musicien français, publie en 1559 à Paris, chez N. Du Chemin des ''Chansons spirituelles'' d'inspiration protestante mises en musique par Didier Lupi<sup>[[#21]]</sup>. Il traite en 47 strophes rimées, des quintils alternant des trisyllabes et des heptasyllabes sous la forme HTHHTH et les rimes se répartissant en AABCCB, les ''Lamentations de Jérémie'' :
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|<span style="color:#800000;"> Aleph. 1. Comment par adversité La Cité
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:<span style="color:#800000;">Jadis heureuse, et peuplée
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:<span style="color:#800000;">Sied seulette sans appuy, Et d'ennuy
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:<span style="color:#800000;">Mortel en son cœur  troublée.
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|<span style="color:#800000;"> Beth.4. Las tesmoings de ses ennuyts Sont les nuycts
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:<span style="color:#800000;">Qu'a larmoyer elle passe,
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:<span style="color:#800000;">Et cognoist on ses douleurs Par les pleurs
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:<span style="color:#800000;">Qui ont arrousé sa face.
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|<span style="color:#800000;"> 2. Comment la Cité clamée, Ronommée
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:<span style="color:#800000;">Excellente entre les gens,
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:<span style="color:#800000;">Est faicte ainsi comme vefve, Qui tous treuve
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:<span style="color:#800000;">A luy nuyre diligens ?
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|<span style="color:#800000;"> 5. Et ny a qui la console Par parolle
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:<span style="color:#800000;">Pas un de tous ses amys :
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:<span style="color:#800000;">Ains ils l'ont abandonnée, Contemnée,
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:<span style="color:#800000;">Se monstrants d'elle ennemys.
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|<span style="color:#800000;">3. Des provinces la princesse A pris cesse
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:<span style="color:#800000;">A sac son beau regne est mis,
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:<span style="color:#800000;">Devenue est solitaire, Tributaire
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:<span style="color:#800000;">A ses plus grands ennemys.
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Pierre de Courcelles de Candes en Touraine, compositeur, a ''mis en vers francois, selon la verité hebraïque'', le Cantique des cantiques avec les Lamentations de Jérémie. La publication<sup>[[#22]]</sup> de 1564 donne la version suivante :
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|<span style="color:#800000;"> ALEPH. א Comment la ville autresfois tant peuplee
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:<span style="color:#800000;">Sied maintenant seulette & despeuplee,
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:<span style="color:#800000;">Comment faicte est la grande dominante
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:<span style="color:#800000;">Entre les gents comme veusue dolente,
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:<span style="color:#800000;">Et la Princesse entre toutes Prouinces
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:<span style="color:#800000;">Assubiectie aux infideles Princes?
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|<span style="color:#800000;"> Beth. ב Pleurant de nuict la pauure malheureuse
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:<span style="color:#800000;">Noye de pleurs sa face doloureuse,
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:<span style="color:#800000;">Et toutesfois en ceste langueur forte,
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:<span style="color:#800000;">De ses cheris aucun ne la conforte,
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:<span style="color:#800000;">Ains ses amis les plus seurs & fidelles
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:<span style="color:#800000;">La mesprisant sont à elle rebelles.
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1566, troisième traduction de la bible catholique<sup>[[#23]]</sup> par René Benoist (1521-1608), ''contenant le Vieil et Nouveau Testament, traduitte en françois selon la version commune, avec annotations nécessaires pour l'intelligence des lieux les plus difficiles et expositions contenantes briefves et familières résolutions des lieux qui ont esté dépravés et corrompus par les hérétiques de nostre temps''. Les notes de bas de page sont du traducteur.
