L'évolution du texte biblique français depuis son origine - Introduction

De Lamentations de Jérémie.


Le latin est traditionnellement utilisé pour chanter les Lamentations de Jérémie au cours du Triduum Sacrum de la Semaine Sainte. Le texte biblique français est, bien entendu, plus récent même s'il faut remonter au XIIe siècle pour avoir un aperçu des premières traductions. Un rapide coup d'œil sur les textes depuis le Moyen Âge permet de constater les évolutions du vocabulaire et de l'orthographe. On est loin de l'emploi de notre traditionnel françois.

La présentation qui est faite dans ce chapitre ne prétend pas faire un historique de toutes les versions françaises de la Bible. Elles sont là pour présenter modestement cette évolution qui ne concerne que le Vieux ou l'Ancien Testament. Il ne s'agit pas non plus de relater une histoire des versions françaises mais au fur et à mesure de la glanure des textes, on s'aperçoit rapidement de l'intérêt de les réunir dans un chapitre particulier.

Les citations reprennent l'orthographe ancienne, ce qui en rend la lecture un peu difficile mais qui permet de mieux apprécier l'évolution de la langue dans la version qu'en a voulu le traducteur. C'est le cas des u et des v, des ß, des f et des s, des i et des j, etc., qui, dans certains cas, rendent la lecture délicate : vefue ou veufue pour veufve, devenu plus tard veuve ; deuindzent pour devindrent puis devinrent, etc.

Il a semblé intéressant de présenter quelques extraits au fil des siècles en intercalant des parodies, des paraphrases, car ces lamentations ne laissent pas insensibles et la transposition caricaturale ou dramatique qui en est faite, traduit toujours une lueur d'espoir (ou de révolte) dans un torrent de plaintes.

Le texte étant fort long, à quelques exceptions près, seuls les versets 1 et 2 du 1er chapitre, les plus connus, servent d'illustration.

La Bible, jusqu'au XVe siècle, est un compromis entre les écritures et l'histoire : elle réorganise les livres en le complétant d'extraits pris à des historiens profanes.


Sommaire

L'évolution du texte biblique français depuis son origine - Avant le XVIe siècle

L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XVIe siècle

L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XVIIe siècle

L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XVIIIe siècle

L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XIXe siècle

L'évolution du texte biblique français depuis son origine - XXe siècle

Après la Révocation de l'Edit de Nantes en octobre 1685 par Louis XIV, paraît en 1700, l'Office de la Semaine Sainte selon le Messel & Breviaire Romain de M. de Marolles, Abbé de Villeloin (1600-1681) :

Comment est-il possible que cette Cité qui estoit n'agueres si pompeuse, soit maintenant une abandonnée ? la Reine des Nations est devenuê semblable à une Veuve ; & la Princesse des Provinces est sujette à payer le tribut. Elle a pleuré toute la nuit, ses larmes ont découlé le long de se joües, & il ne se trouve aucun de ses proches qui la console. Tous ses amis l'ont méprisée, & se sont rendus ses ennemis.

Deux ans plus tard, 1702, un auteur anonyme versifie en rimes croisées une élégie intitulé Les lamentations du prophete Jeremie en elegies et la desolation de tyr, du prophete ezechiel, poeme epique . Il précise dans son introduction que chacune de ces Elegies est distinguée l'une de l'autre par stance de différentes longueurs, & par vers de diverses mesures : elles viennent d'être faites & se trouvent à propos pour occuper leur place icy, de même que le Poeme epique qui les suit. On pourra verifier sur le texte si la traduction est fidelle.

Aleph. Comment cette Cité si superbe & si belle, Est-elle dans les pleurs ; Ses peuples ne sont plus, & leur fierté rebelle A comblé ses malheurs ; De tant de Nations l'auguste souveraine A vû passer sa pompe, & se couvre de deüil ; Celle qui des vainqueurs fut autrefois la Reyne, Par un tribut honteux voit punir son orguëil. Beth. Elle gemit les nuits, & ses yeux sont en larmes, Ses traits sont effacez ; Ceux qui dans sa beauté, soupiroient pour ses charmes, Avec eux sont passez, Tous adoroient sa gloire, aucun ne la console ; Par les dédains presens de ses anciens amis, Son éclat oublié, chaque instant la désole, Et ses yeux n'osent voir ceux qu'ils avoient soûmis

La 1ère élégie comprend 22 stances de 8 vers dont un alexandrin, un octosyllabe, un alexandrin, un octosyllabe et enfin 4 alexandrins. La 2nde regroupe encore 22 stances de 8 vers comprenant deux alexandrins, deux octosyllabes, trois alexandrins et un hexasyllabe, tandis que la 3ème comprend 66 quatrains comprenant deux octosyllabes, un hexasyllabe et un alexandrin. La 4ème inclut 22 quatrains en alexandrin. La dernière comprend 22 quatrains comprenant un alexandrin, un octosyllabe, un alexandrin et un hexasyllabe. Les rimes sont inégalement réparties : ABAB et ABBA. C'est également en 1702 que Pierre-Julien de Moncharville (16..-1711), marquis de Châtres, fait paraître chez Jacques Josse à Paris, un ouvrage sur le Nouveau systême de l'univers, ou Idée d'une nouvelle philosophie. Poeme sur Dieu, sur l'ame et sur l'eternité. Origine de la societé, &c. Les Lamentations du prophete Jeremie en elegies. Et la Destruction de Tyr du prophete Ezechiel. Poeme epique.

ALEPH. Comment cette Cité si superbe & si belle, Est-elle dans les pleurs ; Ses peuples ne sont plus, & leur fierté rebelle A comblé ses malheurs ; De tant de Nations l'auguste souveraine A vû passer sa pompe, & se couvre de deüil ; Celle qui des vainqueurs fut autrefois la Reyne, Par un tribut honteux voit punir son orguëil. BETH. Elle gemit les nuits, & ses yeux sont en larmes, Ses traits sont effacez ; Ceux qui dans sa beauté, soupiroient pour ses charmes, Avec eux sont passez, Tous adoroient sa gloire, aucune ne la console ; Par les dédains presens de ses anciens amis, Son éclat oublié, chaque instant la désole, Et ses yeux n'osent voir ceux qu'ils avoient soûmis.

Les strophes comprennent des huitains composés de 6 alexandrins et de 2 hexasyllabes croisées avec les 2 premiers alexandrins. La Sainte Bible traduite par David Martin (1639-1721) , pasteur de l'église wallonne d'Utrecht, possédant les règles et les délicatesses de la langue française, a été éditée à Amsterdam en 1707. Le texte est d'une très grande finesse littéraire :

Comment est-il arrivé que la ville si peuplée se trouve si solitaire ? que celle qui était grande entre les nations est devenue comme veuve ? que celle qui était Dame entre les Provinces a été rendue tributaire ? Elle ne cesse de pleurer pendant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues ; il n'y a pas un de tous ses amis qui la console ; ses intimes amis ont agi perfidement contre elle, ils sont devenus ses ennemis.

Elle fera l'objet de nombreuses publications ultérieures au cours du XVIIIe siècle. Le nouveau bréviaire de 1713 concernant L'Office de la Semaine Sainte en Latin et en Francois a l'usage de Rome et de Paris restitue le texte suivant :

Comment cette ville, autrefois si peuplée, est elle maintenant deserte ? elle qui étoit la maîtresse des nations, est devenuë semblable à une veuve : elle qui tenoit le premier rang parmi les Provinces, a été renduë tributaire. Elle a pleuré toute la nuit, & ses larmes ont coulé le long de se jouës : de tous ses amis, il n'y en a pas un qui la console : ils l'ont tous méprisée, & se sont déclarez ses ennemis.

En 1717, paraît Les Neuf Lamentations de la Société [de Jésus] . Il fait suite à la condamnation papale des rites chinois autorisés par les jésuites (1704, 1714) et le discrédit des jésuites sur la scène politique française. Ces neuf Lamentations sont presque tirées à la lettre des trois premières des trois Offices de Tenébres de la Semaine Sainte : on diroit que le Prophete qui les a faites, prévoyoit tout ce qui est arrivée à la Societé ; car on y voit une peinture naturelle & de son bonheur passé, & de sa disgrace presente.

Te. Que notre sort est déplorable ! non, il n'en fût jamais de si digne de compassion : se peut-il que notre Societé, qui étoit la Reine du monde soit maintenant comme veuve & sans secours, & qu'elle porte les mêmes tributs, qu'elle avoit imposés pendant sa domination ! Ter. Dans la nuit affreuse où ses désastres la plongent, son visage est baigné de pleurs ; mais elle a beau gemir, chacun regarde sanspitié sa désolation ; ses voisins sont ravis de la voir abandonnée, & presque tous ses anciens amis la méprisent autant qu'ils l'estimoient autrefois, & sont devenus ses ennemis les plus acharnez.

L'année suivante, en 1718, paraît Les Lamentations de la Société jésuitique, imitées sur celles du prophète Jérémie où l'on pleure les malheurs présens & futurs, dont les Jésuites se sont rendus dignes par leurs excés. Malheur à vous qui pillez les autres, ne serez vous pas aussi pillé ? Malheur à vous qui méprisez les autres, ne serez vous pas aussi meprisé ? Lorsque vous aurez achevé de dépoüiller les autres, vous serez dépoüillé : lorsque vous serez lâs de mépriser les autres, vous tomberez dans le mépris . Cette lamentation connaîtra au cours du XVIIIe siècle plusieurs versions.

