L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XVIIIe siècle

De Lamentations de Jérémie.

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Après la Révocation de lEdit de Nantes en octobre 1685#58 par Louis XIV, paraît en 1700, lOffice de la Semaine Sainte selon le Messel & Breviaire Romain#59 de M. de Marolles, Abbé de Villeloin (1600-1681) :

Comment est-il possible que cette Cité qui estoit n'agueres si pompeuse, soit maintenant une abandonnée ? la Reine des Nations est devenuê semblable à une Veuve ; & la Princesse des Provinces est sujette à payer le tribut.
Elle a pleuré toute la nuit, ses larmes ont découlé le long de se joües, & il ne se trouve aucun de ses proches qui la console. Tous ses amis l'ont méprisée, & se sont rendus ses ennemis.

Deux ans plus tard, 1702, un auteur anonyme versifie en rimes croisées une élégie intitulé Les lamentations du prophete Jeremie en elegies et la desolation de tyr, du prophete ezechiel, poeme epique#60. Il précise dans son introduction que chacune de ces Elegies est distinguée l'une de l'autre par stance de différentes longueurs, & par vers de diverses mesures : elles viennent d'être faites & se trouvent à propos pour occuper leur place icy, de même que le Poeme epique qui les suit. On pourra verifier sur le texte si la traduction est fidelle.

Aleph. Comment cette Cité si superbe & si belle,
Est-elle dans les pleurs ;
Ses peuples ne sont plus, & leur fierté rebelle
A comblé ses malheurs ;
De tant de Nations l'auguste souveraine
A vû passer sa pompe, & se couvre de deüil ;
Celle qui des vainqueurs fut autrefois la Reyne,
Par un tribut honteux voit punir son orguëil.
Beth. Elle gemit les nuits, & ses yeux sont en larmes,
Ses traits sont effacez ;
Ceux qui dans sa beauté, soupiroient pour ses charmes,
Avec eux sont passez,
Tous adoroient sa gloire, aucun ne la console ;
Par les dédains presens de ses anciens amis,
Son éclat oublié, chaque instant la désole,
Et ses yeux n'osent voir ceux qu'ils avoient soûmis

La 1ère élégie comprend 22 stances de 8 vers dont un alexandrin, un octosyllabe, un alexandrin, un octosyllabe et enfin 4 alexandrins. La 2nde regroupe encore 22 stances de 8 vers comprenant deux alexandrins, deux octosyllabes, trois alexandrins et un hexasyllabe, tandis que la 3>sup>ème</sup> comprend 66 quatrains comprenant deux octosyllabes, un hexasyllabe et un alexandrin. La 4ème inclut 22 quatrains en alexandrin. La dernière comprend 22 quatrains comprenant un alexandrin, un octosyllabe, un alexandrin et un hexasyllabe. Les rimes sont inégalement réparties : ABAB et ABBA.

C'est également en 1702 que Pierre-Julien de Moncharville (16..-1711), marquis de Châtres, fait paraître chez Jacques Josse à Paris, un ouvrage#61 sur le Nouveau systême de l'univers, ou Idée d'une nouvelle philosophie. Poeme sur Dieu, sur l'ame et sur l'eternité. Origine de la societé, &c. Les Lamentations du prophete Jeremie en elegies. Et la Destruction de Tyr du prophete Ezechiel. Poeme epique.

ALEPH. Comment cette Cité si superbe & si belle,
Est-elle dans les pleurs ;
Ses peuples ne sont plus, & leur fierté rebelle
A comblé ses malheurs ;
De tant de Nations l'auguste souveraine
A vû passer sa pompe, & se couvre de deüil ;
Celle qui des vainqueurs fut autrefois la Reyne,
Par un tribut honteux voit punir son orguëil.
BETH. Elle gemit les nuits, & ses yeux sont en larmes,
Ses traits sont effacez ;
Ceux qui dans sa beauté, soupiroient pour ses charmes,
Avec eux sont passez,
Tous adoroient sa gloire, aucune ne la console ;
Par les dédains presens de ses anciens amis,
Son éclat oublié, chaque instant la désole,
Et ses yeux n'osent voir ceux qu'ils avoient soûmis.

