Les acteurs

De Lamentations de Jérémie.

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Le chant sur le livre semble être une spécificité française. Elle a revêtu une importance inégalée jusqu'à la Révolution à la fin du XVIIIe siècle.  
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Le chant sur le livre semble être une spécificité française. Elle a revêtu une importance inégalée jusqu'à la Révolution à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle.  
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L'abbé Lebeuf, rédacteur ecclésiastique du Mercure de France, explique le procédé en ces termes : "Au moment qu'on commence à faire sonner une note du livre de plain-chant, un musicien qui sait les règles du chant sur le livre, c'est-à-dire qui sait faire des accords, tire du fonds de sa science un, deux, trois ou quatre sons concordants plus ou moins en nombre, suivant la teneur dont les notes du plain-chant sont battues et ainsi en contrepoint jusqu'au bout de la pièce notée en plain-chant. Comme les voix de taille et celles d'au-dessus sont les plus flexibles et les plus maniables, c'est à ces voix qu'on a réservé la pratique de ces accords, et les voix basses chantent seules les notes du livre de plain-chant dont toutes les notes doivent être également mesurées. On y fait abstraction des pauses que les points parsemés dans les discours sembleraient exiger… C'est une manière de débiter le chant qui le rend si uniformément mesuré qu'on peut dire aisément, combien de notes il faut pour remplir l'espace d'un quart d'heure ou d'une demi-heure en comptant celles d'une minute. Cette uniformité du temps pour chaque note du plain-chant qui sert de fondement aux accords, donne un mouvement qui ressemble aux battement réglés et constants que font certains ouvriers, c'est ce qui fait qu'alors on dit que c'est la note qu'on bat, d'où est venu le proverbe qu'un bon basse-contre doit savoir bien battre sa note. On lui donne aussi au chant sur le livre le nom de Fleuretis" .
L'abbé Lebeuf, rédacteur ecclésiastique du Mercure de France, explique le procédé en ces termes : "Au moment qu'on commence à faire sonner une note du livre de plain-chant, un musicien qui sait les règles du chant sur le livre, c'est-à-dire qui sait faire des accords, tire du fonds de sa science un, deux, trois ou quatre sons concordants plus ou moins en nombre, suivant la teneur dont les notes du plain-chant sont battues et ainsi en contrepoint jusqu'au bout de la pièce notée en plain-chant. Comme les voix de taille et celles d'au-dessus sont les plus flexibles et les plus maniables, c'est à ces voix qu'on a réservé la pratique de ces accords, et les voix basses chantent seules les notes du livre de plain-chant dont toutes les notes doivent être également mesurées. On y fait abstraction des pauses que les points parsemés dans les discours sembleraient exiger… C'est une manière de débiter le chant qui le rend si uniformément mesuré qu'on peut dire aisément, combien de notes il faut pour remplir l'espace d'un quart d'heure ou d'une demi-heure en comptant celles d'une minute. Cette uniformité du temps pour chaque note du plain-chant qui sert de fondement aux accords, donne un mouvement qui ressemble aux battement réglés et constants que font certains ouvriers, c'est ce qui fait qu'alors on dit que c'est la note qu'on bat, d'où est venu le proverbe qu'un bon basse-contre doit savoir bien battre sa note. On lui donne aussi au chant sur le livre le nom de Fleuretis" .
Il ne suscite plus guère d'intérêt chez nos musicologues à cause des témoignages peu flatteurs qui nous sont parvenus. L'abbé René Tiron, fin XVIIIe siècle, ne dit-il pas dans ses Souvenirs que le chant sur le livre est une coutume bien ridicule… Aucun musicien de nos jours [~1843], que je sache, n'a aucune idée de ce que veut dire chant sur le livre. C'était un chant improvisé et simultané que faisait chaque musicien, et dont la basse était le plain-chant que chantaient les basse[s]-contre soutenues par le serpent, d'après la mesure battue par le maître de musique. J'ai appris comme les autres ce chant sur le livre, mais les règles en étaient la plus sotte chose du monde. C'étaient les fausses relations qu'il fallait éviter ; le triton qui devait être préparé par la tierce ; la fausse quinte, qui le devait être par la sixte, et autres anomalies de ce genre. En vertu de ces précédentes règles, il pouvait arriver que, tandis qu'un musicien faisait une sixte majeure sur une note, un autre en fit une mineure en même temps. Les chants simultanés qui résultaient d'un tel état de choses formaient la plus horrible cacophonie que l'on pût imaginer. Et voilà cependant un usage qui subsistait dans toutes les églises de France où il y avait un corps de musique."   
Il ne suscite plus guère d'intérêt chez nos musicologues à cause des témoignages peu flatteurs qui nous sont parvenus. L'abbé René Tiron, fin XVIIIe siècle, ne dit-il pas dans ses Souvenirs que le chant sur le livre est une coutume bien ridicule… Aucun musicien de nos jours [~1843], que je sache, n'a aucune idée de ce que veut dire chant sur le livre. C'était un chant improvisé et simultané que faisait chaque musicien, et dont la basse était le plain-chant que chantaient les basse[s]-contre soutenues par le serpent, d'après la mesure battue par le maître de musique. J'ai appris comme les autres ce chant sur le livre, mais les règles en étaient la plus sotte chose du monde. C'étaient les fausses relations qu'il fallait éviter ; le triton qui devait être préparé par la tierce ; la fausse quinte, qui le devait être par la sixte, et autres anomalies de ce genre. En vertu de ces précédentes règles, il pouvait arriver que, tandis qu'un musicien faisait une sixte majeure sur une note, un autre en fit une mineure en même temps. Les chants simultanés qui résultaient d'un tel état de choses formaient la plus horrible cacophonie que l'on pût imaginer. Et voilà cependant un usage qui subsistait dans toutes les églises de France où il y avait un corps de musique."   