TE. Que notre sort est déplorable ! Quelle horreur, quel desastre & quelle dureté ! On outrage, on flétrit notre Societé, Cette Reine si redoutable, Qui dominoit sur l'Univers, Elle est veuve, elle souffre un si cruel revers, Que desolée & solitaire, Elle est maintenant tributaire De ceux qu'elle tenoit autrefois dans les fers. TER. Dans l'efroyable nuit où son destin la plonge, Son visage est baigné de pleurs : Bien loin de plaindre ses malheurs, On les regarde comme un songe. Personne n'est touché de ses gemissemens : On rit de ses abbaissemens : Et ce qu'à peine on devoit croire, On voit ses plus anciens amis Se faire un plaisir, une gloire, Et même une vertu d'être ses ennemis.

Les strophes comprennent des neuvains et des dizains composés respectivement d'un nombre variable d'alexandrins et d'octosyllabes répartis inégalement sans doute au gré de la rime. En 1739, Nicolas Le Gros (1675-1751) remanie la traduction de Lemaistre de Sacy d'après la Vulgate, et édite la Bible dite de Cologne aux dépens de la Compagnie .

[Aleph.] Comment cette ville autrefois si pleine de peuple est-elle maintenant si solitaire : celle qui étoit si grande entre les nations est devenue comme veuve ; la reine des provinces a été assujettie au tribut. 2. [Beth]. Elle ne cesse point de pleurer pendant la nuit, & ses joues sont trempées de ses larmes : de tous ceux qui l'aimoient, il n'y en a pas un qui la console ; tous ses amis l'ont traittés avec perfidie, & sont devenus ses ennemis.

Pascal Quignard en a repris les textes dans son ouvrage Georges de La Tour dont le rapprochement a pu être réalisé par le jeu des chandelles, celles éteintes au cours de la cérémonie des Leçons des Ténèbres, celles des toiles de La Tour : il y a deux grandes chandelles dans notre histoire et elles ont coïncidé dans le temps… Charles Le Cène (1647-1703), pasteur à Honfleur puis, après la révocation de l'Edit de Nantes, dans les Provinces-Unies, esquisse dès 1696 un projet de traduction répondant à l'une de ses interrogations pour amener les athées et les libertins à reconnaître Dieu tout en laissant dans les textes les contradictions fréquentes capables d'ébranler la foi. C'est son fils qui fera paraître en 1741, 38 après sa mort, la Nouvelle version Française par Charles le Cène, Amsterdam, chez M. Ch. Le Cène .

Comment est il arrivé que cette Ville si peuplée soit demeurée si solitaire ! Comment celle qui étoit grande parmi les Payens, est elle devenuë comme une veuve ! Comment celle qui étoit la Princesse des Provinces, est elle devenuë tributaire ! Elle ne cesse de pleurer la nuit, & ses larmes roulent sur ses jouës ; il n'y a pas un de tous ses amants qui la console, tous ses amis même l'abandonnant perfidement sont devenus ses ennemis.

Le Messel et Breviaire Romain de 1744 en fait la traduction ci-après :

Comment cette Ville, qui étoit autrefois si peuplée, est-elle maintenant abandonnée & déserte ? La maîtresse des Nations est devenuë comme une veuve desolée : celle qui commandoit à tant de Provinces est reduite à payer le tribut. Elle pleure toute la nuit, & ses jouës sont couvertes de larmes ; de tous ceux qu'elle aimoit, il n'y en a pas un qui se présente pour la consoler : tous ses amis l'ont méprisée, & sont devenus ses ennemis.

La Sainte Bible de Jean-Frédéric Ostervald (1663-1747) de 1744, pasteur, révision de la Bible de Genève dans sa version 1724, a été traduite directement des textes originaux hébreux et grecs mais a gardé la version des Eglises francophones de la Réforme tout en changeant les expressions désuètes (ainsi les eaux coies deviennent les eaux tranquilles ) et en corrigeant ce qui était indispensable.

Comment est-elle assise solitaire, la ville si peuplée ! Celle qui était grande entre les nations est semblable à une veuve ; la princesse des provinces est devenue tributaire ! Elle pleure durant la nuit, et les larmes couvrent ses joues ; de tous ceux qu'elle aimait aucun ne la console ; tous ses amis ont agi perfidement contre elle, ils sont devenus ses ennemis.

L'année suivante, en 1745, c'est au tour de François-Honorat-Antoine Beauvillier de Saint-Aignan (1682-1751), ancien Evêque-Comte de Beauvais favorable à la Constitution, Pair de France, Abbé de Saint Victor de Marseille, de traduire la Bible à partir de la Vulgate . Cette bible a été imprimée à Bruxelles chez Eugéne-Henri Frick.

ALEPH. I. Comment cette ville qui étoit si peuplée, est-elle à présent comme une solitude ? Celle qui dominoit autrefois sur toutes les nations, a été réduite à l'état d'une veuve ; la Reine des Provinces a été assujettie à payer le tribut. BETH. 2. Elle a répandu, pendant la nuit, un torrent de larmes ; ses joues en ont été arrosées : elle ne reçoit au- [p. 504] cune consolation de ceux qu'elle regardoit comme ses amis ; ils l'ont méprisée, & ils sont devenus ses adversaires.

L'Office de la Semaine Sainte de 1749, reprend les textes bibliques pour offrir la prose suivante :

Comment cette ville autrefois si peuplée est-elle maintenant déserte ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve : celle qui commandoit à tant de provinces, a été assujettie au tribut. Elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, & ses larmes ont coulé le long de ses joues : de tous ceux qu'elle aimoit, il n'y en a pas un qui la console ; ses amis l'ont tous méprisée, & sont devenus ses ennemis.

En 1750, paraît La Sainte Bible mise en vers par Jean Pierre Isaac Du Bois (Secrétaire de l'Ambassade de Pologne aux Pays-Bas, 1747-1763 fl.) qui est en fait une traduction de l'original anglais publié par John Taylor en 1614. C'est un tout petit ouvrage in-96 de 192 pages comportant deux vers par page . Ainsi, l'Ancien Testament est traité en 384 vers, dont six vers pour le livre de Jérémie et deux pour le livre des Lamentations. Dédié au comte de Bruhl, Premier Ministre de S.M. le Roi de Pologne, Electeur de Saxe, cet ouvrage relié présente la préface suivante : Daignez de cet Ouvrage, Agréer l'humble Homage ; Le Tribut est petit ; Mais l'Audace est heureuse, A l'Ame généreuse La Volonté suffit. et les Lamentations comme suit :

Le Prophête, & Témoin, des Maux de sa Patrie S'affige nuit & jour, pleure, gémit, & crie.

sans grande considération pour la portée réelle du texte. Une parodie des Lamentations du prophète Jérémie intitulée Les Lamentations de la province des Jesuites en Portugal, a été éditée en 1759 à Amsterdam . Cet ouvrage est préfacé par une note historique qui rappelle que la situation où se voit aujourd'hui le Province des Jésuites en Portugal, a donné lieu à cette Paraphrase. L'Etat de ces Jésuites est à peu près semblable à celui où étoient les Juifs du tems de Jérémie ; & il semble que ce Prophête ait eu en vue la destruction de cette Province, lorsqu'il a décrit celle de Jérusalem. Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, c'en est fait de la Société ; les abominations qu'on attribue aux Jésuites, & dont on a tant de preuves, ne cedent en rien, & surpassent même de beaucoup celles des Juifs. Les uns comme les autres ont mis le comble à leurs iniquités. La punition doit donc être égale… Les notes sont de l'auteur de la parodie.

I Aleph . Comment est-il arrivé que notre Province si rempli de sujets, soit déserte , & dépouillée de ses chers enfans? Que celle qui passoit pour la plus riche , & la plus considérable de la Société, ait été désolée & abandonnée comme une veuve privée de son époux? Que cette Province qui donnoit la Loi, & ne reconnoissoit point de maitre , se trouve destituée de ses biens & de son autorité, & dispersée dans d'affreuses prisons? 2. Beth. Elle ne cesse de gémir; la nuit qui procure du repos à tous les hommes, redouble sa douleur. Ses larmes coulent sur ses joues ; il n'y a aucun de tant d'amis qui la flattoient dans le tems de sa prospérité, qui la console dans son affliction. Ses amis intimes, ses propres disciples ont agi contre elle avec perfidie , & sont devenus ses accusateurs & ses ennemis.

En 1763, paraît des Lamentations de la société ci-devant dite des Jésuites à l'imitation de celles de Jérémie, où l'on pleure les malheurs dont ils se sont rendus si dignes par leurs forfaits . Le texte précédent de 1718 a subi légèrement quelques modifications :

The. Que notre sort est déplorable! Quelle malheur, quel désordre & quelle dureté ! On outrage, on flétrit notre Societé, Cette Reine si redoutable, Qui dominoit sur l'Univers : Elle est veuve, elle souffre un si cruel revers, Que désolée & solitaire, Elle est maintenant tributaire De ceux qu'elle tenoit autrefois dans les fers. Ter. Dans l'effroyable nuit où son destin la plonge, Son visage est baigné de pleurs. Bien loin de plaindre ses malheurs, On les regarde comme un songe ; Personne n'est touché de ses gémissemens : On rit de ses abaissemens : Et ce qu'à peine on devroit croire, On voit ses plus anciens amis Se faire un plaisir, une gloire Et même une vertu d'être ses ennemis.