Les strophes comprennent des huitains composés de 6 alexandrins et de 2 hexasyllabes croisées avec les 2 premiers alexandrins.

La Sainte Bible traduite par David Martin (1639-1721)#62, pasteur de l'église wallonne d'Utrecht, possédant les règles et les délicatesses de la langue française, a été éditée à Amsterdam en 1707. Le texte est d'une très grande finesse littéraire :

Comment est-il arrivé que la ville si peuplée se trouve si solitaire ? que celle qui était grande entre les nations est devenue comme veuve ? que celle qui était Dame entre les Provinces a été rendue tributaire ?
Elle ne cesse de pleurer pendant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues ; il n'y a pas un de tous ses amis qui la console ; ses intimes amis ont agi perfidement contre elle, ils sont devenus ses ennemis.

Elle fera l'objet de nombreuses publications ultérieures au cours du XVIIIe siècle.

Le nouveau bréviaire#63 de 1713 concernant L'Office de la Semaine Sainte en Latin et en Francois a l'usage de Rome et de Paris restitue le texte suivant :

Comment cette ville, autrefois si peuplée, est elle maintenant deserte ? elle qui étoit la maîtresse des nations, est devenuë semblable à une veuve : elle qui tenoit le premier rang parmi les Provinces, a été renduë tributaire.
Elle a pleuré toute la nuit, & ses larmes ont coulé le long de se jouës : de tous ses amis, il n'y en a pas un qui la console : ils l'ont tous méprisée, & se sont déclarez ses ennemis.

En 1717, paraît Les Neuf Lamentations de la Société [de Jésus]#64. Il fait suite à la condamnation papale des rites chinois autorisés par les jésuites (1704, 1714) et le discrédit des jésuites sur la scène politique française. Ces neuf Lamentations sont presque tirées à la lettre des trois premières des trois Offices de Tenébres de la Semaine Sainte : on diroit que le Prophete qui les a faites, prévoyoit tout ce qui est arrivée à la Societé ; car on y voit une peinture naturelle & de son bonheur passé, & de sa disgrace presente.

Te. Que notre sort est déplorable ! non, il n'en fût jamais de si digne de compassion : se peut-il que notre Societé, qui étoit la Reine du monde soit maintenant comme veuve & sans secours, & qu'elle porte les mêmes tributs, qu'elle avoit imposés pendant sa domination !
Ter. Dans la nuit affreuse où ses désastres la plongent, son visage est baigné de pleurs ; mais elle a beau gemir, chacun regarde sanspitié sa désolation ; ses voisins sont ravis de la voir abandonnée, & presque tous ses anciens amis la méprisent autant qu'ils l'estimoient autrefois, & sont devenus ses ennemis les plus acharnez.

L'année suivante, en 1718, paraît Les Lamentations de la Société jésuitique, imitées sur celles du prophète Jérémie où l'on pleure les malheurs présens & futurs, dont les Jésuites se sont rendus dignes par leurs excés. Malheur à vous qui pillez les autres, ne serez vous pas aussi pillé ? Malheur à vous qui méprisez les autres, ne serez vous pas aussi meprisé ? Lorsque vous aurez achevé de dépoüiller les autres, vous serez dépoüillé : lorsque vous serez lâs de mépriser les autres, vous tomberez dans le mépris#65. Cette lamentation connaîtra au cours du XVIIIe siècle plusieurs versions.

TE. Que notre sort est déplorable !
Quelle horreur, quel desastre & quelle dureté !
On outrage, on flétrit notre Societé,
Cette Reine si redoutable,
Qui dominoit sur l'Univers,
Elle est veuve, elle souffre un si cruel revers,
Que desolée & solitaire,
Elle est maintenant tributaire
De ceux qu'elle tenoit autrefois dans les fers.
TER. Dans l'efroyable nuit où son destin la plonge,
Son visage est baigné de pleurs :
Bien loin de plaindre ses malheurs,
On les regarde comme un songe.
Personne n'est touché de ses gemissemens :
On rit de ses abbaissemens :
Et ce qu'à peine on devoit croire,
On voit ses plus anciens amis
Se faire un plaisir, une gloire,
Et même une vertu d'être ses ennemis.