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|<span style="color:#800000;"> ''Comment<sup>[[#24]]</sup> sied seulette la<sup>[[#25]]</sup> cité celle qui estoit tãt peuplée. La dame des nations est faicte<sup>[[#26]]</sup> cõme vefue ? La prĩcipale des prouinces, est assubiectie à tribut''.
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|<span style="color:#800000;"> 2 ''Beth. En larmoiãt elle a ploré de<sup>[[#27]]</sup> nuit & ses larmes sont en ses ioues: Il n'y a aucun de ses amis qui la console: Tous ses amis l'ont mesprisée, & luy sont faitz ennemis''.
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De l'aveu de René Benoist même, l'édition de la Bible n'est qu'une édition protestante révisée.
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L'imprimerie de Christophe Plantin publie (~1520-1589) en 1578 une version  de la ''Saincte Bibl contenant le vieil et novveav testament traduicte de Latin en François auec les Argvmens sur chacun liure, declarans sommairement tout ce que y est contenu''. Elle est traduite en français moyen. Le texte est la reprise de celui de la Bible de Benoist à quelques variantes typographiques près et sans les annotations.
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1584, Daniel Toussain (1541-1602) édite un petit ouvrage<sup>[[#29]]</sup> en prose intitulé ''Les lamentations et saincts regrets dv Prophee Ieremie: Auec Paraphrase & exposition appropriée à ce temps en tovtes sortes lamentable. Povr consoler tovs vrais fideles qui sont sous la Croix, & sentent leur mal: & reueiller ceux qui ne le sentent nonobstant les miseres de nostre temps''. Selon l'auteur, ce ''texte'' [a été] ''selon la verité Hebraique & les plus doctes versions''.
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|<span style="color:#800000;"> ''Aleph I. Comment sied seulette icelle Cité tãt peuplée? & celle qui estoit abondãte entre les nations, est faite comme vefue: & est assuiettie à tribut la Princesse entre les Prouinces?''
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|<span style="color:#800000;"> ''Beth 2. De sorte, qu'elle pleure largement la nuict: arrousant ses ioues de larmes: sans qu'il y ait aucun de ses amis qui la console: qui plus est tous ses plus proches amis, estans deuenus ennemis, se portent desloyaument enuers elle.''
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En 1590, paraît déjà la 1<sup>ère</sup> parodie des Lamentations<sup>[[#30]]</sup>, il s'agit de ''Les Tenebres de la France ov Lamentations qu'elle faict durant ceste Semaine Saincte, sur la rebellion de ses Ligueurs. Par C.P.P. Plus Quelques Pasquilz tirez des chants de Tenebres, ou lamentations de Ieremie. Auec vne conformité des villes de Hierusalem & Paris. Le tout pour introduire les Rebelles & Ligueurs à quelque deuoir de conuersion, s'il leur reste aucun zele de deuotion, a ceste saincte feste de Pasque<sup>[[#31]]</sup>, en Quatrains de mesmes cadences, & soubs pareil ordre Alphabetique, qu'a suiuy le Prophete en ses Threnes, comme aussi le Psalmiste en ses Huictains''.
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|<span style="color:#800000;"> ''Seigneur Dieu tout-puissant, Seigneur Dieu des armees'',
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::<span style="color:#800000;"> ''N'estes vous pas content d'auoir veu tant de sang''
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::<span style="color:#800000;"> ''Ondoyer, ruisseller, reiallir de mon flanc'',
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::<span style="color:#800000;"> ''Rearmant tant de fois mes armes desarmees ?''
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|<span style="color:#800000;"> ''N'estes vous pas content par si longues annees''
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::<span style="color:#800000;"> ''De m'auoir, helas ! veu par les miens fourrager,''
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::<span style="color:#800000;"> ''Piller, voller, brusler, rauager, saccager,''
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::<span style="color:#800000;"> ''Forçant encontre moy mes forces forcenees ?''
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Il s'agit essentiellement de quatrains en alexandrin dont l'auteur est un certain Cl. Pal. Par. ou C.P.P. Sur le 1er verset, l'auteur ajoute le commentaire suivant dans ses Pasqvilz :