François-Thomas-Marie de Baculard d'Arnaud (1718-1805), en 1769, versifie sa traduction des lamentations sous forme d'une ode dédiée à la reine de Pologne, électrice de Saxe, ode destinée à être chantée. On ne trouve dans la 1ère ode des sizains d'alexandrin avec une structure de rimes identiques : AABCCB. La 2ème ode est également en sizains d'alexandrins à l'exception de l'avant-dernier vers qui est un hexasyllabe. La 3ème ode se constitue de huitains d'alexandrins à l'exception du deuxième qui est un décasyllabe. La 4ème ode est constituée de quatrains d'alexandrins. Enfin, la dernière ode regroupe des huitains alternant des décasyllabes et des alexandrins. A l'exception de la 1ère ode, toutes les strophes présentent des rimes croisées.

Aleph. Quel Spectre en ces Deserts! est-ce Toi ma Patrie, Du pain de la Douleur, d'amertumes nourrie, Sous le sac & la cendre aux portes du Tombeau ? O Sion, est-ce Toi qui meurs dans la poussiere ? Tes Champs ne m'offrent plus qu'un vaste Cimetiere, Où fume de la Mort le lugubre Flambeau. Veuve des Nations, ô Mere misérable, Tu vois s'évanouïr une Race inombrable : Seule, de tes malheurs tu supportes le poids ! Ciel ! Qui forgea les fers frémit dans les entraves ! La Reine de la Terre est au rang des Esclaves, Soumise au dur tribut qu'elle imposoit aux Rois ! Beth. O Nuit, tu la revois les sanglots à la bouche, De longs ruisseaux de pleurs tremper sa froide couche ! Ils desséchent sa joüe, ils y sont imprimés. Aucun de ses Amis n'adoucit ses allarmes ! Que dis-je ? les Ingrats insultent à ses larmes ! Tous sont des Loups cruels de sa chair affamés.

En 1775, les Heures de la Semaine sainte, en françois et en latin, à l'usage du diocèse de Cahors , donne une nouvelle couleur par sa traduction en prose des Lamentations de Jérémie :

Comment cette ville si pleine de peuple, est-elle maintenant solitaire & désolée ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve ; la Reine des provinces a été assujettie au tribut ; elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, & ses joues sont trempées de ses larmes ; de tous ceux qui lui étoient chers, il n'y en a pas un qui la consolez tous ses amis l'ont méprisée & sont devenus ses ennemis.

Une parodie des Lamentations paraît en 1789, année de révolution sur tous les plans y compris culturelles. Elle a pour titre Semaine-Sainte, ou Les Lamentations du Tiers-Etat  :

Aleph. Comment cette Nation si loyale & si respectée, est-elle maintenant sans crédit & sans défense ? La Reine d'un vaste Empire est comme une veuve éplorée ; celle qui commandoit à tant de Provinces, qui couvroit la mer de vaisseaux, la terre de laboureurs ; qui remplissoit les Cités des merveilles des arts & des trésors des deux mondes, gémit aujourd'hui consternée. Beth. Le Cultivateur pleure toute la nuit, & les joues du Négociant sont couvertes de larmes ; & de tous ceux qu'ils aimoient, qu'ils nourrissoient, pas un ne se présente pour les consoler ; presque tous leurs nourrissons les méprisent, & sont devenus leurs ennemis.

Toujours pour cette même année, un ouvrage intitulé Ténèbres après Pasques , parodie encore des Lamentations. Cette fois-ci, c'est l'ensemble de la cérémonie qui est parodié et tout n'est pas inspiré des Lamentations. On y trouve donc : Sur la 1ère leçon :

Comment nos asyles autrefois si peuplés, sont-ils maintenant abandonnées & déserts ? Les Maîtres des Peuples sont désolés ; eux qui commandoient à tant de Nations, à tant de Rois, vont être incessamment contraints de coopérer aux Charges & aux Impositions publiques !

Sur la 2e leçon :

Pleurez, pleurez, vos immenses richesses ne s'augmenteront plus ! Vos Palais, vos Temples vont perdre de leur éclat ; ils ne pourront s'embellir que de vos propres vertus ! Pleurez, Enfans de Sion ; pleurez ! Ces Peuples, ces Rois, ces Nations, autrefois vos esclaves, vont devenir vos Maîtres. Pleurez, enfans de Sion, le grand jour s'approche. Ministres des Autels votre règne est passé.

puis plus loin :

Le Célébrant dit : Flectamus genua. Le Peuple répond : Levate.

La Révolution est en marche.

En 1790, peu de temps avant la mort de Louis XVI, mais après l'émigration de la majeure partie de la cour en juillet 1789, un courtisan citoyen donne une réponse aux Lamentations du prophète Jérémie dans Les Tenèbres de la cour . Il parodie en prose les trois leçons du premier nocturne, dans lesquelles le courtisan citoyen pleure la ruine de la cour & la captivité ou l'éloignement des grands. En voici le début.

COMMENT cette cour qui étoit autrefois si nombreuse est-elle maintenant abandonnée et déserte ? La principale cour de l'europe est devenue comme une veuve désolée ; celle qui commandoit à tant de provinces , est réduite à payer un tribut. Elle pleure toute la nuit, et ses joues sont couvertes de larmes. De tous ceux qu'elle aimoit , il n'y en a pas un qui se présente pour la consoler ; tous ses amis l'ont abandonnée , et ont laissé le champ libre au peuple qu'elle traitoit en ennemi.

La Chronique brabançonne, dédiée au bons amis de la liberté (1790), contient dans les premières pages une chronique du tems qui rappelle quelques versets des Lamentations .

Un nouveau jour enfin se lève pour le Belge. 32 Comment est-il arrivé qu'une cité si bien habitée est devenue déserte, elle qui était fameuse entre les nations, Princesses, de Provinces est sur le point d'être tributaire & de rendre hommage au général des Payens, gardez-vous d'en parler dans Mons, gardez-vous de le publier dans les rues de Gand.

Au cours de cette même période, paraît l'Office de la Semaine Sainte (1791) dans laquelle figure une nouvelle traduction le texte des Lamentations en ces termes :

Aleph. Comment cette ville qui était autrefois si peuplée, est-elle maintenant abandonnée & déserte ? la maîtresse des nations est devenue comme une veuve désolée : celle qui commandait à tant de Provinces est réduite à payer le tribut. Beth. Elle pleure toute la nuit, & ses joues sont couvertes de larmes : de tous ceux qu'elle aimait , il n'y en a pas un qui se présente pour la consoler: tous ses amis l'ont méprisée , & sont devenus ses ennemis.

Dans un ouvrage intitulé Jérusalem et la Terre Sainte (~1811), ont été réunis des textes d'auteurs différents dont celui de François-Auguste-René Chateaubriand (1768-1848) ayant pour titre Lamentations de Jérémie, et pour sous-titre Aspect de Jérusalem. Il introduit son chapitre comme ceci : Arrêtons-nous d'abord à la grotte de Jérémie, près des sépulcres des rois. Cette grotte est assez vaste, et la voûte en est soutenue par un pilier de pierres. C'est là, dit-on, que le prophète fit entendre ses lamentations ; elles ont l'air d'avoir été composées à la vue de la moderne Jérusalem, tant elles peignent naturellement l'état de cette ville désolée :

"Comment cette ville si pleine de peuple est-elle maintenant si solitaire et si désolée ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve : la reine des provinces a été assujétie au tribut. Les rues de Sion pleurent, parce qu'il n'y a plus personne qui vienne à ses solennités...

En 1820, c'est au tour de l'Abbé de Genoude (1792-1849), Antoine-Eugène Genou(d), de traduire à partir de la Vulgate, la Sainte Bible en 23 volumes .

ALEPH. 1. Comment est-elle assise solitaire, la ville pleine de peuple ? elle est devenue comme veuve, la maîtresse des nations : la reine des cités est tributaire. BETH. 2. Elle a été vue pleurant dans la nuit, ses larmes coulaient sur ses joues : de tous ses amis, il n'en est pas un qui la console ; ceux qui lui étaient chers l'ont méprisée, et se sont faits ses ennemis.

Samuel Cahen (1796-1862), hébraïsant français et journaliste, traduit la Bible juive en français, avec texte hébreu sur la page opposée, qu'il fait publier à Paris en 1831 . Le texte en est le suivant :

1. Ah ! Comme elle est restée solitaire, la ville remplie de peuple ! Elle est devenue comme une veuve, (elle jadis) maîtresse parmi les nations ; princesse dans les provinces, voilà qu'elle est tributaire. 2. Elle pleure abondamment pendant la nuit ; ses larmes (coulent) sur ses joues ; de tous ses amants il ne lui reste personne qui la console ; tous ses amis lui sont devenus infidèles, sont devenus ses ennemis.