Les strophes comprennent des neuvains et des dizains composés respectivement d'un nombre variable d'alexandrins et d'octosyllabes répartis inégalement sans doute au gré de la rime.

En 1739, Nicolas Le Gros (1675-1751) remanie la traduction de Lemaistre de Sacy d'après la Vulgate, et édite la Bible dite de Cologne aux dépens de la Compagnie#66.

[Aleph.] Comment cette ville autrefois si pleine de peuple est-elle maintenant si solitaire : celle qui étoit si grande entre les nations est devenue comme veuve ; la reine des provinces a été assujettie au tribut.
2. [Beth]. Elle ne cesse point de pleurer pendant la nuit, & ses joues sont trempées de ses larmes : de tous ceux qui l'aimoient, il n'y en a pas un qui la console ; tous ses amis l'ont traittés avec perfidie, & sont devenus ses ennemis.

Pascal Quignard en a repris les textes dans son ouvrage Georges de La Tour dont le rapprochement a pu être réalisé par le jeu des chandelles, celles éteintes au cours de la cérémonie des Leçons des Ténèbres, celles des toiles de La Tour : il y a deux grandes chandelles dans notre histoire et elles ont coïncidé dans le temps#67

Charles Le Cène (1647-1703), pasteur à Honfleur puis, après la révocation de l'Edit de Nantes, dans les Provinces-Unies, esquisse dès 1696 un projet de traduction répondant à l'une de ses interrogations pour amener les athées et les libertins à reconnaître Dieu tout en laissant dans les textes les contradictions fréquentes capables d'ébranler la foi. C'est son fils qui fera paraître en 1741, 38 après sa mort, la Nouvelle version Française par Charles le Cène, Amsterdam, chez M. Ch. Le Cène#68.

Comment est il arrivé que cette Ville si peuplée soit demeurée si solitaire ! Comment celle qui étoit grande parmi les Payens, est elle devenuë comme une veuve ! Comment celle qui étoit la Princesse des Provinces, est elle devenuë tributaire !
Elle ne cesse de pleurer la nuit, & ses larmes roulent sur ses jouës ; il n'y a pas un de tous ses amants qui la console, tous ses amis même l'abandonnant perfidement sont devenus ses ennemis.

Le Messel et Breviaire Romain#69 de 1744 en fait la traduction ci-après :

Comment cette Ville, qui étoit autrefois si peuplée, est-elle maintenant abandonnée & déserte ? La maîtresse des Nations est devenuë comme une veuve desolée : celle qui commandoit à tant de Provinces est reduite à payer le tribut.
Elle pleure toute la nuit, & ses jouës sont couvertes de larmes ; de tous ceux qu'elle aimoit, il n'y en a pas un qui se présente pour la consoler : tous ses amis l'ont méprisée, & sont devenus ses ennemis.

La Sainte Bible#70 de Jean-Frédéric Ostervald (1663-1747) de 1744, pasteur, révision de la Bible de Genève dans sa version 1724, a été traduite directement des textes originaux hébreux et grecs mais a gardé la version des Eglises francophones de la Réforme tout en changeant les expressions désuètes (ainsi les eaux coies deviennent les eaux tranquilles#71) et en corrigeant ce qui était indispensable.

Comment est-elle assise solitaire, la ville si peuplée ! Celle qui était grande entre les nations est semblable à une veuve ; la princesse des provinces est devenue tributaire !
Elle pleure durant la nuit, et les larmes couvrent ses joues ; de tous ceux qu'elle aimait aucun ne la console ; tous ses amis ont agi perfidement contre elle, ils sont devenus ses ennemis.