Version du 20 juillet 2010 à 10:46

Il serait vain de parler du rituel religieux, du cérémonial romain entre autres, si, en dehors des indications "scéniques" des cérémonies proprement dites, on ne parlait pas de ceux qui les ani-ment, c'est-à-dire des acteurs. Au fond, comme dans les productions théâtrales, il faut réunir plusieurs éléments : les dialogues, la didascalie, les acteurs et les décors. On s'arrêtera là avec le rapprochement du milieu théâtral pour se concentrer sur les officiants des matines de la Semaine Sainte.

Il existe toute une hiérarchie au sein des cathédrales à commencer par son chef suprême, l'évêque qui préside ou non la cérémonie. Ces deux cas sont d'ailleurs présentés séparément dans les cérémoniaux. Comme il ne s'agit pas d'une étude prosopographique. On laissera donc de côté toutes les fonctions hors du domaine musical, même s'il le touche parfois .

Ce chapitre abordera d'abord le chœur bien entendu, mais également les chantres , le maître des enfants, le règlement intérieur d'une maîtrise, les enfants de chœur, le chant sur le livre et le corps de musique.








Le chant sur le livre semble être une spécificité française. Elle a revêtu une importance inégalée jusqu'à la Révolution à la fin du XVIIIe siècle.

L'abbé Lebeuf, rédacteur ecclésiastique du Mercure de France, explique le procédé en ces termes : "Au moment qu'on commence à faire sonner une note du livre de plain-chant, un musicien qui sait les règles du chant sur le livre, c'est-à-dire qui sait faire des accords, tire du fonds de sa science un, deux, trois ou quatre sons concordants plus ou moins en nombre, suivant la teneur dont les notes du plain-chant sont battues et ainsi en contrepoint jusqu'au bout de la pièce notée en plain-chant. Comme les voix de taille et celles d'au-dessus sont les plus flexibles et les plus maniables, c'est à ces voix qu'on a réservé la pratique de ces accords, et les voix basses chantent seules les notes du livre de plain-chant dont toutes les notes doivent être également mesurées. On y fait abstraction des pauses que les points parsemés dans les discours sembleraient exiger… C'est une manière de débiter le chant qui le rend si uniformément mesuré qu'on peut dire aisément, combien de notes il faut pour remplir l'espace d'un quart d'heure ou d'une demi-heure en comptant celles d'une minute. Cette uniformité du temps pour chaque note du plain-chant qui sert de fondement aux accords, donne un mouvement qui ressemble aux battement réglés et constants que font certains ouvriers, c'est ce qui fait qu'alors on dit que c'est la note qu'on bat, d'où est venu le proverbe qu'un bon basse-contre doit savoir bien battre sa note. On lui donne aussi au chant sur le livre le nom de Fleuretis" . Il ne suscite plus guère d'intérêt chez nos musicologues à cause des témoignages peu flatteurs qui nous sont parvenus. L'abbé René Tiron, fin XVIIIe siècle, ne dit-il pas dans ses Souvenirs que le chant sur le livre est une coutume bien ridicule… Aucun musicien de nos jours [~1843], que je sache, n'a aucune idée de ce que veut dire chant sur le livre. C'était un chant improvisé et simultané que faisait chaque musicien, et dont la basse était le plain-chant que chantaient les basse[s]-contre soutenues par le serpent, d'après la mesure battue par le maître de musique. J'ai appris comme les autres ce chant sur le livre, mais les règles en étaient la plus sotte chose du monde. C'étaient les fausses relations qu'il fallait éviter ; le triton qui devait être préparé par la tierce ; la fausse quinte, qui le devait être par la sixte, et autres anomalies de ce genre. En vertu de ces précédentes règles, il pouvait arriver que, tandis qu'un musicien faisait une sixte majeure sur une note, un autre en fit une mineure en même temps. Les chants simultanés qui résultaient d'un tel état de choses formaient la plus horrible cacophonie que l'on pût imaginer. Et voilà cependant un usage qui subsistait dans toutes les églises de France où il y avait un corps de musique." Choron fait allusion dans son Dictionnaire des Musiciens, lui aussi, à cette sorte de chant ; il en fait un tableau assez caricatural : "On pratique en France dans les cathédrales un contrepoint qui se fait à première vue et qu'on appelle chant sur le livre. Pour en avoir une idée, figurez-vous quinze ou vingt chanteurs de toutes sortes de voix, depuis la basse jusqu'au soprano le plus élevé, criant à