Entre mars 1831 à avril 1832, Auguste Marseille Barthélemy (1796-1867) et Joseph Méry (1798-1866) publièrent une séries de satires en vers dans l'hebdomadaire La Némésis, où ils attaquaient le gouvernement et les ministres de Louis-Philippe. C'est ainsi qu'on en octobre 1831 le poème intitulé Lamentations , prophétie politique, qui commence ainsi :

Incipit lamentatio Lameth (Semaine Sainte) Voici des chants nouveaux pour la douleur publique : Elles vont commencer sur le mode biblique, Ces hymnes de terreur, ces lamentations Qui portent tant de deuil aux grandes nations ! La reine des cités, de tant de gloire veuve, Avait pleuré quinze ans sous les saules du fleuve ;…

L'Abbé Germain-Napoléon Venard, mûrissant en 1830 au petit séminaire de Saint-Chéron des opinions mennaisiennes, traduit et versifie en 1841 les Lamentations du prophète Jeremie dans les termes ci-après :

Comment la ville sainte, assise aux bords du fleuve, Couvre-t-elle son front de tristesse et de deuil ? De son royal époux inconsolable veuve Elle a perdu ses fils qui faisaient son orgueil ; Maîtresse glorieuse et reine de la terre Elle ôtait ou mettait le sceptre aux mains des rois ; Aujourd'hui malheureuse, aujourd'hui tributaire, D'un peuple qu'elle abhorre, elle subit les lois ! Livrant la nuit son ame à la douleur amère Elle gémit sans fin plaintive et solitaire ; Ses larmes n'ont cessé de couler de ses yeux ; Et personne ne vient sur ses maux douloureux Verser le baume heureux qui calme la souffrance ; Et que dis-je ? mêlés à ses persécuteurs, Ses amis, qui flattaient son ancienne puissance, Triomphent de sa chûte, insultent à ses pleurs !

Les strophes qui composent ces Lamentations comprennent indifféremment 4, 5, 6, 8, 9 ou 10 vers de 8 ou 12 pieds. Toutes les variétés de rimes existent. Cette même année, Pierre-Salvi-Félix de Cardonnel (1779-1829), homme politique, avocat, magistrat et conseiller à la Cour de Cassation, conjointement avec C. Debar, traduit littéralement sur la Vulgate en vers français le Livre des Psaumes, les cantiques et les Lamentations, livre publié à Toulouse . Les quintils, dans un idiome spiritualisé, délicat, chatouilleux, riche pour le langage de l'esprit, pauvre pour celui de l'imagination ou des idées sensibles, se composent de quatre alexandrins et d'un octosyllabe toujours placé en pénultième position.

ALEPH. Dans son morne désert, comment donc s'est assise Cette ville si pleine et de peuple et de bruit ? La cité souveraine au tribut est soumise : Comme une veuve qu'on méprise, La reine des cités, solitaire, languit. BETH. Toute la nuit en pleurs, elle a versé des larmes ; Elles ont ruisselé sur ses traits amaigris : Nul pour la consoler dans ses sombres alarmes ; Et, devenus ses ennemis, Les siens même à son front ont jeté le mépris.

L'année suivante, en 1842, paraît chez Périsse à Lyon, une édition du Livre des Lamentations traduit par M.J.B.M.N. Cet illustre inconnu fait précéder sa traduction de l'avertissement suivant : je n'ai point voulu imiter, mais traduire… Si donc quelquefois je me suis servi de circonlocutions, et de mots dont les correspondants ne se trouvent pas dans le texte, c'est parce que j'ai été obligé de rendre par plusieurs expressions la valeur d'une seule, et parce que j'ai pensé que traduire n'est pas remplacer un mot par un autre mot, mais exposer, autant qu'il est possible, dans une langue connue le sens renfermé dans celle qui l'est moins.

1. Comment est-elle donc devenue semblable à une femme tristement assise à l'écart, cette ville naguère si florissante, et qui renfermait un peuple nombreux ? Celle qui s'élevait glorieuse au milieu des nations est maintenant comme une veuve désolée, et la reine des provinces est réduite à payer le tribut. 2. Pendant la nuit, elle ne cesse de pleurer ; sa face est noyée de larmes, et de tous ceux qui l'aimaient aucun ne se présente pour la consoler ; ses perfides amis l'ont abandonnée, et ils se sont rangés parmi ses ennemis.

Ce XIXe siècle est riche de traductions puisque l'année suivante encore, donc en 1843, l'Abbé Jean-Jacques Bourassé (1813-1872) et le Père Pierre-Désiré Janvier (1817-1888) font paraître La Grande Bible de Tours avec des illustrations du célèbre Gustave Doré avec le texte suivant :

ALEPH. 1. Comment cette ville si peuplée est-elle maintenant déserte ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve ; la reine des provinces a été assujettie au tribut. BETH. 2. Elle n'a pas cessé de pleurer pendant la nuit, et ses joues sont baignées de larmes. De tous ceux qui lui étaient chers, il n'y en a pas un qui la console ; tous ses amis l'ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.

D'une manière générale, le lyrisme ne suffira pas à masquer les insuffisances de la traduction. En 1847, H.-Auguste Perret-Gentil (1797-1865) traduit à son tour La Sainte Bible, Ancien & Nouveau Testament, version nouvelle approuvée par les pasteurs et les professeurs de l'Eglise de Genève . Le texte n'est pas très différent des précédents :

I Comme elle est assise solitaire, la ville [jadis] grande et peuplée ! Elle est comme une veuve, celle qui fut grande parmi les nations. Elle primait entre les États, et la voilà tributaire ! 2 Elle pleure, elle pleure durant la nuit, et les larmes couvrent ses joues ; de tous ceux qu'elle aimait, aucun ne la console ; tous ses alliés l'ont trahie, et lui sont devenus hostiles.

Et, en 1847, celles de l'Abbé Hippolyte Deschamps donnent ceci :

I. Comment est-elle assise en cette solitude, Elle qui dans ses flancs portait la multitude, La féconde cité ? Maîtresse des Gentils, elle est dans le veuvage ; Princesse des vassaux, elle est dans l'esclavage. Que son sort est changé ! 2. Elle pleura la nuit et pleure et pleure encore ; Elle pleure toujours. De tous ceux qu'elle adore Nul n'essuya ses pleurs. Aucun ne la console ; ils l'ont tous méprisée, Comme autant d'ennemis. Plus elle était aimée, Plus elle a de douleurs !

Les vers sont regroupés en distique, quatrain, quintil, sizain ou neuvain, tous en hexasyllabe ou en alexandrin. Cette même année, un Prophète plongé depuis quatre ans dans un cachot , voit l'Ange de la France pleurer sur Ninive, et lui adresser ce discours des hauteurs de Montmartre  :

Peux-tu bien, ô Ninive, assise sous tes forts, Parler de ta puissance et sourire à tes bords ? Hélas ! veuve éplorée, mais coquette et légère, Comme elle tu voudrais, dans ta misère altière, Te voiler tes déceptions !... O Reine des cités, combien tu es déchue ! Mais tu fermes les yeux pour n'en pas être émue ! Toi qui faisais des Rois tu folâtres, tu ris ; Tes plaisirs sont des fleurs que tes vils ennemis Te jettent pour ombrer le joug qu'ils te façonnent, Et des jours ténébreux auxquels ils t'abandonnent Ecarter la prévision !... Sur Ninive, déploie ta noire chevelure ; Oh ! viens, ne tarde plus, Ange des saints remords ; Mais, à travers les pleurs qui baignent ta figure, Laisse percer ces feux qui raniment les morts ! Quand te verrai-je enfin, ô ma chère Ninive, Déplorer, dans tes nuits, tes fêtes et tes jeux ? Quand l'Astre du matin, illuminant ta rive, Souriant à tes pleurs, redira-t-il aux cieux Les cris de ton âme oppressée Redemandant la voie qu'elle avait délaissée ? Tes sourires fiévreux ont fait battre des mains Sur ta ruine prochaine, à d'envieux voisins, Tes amis où sont-ils ? Qui songe à te défendre Des traitres déguisés qui pour mieux te surprendre, Revêtant un masque trompeur, Parlent de couronne et d'honneur ?...

Les vers sont regroupés en nombre aléatoire avec des rimes tantôt plates tantôt croisées ou tantôt embrassées, le premier avec le quatrième par exemple. Dans l'exemple ci-dessus, le douzain se compose de quatre alexandrins, d'un heptasyllabe, de six alexandrins et d'un autre heptasyllabe. Les rimes des deux heptasyllabes sont embrassées et les autres sont plates, de deux en deux. M. Mallet de Chilly fait publier à Orléans en 1854 Le Cantique des cantiques et les lamentations de Jérémie . L'amour passionné et la douleur la plus amère permettra au lecteur de juger en quel genre j'aurai le mieux réussi. Ces propos du traducteur sont suivis un peu plus loin dans la préface par cette remarque : J'avais à lutter contre MM. de Sacy et de Genoude. Un troisième traducteur, Beerbing, existe ; mais je n'ai pu me procurer sa traduction, que l'on m'a dit être supérieure aux deux autres. Les notes que j'ai accumulées et qui sont cependant moins nombreuses que celles que j'aurais pu donner, feront voir avec quelle attention j'ai consulté les textes pour obtenir le véritable sens de chaque verset, et que je ne me suis pas astreint à rendre les mots latins par les premiers mots français pris au hasard dans le dictionnaire latin-français.

1. Ah ! comme elle est restée solitaire, la ville remplie de peuple ! Elle qui, jadis, était la maîtresse des nations, elle est misérable comme une veuve : elle qui était la reine des cités, paie maintenant le tribut. 2. En ce jour, elle verse des larmes abondantes ; pendant la nuit, elles coulent sur ses joues. Aucun de ses amants ne la console : tous ses amis lui sont devenus infidèles et sont même devenus ses ennemis.

Dans ses Lamentations sur l'année 1855, M. Soya, curé de Lahonce, rédige en prose un texte qui rappelle celui de Jérémie. Il fait suite à des épidémies qui ont eu lieu en France (choléra) en 1854 et aussi en Dordogne (typhoïde) l'année suivante. La publication a eu lieu à Bayonne chez P.-A. Cluzeau .