L'année suivante, en 1745, c'est au tour de François-Honorat-Antoine Beauvillier de Saint-Aignan (1682-1751), ancien Evêque-Comte de Beauvais favorable à la Constitution, Pair de France, Abbé de Saint Victor de Marseille, de traduire la Bible à partir de la Vulgate#72. Cette bible a été imprimée à Bruxelles chez Eugéne-Henri Frick.

ALEPH. I. Comment cette ville qui étoit si peuplée, est-elle à présent comme une solitude ? Celle qui dominoit autrefois sur toutes les nations, a été réduite à l'état d'une veuve ; la Reine des Provinces a été assujettie à payer le tribut.
BETH. 2. Elle a répandu, pendant la nuit, un torrent de larmes ; ses joues en ont été arrosées : elle ne reçoit au- [p. 504] cune consolation de ceux qu'elle regardoit comme ses amis ; ils l'ont méprisée, & ils sont devenus ses adversaires.

L'Office de la Semaine Sainte de 1749, reprend les textes bibliques pour offrir la prose suivante :

Comment cette ville autrefois si peuplée est-elle maintenant déserte ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve : celle qui commandoit à tant de provinces, a été assujettie au tribut.
Elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, & ses larmes ont coulé le long de ses joues : de tous ceux qu'elle aimoit, il n'y en a pas un qui la console ; ses amis l'ont tous méprisée, & sont devenus ses ennemis.

En 1750, paraît La Sainte Bible mise en vers par Jean Pierre Isaac Du Bois (Secrétaire de l'Ambassade de Pologne aux Pays-Bas, 1747-1763 fl.) qui est en fait une traduction de l'original anglais publié par John Taylor en 1614. C'est un tout petit ouvrage in-96 de 192 pages comportant deux vers par page#73. Ainsi, l'Ancien Testament est traité en 384 vers, dont six vers pour le livre de Jérémie et deux pour le livre des Lamentations. Dédié au comte de Bruhl, Premier Ministre de S.M. le Roi de Pologne, Electeur de Saxe, cet ouvrage relié présente la préface suivante :

Daignez de cet Ouvrage,
Agréer l'humble Homage ;
Le Tribut est petit ;
Mais l'Audace est heureuse,
A l'Ame généreuse
La Volonté suffit.

et les Lamentations comme suit :

Le Prophête, & Témoin, des Maux de sa Patrie
S'affige nuit & jour, pleure, gémit, & crie.

sans grande considération pour la portée réelle du texte.

Une parodie des Lamentations du prophète Jérémie intitulée Les Lamentations de la province des Jesuites en Portugal, a été éditée en 1759 à Amsterdam#74. Cet ouvrage est préfacé par une note historique qui rappelle que la situation où se voit aujourd'hui le Province des Jésuites en Portugal, a donné lieu à cette Paraphrase. L'Etat de ces Jésuites est à peu près semblable à celui où étoient les Juifs du tems de Jérémie ; & il semble que ce Prophête ait eu en vue la destruction de cette Province, lorsqu'il a décrit celle de Jérusalem. Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, c'en est fait de la Société ; les abominations qu'on attribue aux Jésuites, & dont on a tant de preuves, ne cedent en rien, & surpassent même de beaucoup celles des Juifs. Les uns comme les autres ont mis le comble à leurs iniquités. La punition doit donc être égale… Les notes sont de l'auteur de la parodie.

I Aleph#75. Comment est-il arrivé que notre Province si rempli de sujets, soit déserte#76, & dépouillée de ses chers enfans? Que celle qui passoit pour la plus riche#77, & la plus considérable de la Société, ait été désolée#78 & abandonnée comme une veuve privée de son époux? Que cette Province qui donnoit la Loi, & ne reconnoissoit point de maitre#79, se trouve destituée de ses biens & de son autorité, & dispersée dans d'affreuses prisons?
2. Beth. Elle ne cesse de gémir; la nuit qui procure du repos à tous les hommes, redouble sa douleur. Ses larmes coulent sur ses joues ; il n'y a aucun de tant d'amis#80 qui la flattoient dans le tems de sa prospérité, qui la console dans son affliction. Ses amis intimes, ses propres disciples ont agi contre elle avec perfidie#81, & sont devenus ses accusateurs & ses ennemis.

