2. Les rites protestants
De Lamentations de Jérémie.
Le protestantisme est issu des grandes réformes prônées notamment par Jean Calvin en France et Martin Luther en Allemagne au XVIe siècle. Il connaît aujourd'hui une grande diversité qui est à la fois une force et une faiblesse.
Calvin et Luther n'était pas ignorant de la force musicale dans les offices religieux. Si Luther lui reconnaissait des vertus comme un don de Dieu, et bien qu'il n'ait pas les dons et les connaissances de Luther, il se laissa influencer pour son introduction mais avec mesure :
- Quant est des prières publiques, il y en a deux espèces : les unes se font par simples paroles, les autres avec chant, et ce n'est pas chose inventée depuis peu de temps ; car dès la première origine de l'Eglise, cela a été, comme il appert par les histoires ; et même saint Paul ne parle pas seulement de prier de bouche, mais aussi de chanter. Et, à la vérité, nous connaissons par expérience que le chant a grande force et vigueur d'émouvoir et enflamber le cœur des hommes, pour invoquer et louer Dieu d'un zèle plus véhément et plus ardent .
La Fédération Protestante de France (FPF) en propose la classification non exhaustive suivante :
- Églises luthériennes,
- Églises réformées et méthodistes,
- Églises évangéliques : Armée du Salut, Baptistes, Nazaréen, Adventiste et Mennonites,
- Églises pentecôtistes : Apostolique, de Dieu, Tzigane, Rochefort, Foursquare, Agapé, Baptistes charismatiques, Union d'Églises Protestantes en Mission, etc.,
- Communauté protestante interdénominationnelle en incluant les quakers,
auxquelles il faut rajouter les églises protestantes non implantées en France : Frères moraves, Église non-conformiste, Église presbytérienne, puritains, etc. ou celles présentes en France mais en provenance de pays étrangers : Églises protestantes malgache, africaine, chinoise, coréenne, kabyle, presbytérienne écossaise, luthérienne suédoise, etc.
Chaque Église conduit un culte qui lui est propre et qui peut être différent localement au sein d'une même Église. On peut donc affirmer qu'il n'existe pas un culte unique mais des cultes célébrés dans la tradition de chacune de ces églises.
Toutefois, toutes les célébrations s'appuient sur la parole et le chant. Trait d'union entre toutes les Églises, la Bible est le noyau central d'où sont tirées les lectures et les prédications et ce, quelle que soit l'Église. Le chant, accompagné ou non, repose principalement sur les cantiques de louange et d'adoration.
Comme le précise le pasteur Gill Daudé du Service Œcuménique de la FPF, on doit distinguer les Églises qui n'ont pas une tradition liturgique fixe de celles qui ont une tradition liturgique séculaire.
Dans le 1er cas, les textes bibliques varient suivant l'inspiration du prédicateur, du président du culte ou de l'équipe dirigeante. C'est le cas des Églises pentecôtistes et évangéliques. Dans le 2ème cas, la liturgie est plus précise encore que souvent dépendante du pasteur. C'est le cas des Églises Réformées ou Luthériennes.
Le pasteur Daudé précise par ailleurs que les Lamentations de Jérémie ne sont pas systématiquement lues au cours des cérémonies plus ou moins marquées de la semaine précédant Pâques. Par contre, elles sont proposées à plusieurs occasions au cours du cycle triennal liturgique. Par exemple, dans la liturgie luthérienne actuelle, la lecture en est faite le 5ème dimanche du temps de l'Église de l'année B (versets 3:22 à 33) ou dans l'Église évangélique luthérienne de France ou le 16ème dimanche après la Trinité. Le verset 3:25 est également utilisé comme promesse de grâce après la confession des péchés et avant l'absolution au temps de la Septuagésime. Enfin, les versets 3:22 à 26 & 31 à 33 sont suggérés comme acclamation d'ouverture ou comme une lecture biblique possible lors de services funèbres.