1. Comment a-t-elle été vue assise solitaire, la ville si pleine de mouvement, à face si riante ? et comment a-t-elle été triste, morne, silencieuse comme la nuit, la campagne si gaie, si contente ? La joie a fui la ville ; et sa lyre aux sons si mélodieux a été muette ; et ses ravissants concerts se sont tus ; et des larmes amères ont coulé sur ses joues, des larmes amères le jour, des larmes amères la nuit ; 2. Passant, je considère ses rues, elles pleurent encore, pleurent ses portes, pleurent ses places publiques. Et la gaieté a fui la campagne, et ses doux chants, ses chants si agréables n'ont pas été entendus, et ses yeux aussi ont été deux sources de larmes amères. Passant, je considère ses chemins, ils gémissent encore, gémissent ses champs, gémissent ses sentiers…

C'est en 1857 que l'abbé J.F. Andrieux fait éditer un poème élégiaque sur les Lamentations de Jérémie (p. 304 et s.) dans un recueil ayant pour titre Chants bibliques (Tours, Impr. Ladevèze, 1858). Après une introduction également versifiée, les deux premiers vers se présente comme suit :

Comment Jérusalem, naguère si bruyante, S'est-elle changée en désert ? La reine des cités, maintenant suppliante, Sous l'étranger languit et sert ! Son front est sillonné des pleurs intarissables Qu'elle a versés toute la nuit ; Loin de la consoler dans ses maux effroyables, En les voyant chacun s'enfuit.

Comme on peut le voir, il s'agit d'une succession de quatrains comprenant de forme ABAB, alternant régulièrement des alexandrins et des octosyllabes. Les Lamentations versifiées du Comte de Causans et de J.R.T. Cabaret-Dupaty datent de 1859. Elles présentent la particularité de modifier ses formes suivant les leçons. Ainsi, si la leçon I du 1er jour préfère la forme de cinq huitains composés d'une alternance d'alexandrins et d'octosyllabes, les autres leçons adoptent respectivement les formes structurelles suivantes : • la leçon II du 1er jour se compose de quatre strophes dont la 1ère est un quatrain, la seconde un sizain, le 3ème un huitain et le 4ème un dizain ; • la leçon III du 1er jour comprend cinq huitains d'octosyllabes ; • la leçon I du 2nd jour se structure en quatre huitains de décasyllabes ; • la leçon II du 2nd jour se compose de quatre huitains alternant des vers heptasyllabiques et des vers pentasyllabiques ; • la leçon III du 2nd jour regroupe huit huitains comprenant dans l'ordre cinq heptasyllabes, un hexasyllabe, un heptasyllabe et un hexasyllabe ; • la leçon I du 3ème jour réunit cinq huitains alternant, comme la 2ème leçon du 2nd jour, des vers heptasyllabiques et des vers pentasyllabiques ; • la leçon II du 3ème jour comprend sept quatrains alternant des alexandrins et des octosyllabes ; • la leçon III du 3ème jour se compose de six huitains alternant cette fois-ci des octosyllabes et des hexasyllabes.

1. Comment a disparu le flot tumultueux De cette ville abandonnée ? Comment s'est éclipsé l'éclat majestueux De cette reine détrônée ? Sous le pesant fardeau de ses afflictions Comme une veuve anéantie, Celle qui commandait aux autres nations Au tribut est assujettie. 2. Elle gémit, le jour, et nul espoir ne luit A son cœur en proie aux alarmes ; Vers la terre courbée, elle pleure, la nuit, La perte amère de ses charmes. Près d'elle on ne voit plus de flatteurs ni d'amis Dont la présence la console ; Ses anciens courtisans sont autant d'ennemis Qui foulent aux pieds leur idole.

Les rimes sont plus fréquemment des rimes croisées et, du fait de la richesse formelle de la 2ème leçon du 1er jour, quelquefois plates de type AABB, les vers rimant deux à deux, sauf pour le quatrain qui se distingue par des rimes embrassées de type ABBA. Jules Pertus en tire en 1862 une poésie lyrique avec le texte suivant :

Aleph. Hélas ! .. qui donc a rendu solitaire, Cette ville sur qui je fais couler mes pleurs ! Jadis elle ignorait la peine et les douleurs, Mais aujourd'hui que triste est sa misère !  ! De ses peuples chéris le nombre a disparu, Son sourire est éteint, son espoir est perdu, Elle vit désolée, elle est déserte et pleure ! Son front ne reçoit plus l'honneur des nations, Et l'on entend sa voix qui gémit à toute heure, En élevant ses lamentations !  ! Beth.Tandis qu'aux Cieux je vois briller l'étoile, Et que tout dord en paix au sein de l'univers, Nous l'entendons gémir sous le poids de ses fers, Cachant son front sous un lugubre voile. Sa force a reculé devant l'ardeur des flots, Et son œil maintenant cherche en vain le repos ; Sa tristesse a détruit ses attraits et ses charmes, Et, parmi ses enfants que chérissait son cœur, Nul ne vint consoler ses sinistres alarmes, Et ses amis ont ri de son malheur !  !

Cette poésie est structurée différemment suivant les chapitres des lamentations. Ainsi, le Livre I qui correspond au chapitre I structure les vers en dizains comprenant dans l'ordre un décasyllabe, deux alexandrins, un décasyllabe, cinq alexandrins et encore un décasyllabe. Les rimes suivent toujours l'ordre suivant : ABBACCDEDE. Les Livres donnent respectivement les structures suivantes des strophes  :

strophe structure interne rime observée dizain 1 D, 2 A, 1 D, 5 A, 1 D ABBACCDEDE douzain 4 A, 1 D, 2 A, 1 O, 4 A ABABCDDCEFEF quatrain 2 H, 2 A, ABAB douzain 4 A, 1 D, 3 A, 1 D, 2 S, 1 A ABABCDCDEFEF huitain 1 H, 3 A, 1 H, 2 A, 1 O ABABCDDC

La réédition de la Bible de Jean-Frédéric Ostervald en 1863 modifie le texte précédemment établi par son auteur en le remettant au goût du XIXe. Il s'agit ici d'une édition à l'initiative de la Société biblique britannique et étrangère, sise à Bruxelles . Les notes sont du traducteur.

ALEPH. Comment est-il arrivé que la ville si peuplée soit assise solitaire ; que celle qui était grande entre les nations soit devenue comme veuve ; que celle qui était princesse dans les provinces ait été rendue tributaire ? 2. Beth. Elle ne cesse de pleurer pendant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues ; il n'y a pas un de tous ses amis qui la console ; ses voisins ont agi perfidement contre elle, et sont devenus ses ennemis.

Dans La Sainte Quarantaine , ouvrage édité en 1868, Napoléon-Maxime-Gabriel Latrouette, Docteur es Lettres, donne sa version des Lamentations en regard du texte latin. Il s'agit d'une version non versifiée.

Alph. Comment se trouve-t-elle ainsi déserte cette cité si remplie de peuple ! Elle est devenue comme veuve, celle qui était la maîtresse des nations ; la reine des provinces a été assujettie au tribut. Beth. Elle pleure et elle a pleuré tout la nuit ; et ses joues sont trempées de ses larmes ; il ne se trouve personne pour la consoler, parmi tous ceux qui lui étaient chers ; tous ses amis l'on méprisée, et ils sont devenus ses ennemis.

Cette même année, paraît une parodie intitulée Paris désert, lamentations d'un Jérémie haussmannisé . On y trouve à un moment une allusion aux lamentations de Jérémie par le passage suivant :

3. Babylone ! Babylone ! Tu es la ville superbe et tes ennemis eux-mêmes te proclament la reine du monde et tombent en admiration devant tes magnificences, tandis que tes propres fils se reposent fatigués sur les bornes de tes carrefours en se demandant où ils coucheront pendant la nuit.

En 1870 paraît une réédition chez Uthenin Chalandre fils à Besançon . C'est Louis de Carrières (1662-1717) qui en avait réalisé la traduction.

1. ALEPH. Comment Jérusalem, cette ville si pleine de peuple, est-elle maintenant si solitaire et si désolée ? La maîtresse des nations est devenue comme veuve ; la reine des provinces a été assujettie au tribut. 2. BETH. Elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, et ses joues sont trempées de ses larmes. De tous ceux qui lui étaient chers, et avec lesquels elle avait contracté alliance, il n'y an a pas un qui la console. Tous ses amis et ses voisins l'ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.

La grande guerre de 1870 a apporté aussi son lot de parodies dramatiques compte tenu de la situation de la France à cette époque. C'est tout d'abord un abbé anonyme , l'Abbé Cl.-P.S., qui apporte en 1871 sa contribution (Éd. P. Lambert, Troyes) en préfaçant Les lamentations du Prophète Jérémie traduites en vers français et suivies de quelques chants religieux et patriotiques composés à l'occasion de la guerre de 1870-71 entre la France et l'Allemagne par les termes suivants :

Les circonstances malheureuses dans lesquelles nous avons fait et publions ce petit travail donnent sa raison d'être. La France était aux deux tiers envahie et occupée par l'ennemi. Paris, sa capitale, était environné d'un cercle infranchissable de canons, de mitrailleuses, d'épées, de fusils, de baïonnettes et d'hommes armés de toutes pièces, qui la tenaient enfermée dans son enceinte et séparée de toute la France. Les villes et les campagnes étaient ruinées par les exactions du vainqueur. La cessation du travail, du commerce, la disette, les mauvaises passions, les projets sinistres de certains hommes, les théories subversives de tout ordre et de tout droit, l'absence de tout gouvernement régulier, effrayaient autant les âmes honnêtes que les ennemis du dehors. Dans cet état, tous les cœurs vraiment français étaient accablés de tristesse et recherchaient naturellement tout ce qui était en harmonie avec cette disposition intime.[...] La peinture ou la description des souffrances du peuple juif dans ces terribles épreuves, est donc ce que l'on peut lire de plus touchant et de plus en rapport avec nos propres maux ? De là, la pensée de détacher de nos livres saints, et de publier isolément, les plaintes et les gémissements patriotiques de ce Prophète qui sut si bien, comme l'a dit Bossuet, égaler les lamentations aux douleurs. De là aussi la pensée de les traduire en vers français.[...] Que nos yeux, comme ceux du Prophète, soient éclairés de la lumière d'en haut. Voyons, comme lui, dans nos désastres et nos calamités, un châtiment du Dieu que la France a bien offensé. Comme lui, prions ce Dieu de nous pardonner nos fautes, et, comme lui encore, mettons notre espérance dans les bontés de ce même Dieu.