En 1763, paraît des Lamentations de la société ci-devant dite des Jésuites à l'imitation de celles de Jérémie, où l'on pleure les malheurs dont ils se sont rendus si dignes par leurs forfaits#82. Le texte précédent de 1718 a subi légèrement quelques modifications :

The. Que notre sort est déplorable!
Quelle malheur, quel désordre & quelle dureté !
On outrage, on flétrit notre Societé,
Cette Reine si redoutable,
Qui dominoit sur l'Univers :
Elle est veuve, elle souffre un si cruel revers,
Que désolée & solitaire,
Elle est maintenant tributaire
De ceux qu'elle tenoit autrefois dans les fers.
Ter. Dans l'effroyable nuit où son destin la plonge,
Son visage est baigné de pleurs.
Bien loin de plaindre ses malheurs,
On les regarde comme un songe ;
Personne n'est touché de ses gémissemens :
On rit de ses abaissemens :
Et ce qu'à peine on devroit croire,
On voit ses plus anciens amis
Se faire un plaisir, une gloire
Et même une vertu d'être ses ennemis.

François-Thomas-Marie de Baculard d'Arnaud (1718-1805), en 1769, versifie sa traduction des lamentations sous forme d'une ode#83 dédiée à la reine de Pologne, électrice de Saxe, ode destinée à être chantée. On ne trouve dans la 1ère ode des sizains d'alexandrin avec une structure de rimes identiques : AABCCB. La 2ème ode est également en sizains d'alexandrins à l'exception de l'avant-dernier vers qui est un hexasyllabe. La 3ème ode se constitue de huitains d'alexandrins à l'exception du deuxième qui est un décasyllabe. La 4ème ode est constituée de quatrains d'alexandrins. Enfin, la dernière ode regroupe des huitains alternant des décasyllabes et des alexandrins. A l'exception de la 1ère ode, toutes les strophes présentent des rimes croisées.

Aleph. Quel Spectre en ces Deserts! est-ce Toi ma Patrie,
Du pain de la Douleur, d'amertumes nourrie,
Sous le sac & la cendre aux portes du Tombeau ?
O Sion, est-ce Toi qui meurs dans la poussiere ?
Tes Champs ne m'offrent plus qu'un vaste Cimetiere,
Où fume de la Mort le lugubre Flambeau.
Veuve des Nations, ô Mere misérable,
Tu vois s'évanouïr une Race inombrable :
Seule, de tes malheurs tu supportes le poids !
Ciel ! Qui forgea les fers frémit dans les entraves !
La Reine de la Terre est au rang des Esclaves,
Soumise au dur tribut qu'elle imposoit aux Rois !
Beth. O Nuit, tu la revois les sanglots à la bouche,
De longs ruisseaux de pleurs tremper sa froide couche !
Ils desséchent sa joüe, ils y sont imprimés.
Aucun de ses Amis n'adoucit ses allarmes !
Que dis-je ? les Ingrats insultent à ses larmes !
Tous sont des Loups cruels de sa chair affamés.

En 1775, les Heures de la Semaine sainte, en françois et en latin, à l'usage du diocèse de Cahors#84, donne une nouvelle couleur par sa traduction en prose des Lamentations de Jérémie :

Comment cette ville si pleine de peuple, est-elle maintenant solitaire & désolée ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve ; la Reine des provinces a été assujettie au tribut ; elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, & ses joues sont trempées de ses larmes ; de tous ceux qui lui étoient chers, il n'y en a pas un qui la consolez tous ses amis l'ont méprisée & sont devenus ses ennemis.