Du côté de l'Église réformée, la rénovation liturgique actuellement en cours n'a pas formalisé le cycle pascal. On sait toutefois, en se référant à l'ancienne liturgie dite liturgie verte de 1963, que les Lamentations n'apparaissent dans aucune lecture si le cycle dure quatre ans, mais sont bien présentes sur un cycle triennal (commun aux Églises luthériennes et réformées) où il est conseillé de lire les versets 1:1 à 5 et 12, 2:1 à 11 et 13 le lundi de la Semaine Sainte, les versets 3:1 à 6, 18 à 27, 39 et 49 à 60 le mardi, les versets 4:1 et 2 à 6, 12 à 16 et 20 le mercredi, et les versets 5:1 à 3 et 15 à 22 le jeudi. Le Samedi Saint, au cours de la vigile pascale, les versets 3:55 à 58 sont lus dans l'adoration du début et les versets 3:1 à 7 et 18 à 33 à choisir dans les lectures.
A titre d'exemple, le rite de la Communcauté des Diaconesses de Reuilly est exposé. Il ne prétend pas être l'illustration de l'ensemble de la communauté protestante. Il reste un exemple.
Rite de la Communauté des Diaconesses de Reuilly
Dans la Communauté des Diaconesses de Reuilly qui suit l'ancien office de Taizé, les Lamentations de Jérémie sont récitées à 8 heures aux Laudes des Jeudi, Vendredi et Samedi Saints. Rappelons que l'ancien office de Taizé est issu des travaux d'un groupe de travail suisse Église et liturgie qui a œuvré dans les années 1960 sur le déroulement des offices.
Les cérémonies au cours desquelles les lamentations sont récitées mais non chantées sont bâties sous forme de veille classique. Elles se déroulent en l'absence du pasteur. La chapelle et notamment l'autel sont dépouillés de tous ses apparats habituels. Il n'y a pas de cérémonial particulier et les sœurs sont réparties en demi-cercle face à l'autel. On retrouve ici l'aspect trinitaire donné à ce rite : trois jours, trois veilles, trois lamentations. Donnés à titre d'exemple, les offices suivent le cycle ci-dessous. Ils concernent la seule communauté monastique de l'hôpital des Diaconesses. En effet, suivant les effectifs et les capacités des communautés composant la congrégation, la structure des offices n'est pas modifiée mais son déroulement est plus ou moins allégé.
Jeudi Saint, matin
1ère veille Antienne : Arrière, ceux que flatte mon malheur ou Mon Dieu, délivre-moi des mains de l'impie. Psaume 70 chanté sur un ton propre à la communauté Verset : Le zèle de ta maison me dévore, Répons : L'insulte qui t'insulte tombe sur moi. Lamentations de Jérémie : versets 1:1 à 5 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) versets 1:6 à 9 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) versets 1:19 à 22 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) Grand Kyrie 2ème veille (enchaînée sans interruption) Antienne : Lève-toi ô Dieu, plaide ta cause. Psaume 41 sur un ton propre à la communauté Verset : Délivre-moi de la main de l'impie, Répons : Des prises du fourbe et du violent. Lecture : Deutéronome 16:1 à 3 Répons : L'esprit est ardent. 3ème veille (enchaînée sans interruption) Antienne : Au jour d'angoisse je cherchais le Seigneur Psaume 77 sur un ton propre à la communauté Verset : Lève-toi, ô Dieu Répons : Plaide ta cause. Lecture : Luc 22:7 à 20 Hymne : Le Fils bien-aimé. Suit la Louange matinale.