Aleph. Comment donc cette ville, autrefois si puissante, Et qu'emplissait sans cesse une foule abondante, Est-ce maintenant comme une veuve en deuil, Qui pleure, assise auprès d'un lugubre cercueil ? Oubliant, négligeant sa parure et ses charmes ! Celle qui commandait en reine aux nations Se voit, hélas ! en butte à mille exactions ! Celle qui gouvernait les cités, les provinces, Paie un honteux tribut à des rois, à des princes. Beth. En proie à son chagrin, à ses vives douleurs, Ses yeux, durant la nuit, se sont mouillés de pleurs Qui, coulant par torrents le long de son visage, Révèlent de son cœur l'épouvantable orage. De ses nombreux amis, de tous ceux qu'elle aimait Et qu'à tous ses plaisirs jadis elle admettait, Pas un seul n'est venu compâtir à sa peine, Et pour elle ils n'ont plus que mépris et que haine.

Là également, pour rompre la monotonie, les vers sont structurés différemment suivant les chapitres des lamentations. Ils sont tous en alexandrins, en rimes plates, regroupés comme suit : • chap. 1 : sizain, huitain et neuvain ; • chap. 2 : sizain exclusivement ; • chap. 3 : distique uniquement ; • chap. 4 : quatrain seulement ; • chap. 5 : distique, quatrain et sizain. Charles Gounod (1818-1893), compositeur français, en a également fait une élégie en 1871 pour son œuvre Gallia (motet for soprano solo, chorus, orchestra and organ composé pour l'ouverture de l'International Exhibition 1871). Il était alors à Londres, ayant quitté précipitamment Paris avant la guerre de 1870.

L'idée me vint de représenter la France telle qu'elle était, non pas seulement vaincue, écrasée, mais outragée, insultée, violée par l'insolence et la brutalité de son ennemi. Je me souvins de Jérusalem en ruines, des gémissements du prophète Jérémie, et sur les premiers versets des lamentations j'écrivis une élégie biblique que j'intitulai Gallia.

La voilà seule, vide, la cité reine des cités ! Ses enfants pleurent nuit et jour dans ses murs désolés ! Reine, flambeau du monde ! Aujourd'hui délaissée ! L'ombre dérobe sa honte ! Un fleuve de larmes inonde son visage, Pas un ne la console, Pas un parmi ceux qu'elle aime ! Les nations l'oublient et l'abandonnent Et la voilà vide, solitaire !

La traduction française de la Bible Darby (John-Nelson Darby 1800-1882, à l'origine de la doctrine du dispensationalisme) de 1872, considérée comme l'une des traductions françaises les plus proches de l'original, en voulant respecter strictement le texte allant jusqu'à sacrifier l'élégance du style ou la clarté, restitue le texte suivant :

1. Comment est-elle assise solitaire, la ville si peuplée ! Celle qui était grande entre les nations est devenue comme veuve ; la princesse parmi les provinces est devenue tributaire. 2. Elle pleure, elle pleure pendant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues ; de tous ses amants, il n’en est pas un qui la console ; tous ses amis ont agi perfidement envers elle, ils sont pour elle des ennemis.

Cette traduction a pour particularité d'être très littérale et respecte le texte avant tout, l'élégance du style ou la clarté de la traduction étant sacrifiée. Au cours de cette même année, le Comte Edmond Lafond traduit en vers les Lamentations, chez Bray et Retaux à Paris . Le traducteur avertit le lecteur en ces termes : A part même la musique de Palestrina et de Gounod, les Lamentations font une grande impression dans toutes les églises de la chrétienté, pendant la semaine sainte, parce qu'on les chante sur un mode plein d'une pénétrante mélancolie, que l'on croit remonter jusqu'à l'antiquité hébraïque.

ALEPH. Comment la cité sainte est-elle en cette épreuve, Seule, assise au désert, seule comme une veuve ? Reine des nations, elle en est le rebut, La maîtresse du monde est soumise au tribut. BETH. Dans la nuit de ces pleurs où sa douleur s'isole, De tous ceux qui l'aimaient pas un ne la console, Et dans la solitude elle est là… Ses amis Dédaignant ses malheurs, se font ses ennemis.

Toujours cette même année 1872, paraît la traduction de la Sainte Bible par Pierre Giguet (1794-1883), universitaire, édition réalisée par Poussielgue à Paris .

Aleph. 1. Comment cette ville, jadis pleine de peuple, est-elle assise solitaire ? Elle est devenue comme une veuve celle qui avait grandi parmi les nations ; la reine des provinces est assujettie au tribut. Beth. 2. Elle pleure, elle a pleuré la nuit, et les larmes sont encore sur ses joues, et de tous ceux qui l'aimaient, il n'en est pas un qui la console ; ses amis l'ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.

Les Nouvelles poésies ou Les chants de la Consolation et de l'Espérance de P. Delpy, éditées à Périgueux en 1872, contiennent une ode sur les Lamentations sur les malheurs de la France mais dont aucun vers ne se réfère en particulier à un des versets du livre des Lamentations. C'est l'atmosphère générale qu'il faut sentir au travers de la lecture de cette ode.

O vous, nations impassibles, Et vous, peuples de l'avenir, Soyer attentifs et sensibles Aux maux qui devaient survenir A notre pauvre et chère France ; Voyez s'il est une souffrance Qui n'ait su nous humilier : Et sera-t-il possible à croire Qu'un tel pays, brillant de gloire, La fortune ait pu l'oublier ?.

Ce poète avait déjà édité quelques années auparavant des Essais poétiques qui n'a[vaient] pas eu du retentissement dans toute la France, comme ceux de nos grands maîtres. L'année suivante, en 1873, deux abbés, Jean-Baptiste Glaire (1798-1879), professeur d'hébreu à la Sorbonne, et Fulcran Vigouroux (1837-1915), sulpicien chargé du cours spécial d'écriture sainte au séminaire de Saint-Sulpice, mettent en œuvre la traduction de la Bible et la publie chez R. Roger et F. Chernoviz à Paris . Le texte en prose est le suivant :

ALEPH. I. 1 Comment est-elle assise solitaire, la ville pleine de peuple ? Elle est devenue comme veuve, La maîtresse des nations ; la reine des provinces A été assujettie au tribut. BETH. 2 Pleurant, elle a pleuré pendant la nuit, et ses larmes coulent sur ses joues ; Et il n'est personne qui la console, parmi ceux qui lui étaient chers : Tous ses amis l'ont méprisée Et sont devenus ses ennemis.

1874, c'est l'arrivée de la version française de l'Ancien Testament la plus répandue dans les milieux évangélique et protestant. Le but recherché par le pasteur suisse Louis Segond (1810-1885) est "exactitude, clarté, correction… ni littérale, ni libre. Cette Bible sera révisée à plusieurs reprises (1975, 1978, 2002).

I Eh quoi! elle est assise solitaire cette ville si peuplée ! Elle est semblable à une veuve ! Grande entre les nations, souveraine parmi les états, Elle est réduite à la servitude ! 2 Elle pleure durant la nuit, et ses joues sont couvertes de larmes ; De tous ceux qui l'aimaient nul ne la console ; Tous ses amis lui sont devenus infidèles, Ils sont devenus ses ennemis.

Désiré Cadilhac de Madières (1819-1867) écrit les paroles d'une mélodie mise en musique par Edmond Membrée (1820-1882) en 1876, paroles qui s'inspirent des Lamentations de Jérémie :

Hé quoi ! Jérusalem veuve de sa puissance Comme une femme en deuil se traîne en gémissant ! Elle abaisse le front et dévore en silence Un impôt flétrissant ! Pleine du souvenir de sa grandeur passée, Elle a noyé ses yeux dans des torrents de pleurs ! Et ses amis eux-mêmes hélas ! l'ont délaissée, Seule avec ses douleurs !

Il s'agit exclusivement de quatrains comprenant 3 alexandrins et un sizain avec des rimes croisées. L'Abbé Charles Trochon, docteur en théologie, rédige à partir de la Vulgate une traduction de la Bible et la fait éditer en 1878 à Paris chez P. Lethielleux .

ALEPH 1. Comment la ville pleine de peuple est-elle assise solitaire ? Elle est devenue comme veuve ; la maîtresse des nations, la reine des provinces est devenue tributaire. Beth 2. Elle a pleuré sans cesse pendant la nuit, et ses larmes tombent sur ses joues. Il n'y a personne qui la console, de tous ceux qui lui étaient chers ; tous ses amis l'ont méprisée et sont devenus ses ennemis.