Une parodie des Lamentations paraît en 1789, année de révolution sur tous les plans y compris culturelles. Elle a pour titre Semaine-Sainte, ou Les Lamentations du Tiers-Etat#85 :

Aleph. Comment cette Nation si loyale & si respectée, est-elle maintenant sans crédit & sans défense ? La Reine d'un vaste Empire est comme une veuve éplorée ; celle qui commandoit à tant de Provinces, qui couvroit la mer de vaisseaux, la terre de laboureurs ; qui remplissoit les Cités des merveilles des arts & des trésors des deux mondes, gémit aujourd'hui consternée.
Beth. Le Cultivateur pleure toute la nuit, & les joues du Négociant sont couvertes de larmes ; & de tous ceux qu'ils aimoient, qu'ils nourrissoient, pas un ne se présente pour les consoler ; presque tous leurs nourrissons les méprisent, & sont devenus leurs ennemis.

Toujours pour cette même année, un ouvrage intitulé Ténèbres après Pasques#86, parodie encore des Lamentations. Cette fois-ci, c'est l'ensemble de la cérémonie qui est parodié et tout n'est pas inspiré des Lamentations. On y trouve donc :

Sur la 1ère leçon :

Comment nos asyles autrefois si peuplés, sont-ils maintenant abandonnées & déserts ? Les Maîtres des Peuples sont désolés ; eux qui commandoient à tant de Nations, à tant de Rois, vont être incessamment contraints de coopérer aux Charges & aux Impositions publiques !

Sur la 2e leçon :

Pleurez, pleurez, vos immenses richesses ne s'augmenteront plus ! Vos Palais, vos Temples vont perdre de leur éclat ; ils ne pourront s'embellir que de vos propres vertus ! Pleurez, Enfans de Sion ; pleurez ! Ces Peuples, ces Rois, ces Nations, autrefois vos esclaves, vont devenir vos Maîtres. Pleurez, enfans de Sion, le grand jour s'approche. Ministres des Autels votre règne est passé.

puis plus loin :

Le Célébrant dit :
Flectamus genua.
Le Peuple répond :
Levate.
La Révolution est en marche.

En 1790, peu de temps avant la mort de Louis XVI, mais après l'émigration de la majeure partie de la cour en juillet 1789, un courtisan citoyen donne une réponse aux Lamentations du prophète Jérémie dans Les Tenèbres de la cour#87. Il parodie en prose les trois leçons du premier nocturne, dans lesquelles le courtisan citoyen pleure la ruine de la cour & la captivité ou l'éloignement des grands. En voici le début.

COMMENT cette cour qui étoit autrefois si nombreuse est-elle maintenant abandonnée et déserte ? La principale cour de l'europe est devenue comme une veuve désolée ; celle qui commandoit à tant de provinces , est réduite à payer un tribut.
Elle pleure toute la nuit, et ses joues sont couvertes de larmes. De tous ceux qu'elle aimoit , il n'y en a pas un qui se présente pour la consoler ; tous ses amis l'ont abandonnée , et ont laissé le champ libre au peuple qu'elle traitoit en ennemi.

La Chronique brabançonne, dédiée au bons amis de la liberté (1790), contient dans les premières pages une chronique du tems qui rappelle quelques versets des Lamentations#88.

Un nouveau jour enfin se lève pour le Belge.
32 Comment est-il arrivé qu'une cité si bien habitée est devenue déserte, elle qui était fameuse entre les nations, Princesses, de Provinces est sur le point d'être tributaire & de rendre hommage au général des Payens, gardez-vous d'en parler dans Mons, gardez-vous de le publier dans les rues de Gand.

En mars 1790, paraît un ouvrage appelé "Commentaire sur les Lamentations de Jérémie", commentaire écrit par M. Hamon de Port-Royal qui ne cite que les versets en latin. L'auteur de l'édition dudit Commentaire, non cité dans l'ouvrage, donne sa propre traduction française des versets latins :

Aleph. Comment demeure assise, solitaire, cette ville si pleine de peuple ? Comment la maitresse des nations est-elle devenue comme veuve ? Comment la Reine des Provinces a-t-elle été assujétie au tribut ?
Beth. Elle pleure le long de la nuit, & ses larmes demeurent sur ses joues. De tous ses amis, personne ne la console. Tous ses amis l'ont méprisée, & sont devenus ses ennemis.