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|<span style="color:#800000;"> ''Estant priuee de sa Cour, de ses droicts, honneurs & prerogatiues: & specialement depuis la mort du feu Roy, qui sembloit l'auoir vnicquement espousee, & peculierement choisie & cherie entre toutes les villes de son Royaume, comme vne Iunon sa Carthage, Athenes sa Minerue, & Venus sa Cythere. L'ayant par-dessus toutes, doüee d'excellentes graces & rares perfections, comme ornee & enrichie des plus exquis ioyaux de sa liberalité Royale. Et neantmoins (ingrate!) luy en a pour toute recognoissance en fin donné la mort.''
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''Pour la domination qu'elle a laissé prendre & empieter sur soy par l'Espagnol.''
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Arrive ensuite après la signature par Henri IV de l'''Edit de pacification''<sup>[[#32]]</sup> en avril 1598, édit garantissant la liberté de conscience partout dans le royaume, une 1ère traduction en 1599 encore en quatrains et en alexandrin du sieur François Béroalde de Verville : ''Les Tenebres qvi sont les lamentations de Ieremie. Par le Sieur de VerVille''<sup>[[#33]]</sup>.
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|<span style="color:#800000;"> ''Comment la ville helas, des villes la princesse'',
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::<span style="color:#800000;"> ''Mere de tous les Rois, de la Terre le cœur'',
 +
::<span style="color:#800000;"> ''Desolee d'enfans, de peuple, & de richesse'',
 +
::<span style="color:#800000;"> ''Et venuë tributaire, est cheute sans honneur !''
 +
|<span style="color:#800000;"> ''En larmes toute nuict pleurante se desole'',
 +
::<span style="color:#800000;"> ''Sur ses ioües tousiours se distillent ses pleurs'',
 +
::<span style="color:#800000;"> ''Et de tous ses amans, aucun ne la console'',
 +
::<span style="color:#800000;"> ''Ains ennemis fascheux, mesprisent ses douleurs''.
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== XVII<sup>ème</sup> siècle ==
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En 1602, paraît à La Rochelle les ''Lamentations de Jérémie mises en rime françoise… par P. Claude Dantonet. Elles sont paraphrasées par couplets ou huictains sur le chant du Pseaume cinquant'unième et sont dédiées très hvmblement a Madame sevr unique du Roy''.<sup>[[#34]]</sup> Les huitains sont composés de vers décasyllabiques dont la rime se dispose ainsi ABBACDCD.
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{| align="center" border="0" cellspacing="20" style="background-color:#FCFFE5"
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|<span style="color:#800000;">''I. Helas comment ! cõment est advenu,''
 +
:<span style="color:#800000;">''Ierusalem autresfois tant peuplee'',
 +
:<span style="color:#800000;">''Que l'on te voit seulette depeuplee;''
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:<span style="color:#800000;">''N'ayant de toy, que le nom, retenu ?''
 +
:<span style="color:#800000;">''He ! se peut-il, que celle, qui estoit''
 +
:<span style="color:#800000;">''Des Nations l'outrepasse soit vefve ?''
 +
:<span style="color:#800000;">''Que celle, qui les Provinces dontoit,''
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:<span style="color:#800000;">''Soit au iourd'huy tributaire a leur glaiue ?''</span>
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|<span style="color:#800000;">''ALEPH. ''
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:<span style="color:#800000;">''I. Cõment est advenu, que la ville tant peuplee est''
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:<span style="color:#800000;">''gisãte seulette ! que celle qui estoit grande entre les''
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:<span style="color:#800000;">''Nations est devenue cõme vefue ? que celle qui estoit''
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:<span style="color:#800000;">''dame entre les Provinces a esté rendue tributaire ?''</span>
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|-
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|<span style="color:#800000;">''2. Quel changement ! ceste pauuvre Cité''
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:<span style="color:#800000;">''Faict de ses yeux deux larmeuses fontaines,''
 +
:<span style="color:#800000;">''Pour epuiser le torrent de ses peines'',
 +
:<span style="color:#800000;">''Qui iour & nuict efface sa beauté.''
 +
:<span style="color:#800000;">''Et n'est celuy des ses plus chers amis,''
 +
:<span style="color:#800000;">''Qui la console ; & qui en ses alarmes,''
 +
:<span style="color:#800000;">''Comme feroient ses plus grandz ennemis,''
 +
:<span style="color:#800000;">''Ne la méprise, & ses yeux, & ses larmes.''</span>
 +
 