En 1879, Edouard Guillaume Eugène Reuss (1804–1891), professeur à l'université de Strasbourg, membre du courant libéral de l'Église luthérienne, enrichit sa traduction de la richesse biblique allemande, pour obtenir en français et en vers les Lamentations qui paraissent au Tome 8 des 16 que comprend sa Bible . Il apporte les précisions suivantes : La versification est très-régulière partout, sans être toujours arrangée d'après le même système. Les quatre morceaux se composent de vers longs, plus longs que nous ne les rencontrons communément dans la poésie lyrique des Hébreux. Chacun de ces vers a une césure au milieu, et forme ainsi deux hémistiches, que nous avons préféré écrire en deux lignes séparées. Dans les trois premières élégies, trois de ces vers longs, ou six hémistiches, forment une strophe. Dans la quatrième, la strophe ne se compose que de deux vers, ou de quatre hémistiches. Chaque strophe commence par une autre lettre de l'alphabet, de sorte que le nombre en est chaque fois de vingt-deux…

1. Comme elle est assise solitaire, Cette cité populeuse ! Elle est devenue comme une veuve, Celle qui était grande parmi les nations ! La reine des provinces Est réduite en servage. 2. Elle pleure, elle pleur la nuit durant, Ses larmes inondent ses joues. Nul n'est là pour la consoler, De tous ceux qui l'aimaient ; Tous ses amis l'ont trahie, Et lui sont devenus hostiles.

En 1881, l'Abbé Antoine Arnaud (1827-1920), curé doyen d'Ollioules, apporte sa contribution avec une nouvelle traduction approuvée par Mgr l'Evêque de Fréjus et Toulon. La Bible est publiée chez P. Lethielleux à Paris . Les notes sont du traducteur.

ALEPH I. Comment est-elle assise solitaire, la cité pleine de peuple ? Elle est devenue comme veuve, cette maîtresse des nations ; la reine des provinces a été assujettie au tribut. BETH 2. Elle a pleuré amèrement pendant la nuit, et ses larmes coulent sur ses joues : de tous ceux qui lui étaient chers, il n'en est pas un qui la console ; tous ses amis l'ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.

La Bible d'Olivétan (1535), qui devint la Bible de Genève en 1560, se perpétue par les révisions de J. F. Ostervald. Le texte présenté ici est une mise à jour en 1996 de l'édition de 1886 d'une révision de la Bible d'Ostervald publiée pour la 1ère fois en 1744. Il s'agit d'un texte en prose.

Aleph. Comment est-elle assise solitaire, la ville si peuplée ! Celle qui était grande entre les nations est semblable à une veuve ; la princesse des provinces est devenue tributaire ! Beth. Elle pleure durant la nuit, et les larmes couvrent ses joues ; de tous ceux qu'elle aimait aucun ne la console ; tous ses amis ont agi perfidement contre elle, ils sont devenus ses ennemis.

C'est en 1887 que Paul Lafargue (1842-1911), socialiste français, inspiré notamment par Proudhon, et surtout par Karl Marx, s'inspire des Lamentations de Jérémie pour écrire les Lamentations de Rothschild, le Capitaliste. En voici, les premières lignes :

Capital, mon Dieu et mon maître, pourquoi m'as-tu abandonné ? Quelle faute ai-je donc commise pour que tu me précipites des hauteurs de la propriété et m'écrases du poids de la dur pauvreté ?... Mes concurrents se réjouissent de ma ruine et mes amis se détournent de moi ; ils me refusent jusqu'aux conseils inutiles, jusqu'aux reproches ; ils m'ignorent. Mes maîtresses m'éclaboussent avec les voitures achetées de mon argent.

Eugène Ledrain (1844-1910), professeur, orientaliste et écrivain français, fait publier sa Bible rationaliste en dix volumes chez Alphonse Lemerre à Paris en 1889 .

COMMENT est-elle gisante, seule, la ville tant peuplée ! et se tient-elle comme une veuve, celle qui était grande parmi les nations ! Comment la maîtresse parmi les provinces est-elle tributaire ! La nuit, elle ne cesse de pleurer, les larmes inondent ses joues. Pas un de ses amis qui la console ; tous ses voisins l'ont trompée et se sont faits ses ennemis.

Le texte tiré des Offices de la Quinzaine de Pâques , en 1887, est le suivant :

Comment cette Ville, autrefois si peuplée, est-elle maintenant déserte ? la maîtresse des nations est comme une veuve désolée : celle qui commandait à tant de provinces est devenue tributaire. Elle pleure toute la nuit, et ses joues sont baignées de larmes ; de tous ceux qu'elle aimait, pas un ne se présente pour la consoler ; tous ses amis la méprisent, et se sont faits ses ennemis.

Cette traduction est suivie en 1888 par celle de l'Abbé Louis-Claude Fillion ou Fillon (1843-1927), prêtre philosophe de l'église catholique, qui présente le texte des deux premiers versets comme suit :

ALEPH 1. Comment est-elle assise solitaire, cette ville pleine de peuple ? Elle est devenue comme veuve , la maîtresse des nations  ; la souveraine des provinces est devenue tributaire . BETH 2. Elle n'a pas cessé de pleurer pendant la nuit , et ses larmes coulent sur ses joues ; il n'y a personne qui la console parmi tous ceux qui lui étaient chers  ; tous ses amis l'ont méprisée et sont devenus ses ennemis .

Les notes sont du traducteur. Il s'agit d'une révision de la version de Sacy mais Fillion se tient aux texte de la Vulgate en adoptant un langage clair et sobre. La thèse présentée par P. Mayniel en 1894 à Montauban en vue d'obtenir le grade de bachelier en théologie abordait le sujet du Livre des Lamentations . L'auteur critique avantageusement le livre des Lamentations mais propose à la fin de son ouvrage sa propre traduction. Les notes sont également du traducteur.

1 Eh quoi ! elle est assise à l'écart, elle, [la ville] si peuplée ! Elle est comme une veuve, celle qui était grande entre les nations ! Souveraine entre les provinces, elle paie tribut  ! 2 Elle pleure abondamment pendant la nuit [et] ses larmes couvrent ses joues ; Point de consolateur pour elle entre tous ceux qui l'aimaient : Tous ses amis l'ont lâchement abandonnée, ce lui sont dans ennemis .

Henri-Michel-Alfred Rieu de Montvaillant, poète, fait paraître chez Fischbacher à Paris en 1898, un recueil de Poèmes bibliques dans lequel figure en vers les Lamentations de Jérémie .

1 Comment cette cité, bruyante multitude, S'est-elle transformée en une solitude ? Comment cette cité, reine des nations Ployant sous le fardeau de ses afflictions, Abîmée en son deuil semble-t-elle une veuve Dont le cœur accablé succombe sous l'épreuve ? Comment celle dont tous attendaient leur salut Aujourd'hui porte-t-elle aux autres son tribut ? 2 Elle passe la nuit au milieu des alarmes, Son visage défait est inondé de larmes, Aucune voix ne vient consoler sa douleur. Ses intimes amis redoublant son malheur Hélas ! ont tous agi perfidement contre elle, Ils en ont fait l'objet de leur haine cruelle.

Les strophes contiennent un nombre variable de vers en alexandrin sans qu'il y ait une signification particulière. Lorsque celles-ci sont d'un nombre impair (quintil, septain et neuvain), les rimes sont croisées ou embrassées avec la strophe suivante. 1900 est l'année de la 1ère publication de la Bible annotée ou Bible de Neuchâtel dont le comité de rédaction réuni sous la direction de Frédéric Godet comprenait le traducteur Félix Bovet (1824-1903), l'historien Charles Monvert (1842-1904), l'écrivain Henri de Rougemont (1839-1900), les théologiens Augustin Gretillat (1837-1894) et Louis Aubert (1856-1936), et le principal rédacteur Georges Godet (1845-1907), fils de Frédéric. Cette bible éditée en fascicules entre 1879 et 1900 (La Bible annotée, par une société de théologiens et de pasteurs) est maintenant disponible sur Internet depuis 2005 : http://epelorient.free.fr/ba/ba.html. Elle excelle sur le plan de l'érudition et de la qualité exégétique.

1 Comment est-elle assise solitaire, La cité populeuse? Elle est devenue comme une veuve ! Celle qui était une capitale parmi les nations, Une princesse sur les provinces, A été rendue tributaire. 2 Elle pleure, elle pleure durant la nuit, Et ses larmes sont sur ses joues; De tous ses amants Pas un ne la console ; Tous ses compagnons l'ont trahie, Ils sont devenus ses ennemis.

Cette traduction française et protestante du texte hébreu est toujours réclamée et des pans entiers figurent même dans la Bible Crampon (1923), version catholique. En 1906, paraît la Bible du Rabbinat sous la direction du Gd. Rabbin Zadoc Kahn (1839-1905). Elle présente bien entendu un texte apuré de toute influence chrétienne . Cette bible sera éditée à plusieurs reprises au cours du XXe siècle.

1 Hélas! Comme elle est assise solitaire, la cité naguère si populeuse! Elle, si puissante parmi les peuples, ressemble à une veuve; elle qui était une souveraine parmi les provinces a été rendue tributaire! 2 Elle pleure amèrement dans la nuit, les larmes inondent ses joues; personne ne la console de tous ceux qui l'aimaient; tous ses amis l'ont trahie, se sont changés pour elle en ennemis.