L'Avertissement, rédigé au lendemain de la Révolution française et figurant en tête de l'ouvrage, précise que le présent Commentaire, qui n'a malheureusement que trop d'application à cette lie des siecles dans laquelle nous vivons, fut composé, il a plus de cent ans, (& vraisemblablement plus de cent vingt,) par un homme plein des vues de l'Ecriture, des Peres de l'Eglise, & sur-tout de S. Grégoire-le-grand, sur les malheurs des derniers temps : par M. Hamon de Port-Royal.

Au cours de cette même période, paraît l'Office de la Semaine Sainte (1791) dans laquelle figure une nouvelle traduction le texte des Lamentations en ces termes :

Aleph. Comment cette ville qui était autrefois si peuplée, est-elle maintenant abandonnée & déserte ? la maîtresse des nations est devenue comme une veuve désolée : celle qui commandait à tant de Provinces est réduite à payer le tribut.
Beth. Elle pleure toute la nuit, & ses joues sont couvertes de larmes : de tous ceux qu'elle aimait , il n'y en a pas un qui se présente pour la consoler: tous ses amis l'ont méprisée , & sont devenus ses ennemis.


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58. C'est également à cette époque que paraît l'interdiction aux imprimeurs et aux libraires d'imprimer et de diffuser des livres de la R.P.R. (Religion Prétendue Réformée) par l'Edit du 29 août 1685.

59. L'Office de la Semaine Sainte selon le Messel & Breviaire Romain, avec la Concordance du Messel, & Breviaire de Paris. Ensemble l'explication des Sacrez Mysteres representez par les Ceremonies de cet Ordre. Par Fr. Daniel de Cigongne, de l'Ordre de Saint François. A Paris, Par la Compagnie des Libraires associez au Livre de la Semaine Sainte. M. DCC [Collé sur cette page en bas, une indication provenant sans doute d'une page arrachée du livre : A Paris, rue S. Jacques, Chez Jean Guignard, devant la Ruë du Plâtre, à l'Image S. Jean.). Ouvrage dédié à Monseigneur Molé, Garde des Sceaux de France. (Coll. pers.)

60. F-Pn, Ye 35577.

61. F-Psg, 8 Z 6247 INV 9460 RES, pp. 112 et s., F-Pa, 8-T-1142, pp. 112 et s.

62. La Sainte Bible, qui contient le vieux et le nouveau testament, expliquez par des notes de théologie & de critique sur la version ordinaire des églises réformées, revûe sur les originaux, & retouchée dans le langage, http://desmond.oshea.free.fr/ ; version 1855 identique.

63. + Les sept Pseaumes de la Penitence, les Litanies, & les Prieres pour la Confession & Communion, tirées de l'Ecriture Sainte ; avec l'Ordinaire de la Messe. Nouvelle Edition. Paris. Chez Jean Lesclapart, à l'entrée du Quay des Augustins, à l'Esperance couronnée. M. DCC. XIII. Avec Privilege du Roy. (Coll. Pers.)

64. F-Pn, 8-LF76-94, pp. 2 et s.

65. F-Pa, 8-BL-15348 (3).

66. F-Pn, A-5910, pp. 562 et s.

67. Éd. Flohic, 1991 ; Éd. Galilée, 2005.

68. La Sainte Bible, contenant les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament : Nouvelle Version Françoise. Par Charles Le Cène, Tome second, Amsterdam, Chez Michel Charles Le Cène, 1741, pp. 591 et s (F-Pn, A-328).

69. L'Office de la Semaine Sainte Francois et Latin. [...] Avec Une Méditation pour chaque jour de la Quinzaine, l'explication des Cérémonies de l'Eglise, quelques Remarques sur l'Office, & des Prieres pour la Confession & la Communion. Traduction nouvelle. A Paris. Par la Socie'te' des Libraires, M.DCC.XLIV. (Coll. Pers.)