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|<span style="color:#800000;">''BETH''.
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:<span style="color:#800000;">''2. Elle ne cesse de pleurer de nuict, & ses larmes''
 +
:<span style="color:#800000;">''sont sur ses ioues ; il n'y a pas vn de tous ses amis,''
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:<span style="color:#800000;">''qui la console : ses intimes amis se sont portéz''
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:<span style="color:#800000;">''deloyaument contre elle, & luy sont devenus ennemis.''</span>
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Version du 13 mai 2010 à 15:45


En 1505, Pierre Gringore (1475-1539), poète et dramaturge français, édite une complainte sur la cité chrétienne dont la source repose essentiellement sur les Lamentations de Jérémie#5. Voici le début de la parodie :

[1:1] Helas comment est seulle la cite
Quie regnoye et sans aduersite
Qui plaine estoit de gens et ie la treuue
Tres desolee en soy mendicite
De dueil comblee auec necessite
Et sy estoit comme assez on le preuue
Plaine de gens las elle est faicte veufue
La dame estoit truage on ne luy rend
Peche musse en temps est apparent
[1:2] Ceste cite plorante est toute nuyt
Larmes en loeil elle a pour son debupt
Et nul amy nest qui la reconforte
Tout le meilleur amy quelle ayt luy nuyst
Chascun son bruit & son renom destruit
Humain repos ne treuue en nulle sorte
Ny a celuy qui de son lieu ne sorte
Pour la greuer/ en son angoesse trop
Brief il ne fault pour tout perdre que vng cop.
Ceste cite tant fameuse et tant belle
Qui en son nom Crestiente sappelle
Est fort troublee & mise en piteux point
Par le grant Turc tartarin infidelle
Qui me contrainct lamenter auec elle
Puis que asprement il nous icque & no9 point
Pour nous greuer/luy ses gens sont en point
Ja descendus/pensez y nobles princes
Paix doit regner en royalles prouinces.

La Saincte Bible, traduict en Franchois, éditée par Martin Lempereur et Guillaume Vorsterman à Anvers le 10 décembre 1530, révisée par Nicolas de Leuze, ne manque pas de surprendre par le langage utilisé, particulièrement par son caractère abrupt, souvent ampoulé, toujours imagé, mais sans jamais perdre de sa force ou de sa couleur ni trahir le fond de la pensée des auteurs.

Aleph. Comment a le Seigneur couvert la fille de Sion dobscurite en sa fureur : il a iette Israel du ciel en la noble terre : & na poĩt en recordation de ses pieds au ior de sa furer. Beth. Le Seigner la precipite & na pas espargne toutes les belles choses de Jacob : il a destruict en sa fureur toutes les munitions de la Vierge de Juda : & les a iette par terre. Il a souille le royaume & ses prĩces.


A partir de la Vulgate, la traduction françoyse des Lamentations, celle attribuée au pédagogue et humaniste Jacques Lefèvre d'Étaples (~1455-1536), le bon homme Fabry (en latin Jacobus Faber Stapulensis), et à son cercle d'amis dont le titre, La Saincte Bible en Françoys, aussi appelée Bible d'Anvers, annonce qu'elle est translatee selon la pure et entiere traduction de Sainct Hierome, conferee et entierement revisitee selon les plus anciens et plus correctz exemplaires (1530), affin que aulcunesfois il en peult avoir quelque pasture spirituelle, est la première en France à rejeter les interprétations exégétiques arbitraires du moyen âge et à restituer le vrai sens de l'Écriture. Il s'agit de prose essentiellement.

Aleph. Cõmět est la cité seulle assise, celle q estoit plaine de peuple : La dame des nations est faicte cõe vefue. La principale des prouĩces est faicte tributaire. Beth. En larmoyant a plouré de nuict, & ses larmes sont en ses ioues. Il ny a nulz de ses amys qui la cõsole. Tous ses amys sont mesprisee, & luy sõt faictz ennemys.


La Bible de Serrières dite également d'Olivétan#6, imprimée en 1535 à Neuchâtel, contemporaine du 1er Livre de Pantagruel de Rabelais (1532), est éditée, avec le faux privilège de Jean Calvin, au cours des troubles nés au sein de l'église catholique avec l'arrivée des courants érémitiques. Elle est basée sur les textes tant grecques que ebraicques mais cette translation suivait étroitement celle de Lefèvre tout au moins pour la version des deutérocanoniques et le Nouveau Testament :

Aleph. Comment sied seullette la cite tãt peuplee : celle q estoit grosse entre les gentz est faicte cõe vefue la princesse entre les puinces est faicte soubz tribut. Beth. Elle a fort ploure la nuict ses larmes sont par ses ioues : car elle na nul de tous ses amys qui la console et tous ses prochains ont faict desloyaulment contre elle & luy ont este faictz ennemys.


Cette Bible fera l'objet de plusieurs révisions : Jean Calvin en 1560, Théodore de Bèze en 1588, David Martin en 1707 et Jean-Frédéric Ostervald en 1744. Elle subira une nouvelle révision en 1910 pour devenir la Bible synodale.

En 1540, paraît à Genève la Bible à l'épée, chez l’imprimeur Jean Girard, version en caractères romains de la bible de 1535 de Pierre Olivétan (Nouveau Testament traduit sur les manuscrits gréco-byzantins, dit "Texte majoritaire" ou "Texte reçu").