tue-tête, chacun selon son caprice, sans règle ni dessein et faisant entendre à la fois sur un plain-chant exécuté par des voix rauques tous les sons du système, tant naturels qu'altérés : vous commencerez à concevoir ce que peut être le contrepoint sur le plaint-chant, appelé en France chant sur le livre…" . Il s'agissait pour les chantres et les enfants de chœur d'appliquer en temps réel, comme on dirait aujourd'hui, les règles du contrepoint rigoureux, enseignement prévu dans les maîtrises, qu'Henry Madin essaya d'imposer à la Chapelle Royale en 1738. Toujours est-il, qu'à la cathédrale d'Angers, le Chapitre essaie par l'encouragement financier d'obtenir de ses chantres une coopération active pour chanter sur le livre : l'opposition des chantres et officiers se manifeste dès le 16ème siècle mais elle s'amplifie nettement au 17ème siècle et surtout au 18ème. Au 17ème, le Chapitre essaie de l'encouragement: il verse par faveur, 20 livres à un corbellier pour son assiduité à chanter la musique à l'aigle . Au début du 18ème siècle, une véritable crise menace, si l'on en juge par les ordres réitérés du Chapitre qui ne se soucie aucunement des réticences ou protestations des chantres. 8 Février 1738, les officiers et psalteurs chanteront sur le livre sous peine de mulete. On les avertit à nouveau d'avoir à chanter le chant sur le livre le 12 avril de la même année. Le 3 Août 1743, pour la troisième fois une monition est adressée aux officiers pour qu'ils aient à chanter sur le livre. Le 19 Août 1743, on affiche dans la sacristie que les officiers seront muletés toutes les fois qu'ils refuseront de chanter le chant sur le livre. Le 23 Décembre de la même année, l'Ami du Secrétaire consigne que des officiers continuent de refuser d'obéir. Cette fois, et nous sommes à la veille de Noël, la situation paraît bloquée, car, de son côté, le Chapitre refuse de verser aux officiers une part de leur traitement. L'évêque, Mgr de Vaugirauld, informé sans doute par son secrétaire, Denis Péan, un ancien maître de grammaire de la psallette, intervient alors personnellement auprès du Chapitre. Les bourses qui avaient été fermées aux officiers pour refus de chanter le chant sur le livre sont ouvertes à la sollicitude de M. de Vaugirauld, évêque, qui promit au Chapitre que les officiers chanteraient le chant sur le livre . La question ne sera pas cependant réglée si simplement. Dès le 8 Février 1744, Benesteau, sous-chantre, est cité au Chapitre pour refus de chanter sur le livre. Le 11 Février, le dit Benesteau se soumet aux ordres du Chapitre. Jusqu'à la veille de la révolution le Chapitre restera vigilant et ne démordra pas de ses exigences. Cette musique improvisée présentait-elle un grand intérêt ? D'aucuns blâment sa rudesse, d'autres louent sa spontanéité. Peut-être la qualité des voix y paraissait-elle davantage : l'improvisation permet, en effet, à un musicien de talent de mettre en valeur la qualité de son chant ou de son instrument et la qualité vocale des psalteurs peut difficilement être mise en doute. Mais ce n'est sûrement pas cette ostentation des chantres qui était souhaitée, elle aurait été en pleine contradiction avec les consignes générales données aux psalteurs et résumées dans le De recta Ratione psallendi de Jacques Eveillon, Le chant de l'église n'entend pas être une sorte de séduction des oreilles en vue d'une vaine délectation... On évitera de faire étalage de son art et de sa voix. C'était peut-être aussi un moyen de camoufler la médiocrité du plain-chant dès cette époque et d'introduire plus de variété dans l'expression de la prière. La pratique du chant sur le livre a-t-elle appliquée pour la lecture des Lamentations de Jérémie ? On n'en a pas trace dans les archives. Tout juste, signale-t-on dans l'ouvrage de Toussaint, l'apprentissage du fleuretis et du faux-bourdon d'après un programme détaillé établi en chapitre le 29 août 1646 à Coutances. Mais il ne semble pas que les leçons des ténèbres aient été visées. Une délibération du chapitre de Bayeux du 14 février 1669 nous apprend comment plain-chant et musique étaient exécutés les jours de fête : "il fut également décidé que, désormais, pour la plus grande gloire de Dieu et de son Église, aux fêtes de seconde classe, les musiciens chanteront les hymnes des Vêpres in cantu modulato qu'on appelle en français fleuries, tandis que le Magnificat sera chanté in bombo vulgairement appelé faux-bourdon.