70. La Sainte Bible, qui contient le vieux et le nouveau testament, c'est-à-dire l'ancienne et la nouvelle alliance, revuë et corrigée sur le texte hébreu et grec par les pasteurs et les professeurs de l'église de Genève, avec les nouveaux arguments et les nouvelles réflexions sur chaque chapitre de l'Ecriture sainte, par J. F. Ostervald, Pasteur de l'église de Neufchâtel.

71. Les Bibles en français du moyen âge à nos jours, sous la direction de Pierre-Maurice Bogaert, Brepols, 1991, p. 130.

72. F-Pn, A-2434, pp. 495 et s.

73. F-Pa, Réserve 8-T-129 (1), La Sainte Bible, Mise en Vers par J.P.J. Du Bois, A la Haye, Chés P. Servas, 1752, pp. 157 et s.

74. F-Pa, 8-H-20417.

75. Jérémie & David ont composé des Lamentations & des Pseaumes ou Cantiques, ensorte que chaque verset commence par une des lettres de l'Alphabet des Hébreux selon l'ordre des lettres, afin de soulager la mémoire de ceux qui voudroient les apprendre par cœur.

76. La Province de Portugal qui comprend les missions du Brésil, des Indes & des Places d'Afrique qui sont sous la domination de la Couronne de Portugal, étoit sans contredit la plus considérable de la Société ; aujourd'hui cette Province paroît être sur le point d'être anéantie, les membres qui la composoient étant enfermés dans des cachots, ou au moins gardés à vue dans leur Couvent par des soldats.

77. Ces Réligieux, par le commerce immense qu'ils faisoient par le moyen de leurs missions, ont acquis des richesses qui les mettent en état de faire tête au Rois d'Espagne & de Portugal dans le Paraguai, & de corrompre tous ceux qui pourroient leur nuire.

78. Rien n'est plus triste que la situation des Jésuites en Portugal. Tous les Prélats & les Chapitres leur ont interdit de prêcher & de confesser, & ont excommunié les fideles qui iroient les entendre. Le ROI les ayant dépouillés de tous leurs biens, & même des provisions de bouche qui se sont trouvées dans leurs maisons, ne leur a accordé que six sols d'Hollande, ou douze sols de France pour leur subsistance.

79. Toute la terre est témoin de la manœuvre criminelle des Jésuites pour dominer dans les plus puissantes Cours de l'Europe. La Cour de Portugal leur a toujours été assujettie jusqu'au regne de JOSEPH I. actuellement regnant.

80. Tous ceux qui les craignoient ou le aimoient, ayant su qu'ils étoient complices de l'attentat commis contre la personne du ROI, se sont retirés d'eux, & n'ont ni osé ni pu les protéger.

81. La Marquise de Tavora & les autres complices séduits par les prétendues prophéties, les prédications, & les exercices spirituelles du fameux P. Malagrida, ont avoué que les Jésuites avoient su lever les scrupules qu'ils avoient d'exécuter leur horrible complot.

82. F-Pn, YE-25386, pp. 3 et s.

83. Lamentations de Jéremie. Odes par M. D'Arnaud. Audite Populi, Reges Terræ, & erudimini. Nouvelle édition. A Paris, Chez Le Jay, Libraire, rue Saint Jacques, au-dessus de la rue des Mathurins, au Grand Corneille. M.DCC.LXIX. Avec Approbation & Privilége du Roi. (F-Pn, YC-8770)

84. Heures de la Semaine sainte, En françois et en latin, a l'usage du diocese de Cahors, Imprimées par l'ordre de Monseigneur l'Evêque. A Cahors. Chez François Richard, Imprimeur de Monseigneur l'Evêque & du Clergé. M. DCC LXXV. (F-Pn, B-8730)

85. F-Pn, 8-Lb39 1496.

86. F-Pn, MFICHE LB39- 1497.

87. F-Pn, 8-Lb39-3178.

88. Bruxelles, Jean-Louis de Boubers, F-Pn, MP-3007.

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