Isaac Lhéritier, un compositeur français de la première moitié du XVIe siècle, fait publier vers 1540 par The Lyons publisher Moderne un motet macaronique qui parodie l'un des versets des Lamentations de Jérémie (le verset 1:12) en ces termes suivants :

O vos omnes par trop aventureulx
Qui transitis cherchant daymer la proye.
Per viam & soyes curieulx
Et videte le chemin perilieux.
Si est dolor reprenez aultre voye
O vos omnes


La Bible de Louvain (1550), un an après la parution de La Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse#7, est une deuxième traduction catholique de la bible en français#8. C'est une Saincte Bible nouvellement translatée de latin en françois, selon l'édition latine, dernièrement imprimée à Louvain, reveue, corrigée & approuvée par gens sçavants :

A. Comment sied seullette la cité, celle qui estoit tãt peuplée. La dame des nations est faicte comme vefue? La principale des prouinces, est faicte soub tribut. Beth. En larmoiant a plore de nuict, & ses larmes sont en ses ioues : il n'y a aucun de ses amys qui la console : Tous ses amys l'ont mesprisée,& luy sont faictz ennemys.


De l'aveu des translateurs, ceux-ci ont usé des termes communs et faciles, sans obscuration des parolles non accoustumées aux gentz simples, pour lesquels principalement [ont] moderé la traduction.

Celle de Jean de Tournes (1504-1564), converti au protestantisme en 1545, bible dite de français moyen, a été diffusée en 1551. Le texte est le suivant#9 :

Aleph. Comment sied seullette la cité tant peuplee? & celle qui estoit grande entre les gens, est faite comme vefue? La princesse des provinces est faite souz tribut? Beth. Elle plorera la nuict, ses larmes sont par ses iours: & n'y ha aucun de tous ses amis qui la console, & tous ses amis l'ont contemnee, & luy ont esté faits ennemis.


Robert Estienne (1498-1559), traducteur et imprimeur, édite en 1553 une version protestante de la Bible, version qui sera retouchée à plusieurs reprises par Jean Calvin (1509-1564) et Théodore de Bèze (1519-1605). La version de 1560 présente le texte suivant#10 :

א Comment est maintenãt assise seulette la cite tant peuplee ? celle qui estoit grande entre les gens, est faicte comme vefue, la princesse entre les prouinces est faicte tributaire. ב Elle ne fait que plourer de nuict, ses larmes decoulent par ses ioues : & n'ha nul de tous ses amis qui la console, tous ses prochains se sont portez desloyaument enuers elle, ils luy ont este faicts ennemis#11.


La version de 1678, reveu et conferé sur les textes hebreux & grecs par les pasteurs & professeurs de l'Eglise de Geneve, présente bien entendu un texte plus approprié de la fin du XVIIe siècle#12 :

Aleph#13. Comment est-il avenu que la ville tant peuplée est gisante#14 seulette? que celle qui étoit grande entre les nations, est devenue comme#15 veuve? que celle qui étoit dame entre les provinces a été rendue tributaire? Beth. Elle ne cesse de pleurer#16 de nuit, & ses larmes sont sur ses jouës? il n'y a pas un de tous ses amis qui la console : ses intimes amis se sont portés déloyaument contr'elle, & lui sont devenus ennemis.


Revenons en 1555, avec l'édition#17 de la Bible nouvellement translatée de Sébastien Castellion (1515-1563), également protestant, professeur de grec à l'université de Bâle, le seul traducteur de la Bible en français qui soit, pour le XVIe siècle, réellement innovateur#18 :

א Commĕt demeure seulette la ville si peuplée : e ressemble a vne vefue, celle qui auoit le plus de gens que nacion quelconque : celle qui étoit maitresse des prouinces, cõment êt elle deuenue taillable#19 ; ב Elle pleure de nuit#20, e iette des larmes par-dessus ses ioues : il n'y a nul de tous ses amis qui la console : tous ses familiers l'ont trahye, e sont deuenus ses ennemis.


Cette publication a eu lieu cinq ans après celle qu'il a faite en latin.