Vendredi Saint, matin 1ère veille Antienne : Les rois de la terre se lèvent ou Ils partagent entre eux mes vêtements. Psaume 2 chanté sur un ton propre à la communauté Verset : Le cœur me bat, ma force m'abandonne, Répons : Et même la lumière de mes yeux. Lamentations de Jérémie : versets 3:1 à 9 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) versets 3:10 à 18 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) versets 3:19 à 26 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) Grand Kyrie 2ème veille (enchaînée sans interruption) Antienne : Contre moi ont surgi des orgueilleux, des forcenés pourchassent mon âme. Psaume 26 sur un ton propre à la communauté Verset : Contre moi se sont levés de faux témoins, Répons : Qui soufflent la violence. Lecture : Hébreux 9:11 à 15 Répons : Jésus, souviens-toi de moi. 3ème veille (enchaînée sans interruption) Antienne : On s'attaque à la vie du Juste et le sang innocent on le condamne. Psaume 129 sur un ton propre à la communauté Verset : De paroles de haine on m'entoure Répons : On m'attaque sans raison. Lecture : Jean 18:1 à 11 Hymne : Mon âme est triste à en mourir. Lecture : Jean 18:12 à 27 Hymne : L'esprit est ardent et la chair est faible. Lecture : Jean 18:28 à 40 Hymne : Tu m'as crucifié en délivrant Barabbas. Suit la Louange matinale.
Samedi Saint, matin 1ère veille Antienne : Mon cœur exulte, mon âme jubile, ma chair reposera en sûreté. Psaume 15 chanté sur un ton propre à la communauté Verset : Dans la paix je m'endormirai, Répons : Et bientôt je reposerai. Lamentations de Jérémie : versets 3:27 à 33 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) versets 3:46 à 58 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) versets 5:15 à 22 récités, Jérusalem chanté (André Gouzes) Grand Kyrie 2ème veille (enchaînée sans interruption) Antienne : Je le crois, je verrai la bonté de Dieu sur la terre des vivants. Psaume 30 sur un ton propre au monastère de Lérins Lecture : I Pierre 3:18 à 22 Répons : En raison du mal le juste est enlevé. 3ème veille (enchaînée sans interruption) Antienne : Tu m'as mis au tréfonds de la fosse, dans les ténèbres, au sein des abîmes. Psaume 88 sur un ton propre à la communauté Verset : Voici Dieu qui vient à mon secours Répons : Le Seigneur avec ceux qui me soutiennent. Lecture : Matthieu 27:57 à 66 Hymne : O Christ tu fus déposé dans le tombeau. Méditation. Suit la Louange matinale. En complément de ces indications, notons que le verset 1:12 des Lamentations, également utilisé en répons dans le rite catholique, est également repris au sein de la communauté, le lundi soir et le mercredi matin en réponse à l'Evangile du jour.
Rite de la communauté de Crêt-Bérard Les offices du matin de la Semaine Sainte tel qu'ils sont priés à Crêt-Bérard dans le canton de Vaud en Suisse, retiennent les versets 1:8 à 14 suivis du Jérusalem le Jeudi Saint, les versets 3:1 à 6 pour le Vendredi Saint, le verset 1:12 pour l'introduction de l'office de la 9ème heure du même jour, les versets 3:27 à 33 et 55 à 58 pour le Samedi Saint.
Extrait de L'office divin tel qu'il est prié à Crêt-Bérard. Ed. Labor et fides. Genève. 1987. Montrés comme exemples de pratiques et non comme modèles, les rites sont appliqués de manière souple par le pasteur ou la communauté. Cependant, dans les Églises historiques, des liturgies nationales validées par les synodes servent de référence et maintiennent une certaine unité, en particulier quant à l'Ordo. Ainsi, un luthérien ou un réformé retrouve le même ordre liturgique dominical, à quelques variantes près, dans l'ensemble des paroisses. Ceci est moins vrai pour les liturgies de la Semaine Sainte pour lesquelles règne une plus grande diversité du côté réformé que du côté luthérien, unifiée cependant par les lectures des Evangiles au centre de chaque célébration. Ces liturgies demeurent réformables selon un processus synodal bien déterminé qui engage l'ensemble des paroisses. Sur un plan strictement musical, on trouve quelques cantiques reprenant tout ou partie des textes des Lamentations de Jérémie mais pratiquement pas de composition sacrée comme dans l'Église catholique ou dans les Synagogues.