Le corps de musique Presque toujours, un corps de musiciens (habitués ) accompagne le chœur et les chants. Nous en avons une large connaissance, ne serait-ce que par les cantates de Johann Sebastian Bach, pour ne prendre qu'un exemple bien connu. On en trouve également une application également en Italie, en Espagne et aussi, bien entendu, en France. Le corps de musique comprenait deux types de musiciens, appelés quelquefois habitués ou gagistes  : ceux qui étaient attachés en permanence pour soutenir le chœur, c'est le cas par exemple des organistes et des serpentistes (plus rarement d'autres instruments), et ceux qui intervenaient exceptionnellement pour les grandes fêtes (musici forastieri della musica straordinaria à Rome), les processions et les Te Deum. Il ne sera pas fait état des instruments utilisés car on les rencontre un peu tous à des degrés divers et suivant les régions : orgue, orgue portatif (dans le chœur ou au jubé), cornet, sacqueboute, serpent, viole, violon, violoncelle, fagon ou basson, etc., mais aussi cornemuse, ophicléide, clavecin, etc. Ces musiciens, nous les retrouvons assez souvent en chape. C'est ce que révèle Lecerf de Viéville dans un fragment d'une lettre qu'il adresse à Mr l'Abbé *** : il y avoit deux basses de Violon : mais quoi qu'elles servissent assez à la Musique, cela faisoit ce jour-là un effet qui me remit bien-tôt en pensée ce que j'ai tant lû des suites fâcheuses du relâchement. Tous les Musiciens étoient en Chappe, & un d'eux qui joüoit en cét état de la basse de Violon, choquoit plus, ce me semble, par l'indécence de son action, que tous les autres n'édifioient par la bienséance de leur parure. Ils doivent respecter le règlement du chapitre quand bien même leur activité n'est exercée que partiellement au sein de la cathédrale. C'est ainsi que le Chapitre d'Annecy deffend expressement la pratique des Cabarets sans la permission du Président de la Compagnie . Ce même Chapitre sanctionnait plus tard des musiciens qui s'émancipent à faire des actions indécentes en jouant du violon en des bals publics . Il leur demandait également qu'ils menassent une vie exemplaire, exempte de tout dérèglement, sans procès "criminel" avec les voisins, sans disputes et sans querelles graves avec leurs épouses : bref, un musicien de la cathédrale devait vivre en paix avec lui-même et son entourage… Ceux qui contrevenaient à ces règles de bienséance subissaient le châtiment en rapport avec leur faute . Beaucoup d'entre eux s'engagèrent dans les Gardes nationales lorsque leur gagne-pain fut supprimé en 1789. Ainsi, on faisait appel aux musiciens du théâtre ou d'une autre église épiscopale lorsque les circonstances l'exigeaient afin de donner plus d'éclat aux services solennels.

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