Guillaume Guéroult (1507-1569), poète, éditeur et musicien français, publie en 1559 à Paris, chez N. Du Chemin des Chansons spirituelles d'inspiration protestante mises en musique par Didier Lupi#21. Il traite en 47 strophes rimées, des quintils alternant des trisyllabes et des heptasyllabes sous la forme HTHHTH et les rimes se répartissant en AABCCB, les Lamentations de Jérémie :

Aleph. 1. Comment par adversité La Cité
Jadis heureuse, et peuplée
Sied seulette sans appuy, Et d'ennuy
Mortel en son cœur troublée.
Beth.4. Las tesmoings de ses ennuyts Sont les nuycts
Qu'a larmoyer elle passe,
Et cognoist on ses douleurs Par les pleurs
Qui ont arrousé sa face.
2. Comment la Cité clamée, Ronommée
Excellente entre les gens,
Est faicte ainsi comme vefve, Qui tous treuve
A luy nuyre diligens ?
5. Et ny a qui la console Par parolle
Pas un de tous ses amys :
Ains ils l'ont abandonnée, Contemnée,
Se monstrants d'elle ennemys.
3. Des provinces la princesse A pris cesse
A sac son beau regne est mis,
Devenue est solitaire, Tributaire
A ses plus grands ennemys.

Pierre de Courcelles de Candes en Touraine, compositeur, a mis en vers francois, selon la verité hebraïque, le Cantique des cantiques avec les Lamentations de Jérémie. La publication#22 de 1564 donne la version suivante :

ALEPH. א Comment la ville autresfois tant peuplee
Sied maintenant seulette & despeuplee,
Comment faicte est la grande dominante
Entre les gents comme veusue dolente,
Et la Princesse entre toutes Prouinces
Assubiectie aux infideles Princes?
Beth. ב Pleurant de nuict la pauure malheureuse
Noye de pleurs sa face doloureuse,
Et toutesfois en ceste langueur forte,
De ses cheris aucun ne la conforte,
Ains ses amis les plus seurs & fidelles
La mesprisant sont à elle rebelles.


1566, troisième traduction de la bible catholique#23 par René Benoist (1521-1608), contenant le Vieil et Nouveau Testament, traduitte en françois selon la version commune, avec annotations nécessaires pour l'intelligence des lieux les plus difficiles et expositions contenantes briefves et familières résolutions des lieux qui ont esté dépravés et corrompus par les hérétiques de nostre temps. Les notes de bas de page sont du traducteur.

Comment#24 sied seulette la#25 cité celle qui estoit tãt peuplée. La dame des nations est faicte#26 cõme vefue ? La prĩcipale des prouinces, est assubiectie à tribut. 2 Beth. En larmoiãt elle a ploré de#27 nuit & ses larmes sont en ses ioues: Il n'y a aucun de ses amis qui la console: Tous ses amis l'ont mesprisée, & luy sont faitz ennemis.

De l'aveu de René Benoist même, l'édition de la Bible n'est qu'une édition protestante révisée.

L'imprimerie de Christophe Plantin publie (~1520-1589) en 1578 une version de la Saincte Bibl contenant le vieil et novveav testament traduicte de Latin en François auec les Argvmens sur chacun liure, declarans sommairement tout ce que y est contenu. Elle est traduite en français moyen. Le texte est la reprise de celui de la Bible de Benoist à quelques variantes typographiques près et sans les annotations.

1584, Daniel Toussain (1541-1602) édite un petit ouvrage#29 en prose intitulé Les lamentations et saincts regrets dv Prophee Ieremie: Auec Paraphrase & exposition appropriée à ce temps en tovtes sortes lamentable. Povr consoler tovs vrais fideles qui sont sous la Croix, & sentent leur mal: & reueiller ceux qui ne le sentent nonobstant les miseres de nostre temps. Selon l'auteur, ce texte [a été] selon la verité Hebraique & les plus doctes versions.

Aleph I. Comment sied seulette icelle Cité tãt peuplée? & celle qui estoit abondãte entre les nations, est faite comme vefue: & est assuiettie à tribut la Princesse entre les Prouinces? Beth 2. De sorte, qu'elle pleure largement la nuict: arrousant ses ioues de larmes: sans qu'il y ait aucun de ses amis qui la console: qui plus est tous ses plus proches amis, estans deuenus ennemis, se portent desloyaument enuers elle.


En 1590, paraît déjà la 1ère parodie des Lamentations#30, il s'agit de Les Tenebres de la France ov Lamentations qu'elle faict durant ceste Semaine Saincte, sur la rebellion de ses Ligueurs. Par C.P.P. Plus Quelques Pasquilz tirez des chants de Tenebres, ou lamentations de Ieremie. Auec vne conformité des villes de Hierusalem & Paris. Le tout pour introduire les Rebelles & Ligueurs à quelque deuoir de conuersion, s'il leur reste aucun zele de deuotion, a ceste saincte feste de Pasque#31, en Quatrains de mesmes cadences, & soubs pareil ordre Alphabetique, qu'a suiuy le Prophete en ses Threnes, comme aussi le Psalmiste en ses Huictains.

Seigneur Dieu tout-puissant, Seigneur Dieu des armees,
N'estes vous pas content d'auoir veu tant de sang
Ondoyer, ruisseller, reiallir de mon flanc,
Rearmant tant de fois mes armes desarmees ?
N'estes vous pas content par si longues annees
De m'auoir, helas ! veu par les miens fourrager,
Piller, voller, brusler, rauager, saccager,
Forçant encontre moy mes forces forcenees ?


Il s'agit essentiellement de quatrains en alexandrin dont l'auteur est un certain Cl. Pal. Par. ou C.P.P. Sur le 1er verset, l'auteur ajoute le commentaire suivant dans ses Pasqvilz :

Estant priuee de sa Cour, de ses droicts, honneurs & prerogatiues: & specialement depuis la mort du feu Roy, qui sembloit l'auoir vnicquement espousee, & peculierement choisie & cherie entre toutes les villes de son Royaume, comme vne Iunon sa Carthage, Athenes sa Minerue, & Venus sa Cythere. L'ayant par-dessus toutes, doüee d'excellentes graces & rares perfections, comme ornee & enrichie des plus exquis ioyaux de sa liberalité Royale. Et neantmoins (ingrate!) luy en a pour toute recognoissance en fin donné la mort.

Pour la domination qu'elle a laissé prendre & empieter sur soy par l'Espagnol.

Arrive ensuite après la signature par Henri IV de l'Edit de pacification#32 en avril 1598, édit garantissant la liberté de conscience partout dans le royaume, une 1ère traduction en 1599 encore en quatrains et en alexandrin du sieur François Béroalde de Verville : Les Tenebres qvi sont les lamentations de Ieremie. Par le Sieur de VerVille#33.

Comment la ville helas, des villes la princesse,
Mere de tous les Rois, de la Terre le cœur,
Desolee d'enfans, de peuple, & de richesse,
Et venuë tributaire, est cheute sans honneur !
En larmes toute nuict pleurante se desole,
Sur ses ioües tousiours se distillent ses pleurs,
Et de tous ses amans, aucun ne la console,
Ains ennemis fascheux, mesprisent ses douleurs.


XVIIème siècle

En 1602, paraît à La Rochelle les Lamentations de Jérémie mises en rime françoise… par P. Claude Dantonet. Elles sont paraphrasées par couplets ou huictains sur le chant du Pseaume cinquant'unième et sont dédiées très hvmblement a Madame sevr unique du Roy.#34 Les huitains sont composés de vers décasyllabiques dont la rime se dispose ainsi ABBACDCD.

I. Helas comment ! cõment est advenu,
Ierusalem autresfois tant peuplee,
Que l'on te voit seulette depeuplee;
N'ayant de toy, que le nom, retenu ?
He ! se peut-il, que celle, qui estoit
Des Nations l'outrepasse soit vefve ?
Que celle, qui les Provinces dontoit,
Soit au iourd'huy tributaire a leur glaiue ?
ALEPH.
I. Cõment est advenu, que la ville tant peuplee est
gisãte seulette ! que celle qui estoit grande entre les
Nations est devenue cõme vefue ? que celle qui estoit
dame entre les Provinces a esté rendue tributaire ?
2. Quel changement ! ceste pauuvre Cité
Faict de ses yeux deux larmeuses fontaines,
Pour epuiser le torrent de ses peines,
Qui iour & nuict efface sa beauté.
Et n'est celuy des ses plus chers amis,
Qui la console ; & qui en ses alarmes,
Comme feroient ses plus grandz ennemis,
Ne la méprise, & ses yeux, & ses larmes.
BETH.
2. Elle ne cesse de pleurer de nuict, & ses larmes
sont sur ses ioues ; il n'y a pas vn de tous ses amis,
qui la console : ses intimes amis se sont portéz
deloyaument contre elle, & luy sont devenus ennemis.

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