Le chanoine Irénée Mauri a versifié en 1910 les Lamentations dans la sixième série portant sur les psaumes, les cantiques liturgiques et les lamentations, séries réunies dans un ouvrage intitulé Paraphrase poétique de nos chants d'église .

ALEPH. Par quel retour soudain est-elle solitaire La cité qu'animait tout un peuple fiévreux ? Reine des nations et de toute la terre, Comme une veuve en deuil la voici tributaire De ses fiers conquérants, traînant leur joug honteux ! BETH. Sous le poids accablant du sort qui la désole Nuit et jour son visage est inondé de pleurs ; De ses nombreux amis pas un ne la console, Et, conjurés contre elle, ils n'ont que des paroles D'ironique mépris pour ses cruels malheurs.

Les quintils sont composés uniquement d'alexandrins avec une structure ABAAB. Seuls les versets des Leçons des Ténèbres ont été versifiés. En 1923, le Recueil de la Quinzaine de Pâques , interprète le texte comme suit :

Comment cette ville, autrefois si peuplée, est-elle maintenant déserte ? la reine des nations est devenue comme une veuve désolée : la maîtresse de tant de provinces est tributaire de l'étranger. Elle pleure toute la nuit, et ses joues sont baignées de larmes ; de tous ses amis, pas un ne se présente pour la consoler : tous ses compagnons la méprisent, et sont devenus ses ennemis.

Toujours en 1923, paraît la Bible d'Augustin Crampon (1829-1894), chanoine de la cathédrale d'Amiens, traducteur et exégète catholique de la Bible qui a entrepris la traduction à partir de témoins hébreux, araméens et grecs. Cette bible a connu beaucoup d'éditions (1894, 1904, 1905). L'édition de 1923 a connu de nouvelles rééditions avec les Editons D.F.T. en 1989, 1997, 2001 et 2005.

1 ALEPH. Comment est-elle assise solitaire, la cité populeuse! Elle est devenue comme une veuve, celle qui était grande parmi les nations; La reine des provinces a été rendue tributaire. 2 BETH. Elle pleure amèrement durant la nuit, et les larmes couvrent ses joues, De tous ses amants pas un ne la console; Tous ses compagnons l'ont trahie, ils sont devenus ses ennemis.

Trois ans plus tard, la traduction des Offices de la Quinzaine de Pâques fait apparaître quelques différences somme toutes mineures :

Comment cette ville, autrefois si peuplée, est-elle maintenant déserte ? la maîtresse des nations est comme une veuve désolée : celle qui commandait à tant de provinces est devenue tributaire. Elle pleure toute la nuit, et ses joues sont baignées de larmes ; de tous ceux qu'elle aimait, pas un ne se présente pour la consoler ; tous ses amis la méprisent, et se sont faits ses ennemis.

En 1946, Louis Pirot (1881-1939), professeur d'exégèse à l'université catholique de Lille, et l'Abbé Albert Clamer, professeur d'écriture sainte au grand séminaire de Nancy, le second ayant continué les travaux du premier, traduisent la Bible d'après les textes originaux avec un commentaire évangélique et théologique. Le Tome VII de la Sainte Bible, qui inclut entre autres Les Lamentations de Jérémie, est paru à Paris chez Letouzey & Ané .

1 Ah ! qu'elle est assise solitaire, la cité populeuse ! Elle est devenue comme une veuve, (elle qui était jadis) grande parmi les nations. La princesse parmi les villes est devenue une servante. 2 Elle pleure amèrement durant la nuit et ses larmes sont sur ses joues. De tous ses amants pas un ne la console ; Tous ses amis l'ont trahie, sont devenus ses ennemis.

Cette bible est suivie par une édition de celle de la Ligue Catholique de l'Evangile, en 1951, sous la direction de Son Eminence le cardinal Achille Liénart (1884-1973), appelée également Bible de Lille, et le concours de nombreux biblistes dont celui d'Albert Clamer. Les notes sont des traducteurs.

1 ALEPH : Ah ! qu'elle est assise solitaire, - la cité populeuse ! Elle est devenue comme une veuve, - elle qui était jadis grande parmi les nations. La princesse parmi les villes – est devenue une servante. 2 BETH : Elle pleure amèrement durant la nuit – et ses larmes sont sur ses joues. De tous ses amants – pas un ne la console ; Tous ses amis l'ont trahie, - sont devenus ses ennemis.

La Bible du Centenaire, dont la traduction et les notes des lamentations ont été préparées par Adolphe Lods (1867-1948), professeur à la Sorbonne , paraît sous forme de fascicules entre 1916 et 1947. Les notes sont des traducteurs.

Aleph. 1 Comme elle est assise, solitaire, la ville [jadis] si peuplée! [La voilà] devenue comme une veuve , elle [naguère] si grande parmi les nations! Princesse au milieu des provinces , [la voilà] astreinte à la corvée! Beth. 2 Elle passe ses nuits à pleurer, et les larmes [coulent] sur ses joues. Pas un ne la console, de tous ceux qui l'aimaient . Ses amis l'ont tous trahie ; ils sont devenus ses ennemis!

Après une première traduction en 1950 (Bible Pastorale), c'est en 1952 que paraît l'édition de la Bible des moines de Maredsous à l'Abbaye Sainte-Marie-Madeleine d'Hautecombe en Belgique . La Bible de Maredsous est conçue pour une lecture publique de façon à aider l'auditeur à comprendre le texte dès sa première audition. Le texte des lamentations est le suivant :

Aleph. 1 1Comment est-elle réduite à l'abandon, la ville si peuplée ! Elle est comme une veuve, celle qui surpassait les nations. Reine au milieu des provinces, elle est astreinte au tribut. Bèt. 2Elle pleure tout le long de la nuit, les larmes inondent ses joues. Nul ne la console de tous ceux qui l'aimaient. Tous ses proches l'ont trahie, et sont devenus ses ennemis.

En 1950, paraît également pour le Club du Livre de Marseille, la Bible illustrée par Edy Legrand . La traduction de lAncien Testament a été revue et annotée par Robert Tamisier, (1907-1986) professeur au grand séminaire de Rodez.

Comment cette ville si pleine de peuple s'est-elle maintenant assise solitaire ? La maîtresse des nations est devenue comme une veuve ; la reine des provinces a été assujettie au tribut. Elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, et ses joues sont trempées de ses larmes ; de tous ceux qui lui étaient chers, il n'y en a pas un qui la console ; tous ses amis l'ont méprisée, et sont devenus ses ennemis.

Cette version sera révisée fondamentalement en 1972 par Charles Augrain (1924- ), Louis Neveu (1911- ), Daniel Sesboüé et Robert Tamisier lui-même. La Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard), à son tour, édite en 1956 la première version de la Bible, Ancien Testament, avec le concours d'Edouard Dhorme (1881-1966), orientaliste français, de Franck Michaéli (1907-1977), pasteur, docteur en théologie protestante, professeur d'hébreu et d'ancien Testament à la Faculté libre de théologie protestante de Paris, et d'Antoine Guillaumont (1915-2000), historien, spécialiste des religions de l'Orient ancien . La traduction offre des solutions intéressantes pour rendre le sens du texte et sa forme. Les notes sont du traducteur.

Aleph. Comme elle est assise à l'écart, la ville populeuse, elle est comme une veuve, la grande parmi les nations, la princesse parmi les provinces a été réduite à la corvée ! Bêth. Elle ne cesse de pleurer la nuit et sur sa joue coulent ses larmes, elle n'a pas un consolateur parmi tous ceux qui l'aimaient : tous ses amis l'ont trahie, ils sont devenus ses ennemis.

1956 est également l'année de la publication de la Bible de Jérusalem qui résulte d'une volonté des dominicains d'obtenir une nouvelle traduction pour tenir compte des progrès des sciences bibliques . Elle a été, depuis, révisée en 1973 et 1998. Cette bible recherche avant tout l'élégance et non l'exactitude. Le style est parfois emphatique.

Aleph. 1Quoi ! elle est assise à l'écart, la Ville populeuse ! Elle est devenue comme une veuve, la grande parmi les nations. Princesse parmi les provinces, elle est réduite à la corvée. Bèt. Elle passe des nuits à pleurer et les larmes couvrent ses joues. Pas un qui la console parmi tous ses amants. Tous ses amis l'ont trahie, devenus ses ennemis.

L'Editeur parisien L. Mazenod publie en 1958 un ouvrage sur les Ecrivains célèbres dans lequel on peut trouver les Lamentations de Jérémie . Jean Grosjean (1912-2006), poète et écrivain français, traducteur et commentateur de textes bibliques, Maxime Rodinson (1915-2004), historien, sociologue, marxiste et orientaliste autodidacte, et André Dupont-Sommer (1968-1983), orientaliste qui fut le premier à affirmer l'origine essénienne des manuscrits de Qoumrân, ont participé à cette publication.

Comme elle est désertée, la populeuse ! Comme, après tant d'honneurs, la voilà veuve ! La reine des nations est aux corvées. Ses nuits sont des sanglots, les pleurs l'inondent. Pas un consolateur sur tant d'amants. Ses amis n'ont cherché qu'à la trahir.

Le poète, essayiste et traducteur français, Henri Meschonnic, né en 1932, a traduit Les Cinq Rouleaux de la Bible avec une publication chez Gallimard, Paris, en 1970 . Cet ouvrage réunit Le Chant des chants, Ruth, Comme ou les Lamentations, les Paroles du Sage et Esther. Pour comprendre la présentation du texte, il avertit le lecteur : … J'ai voulu garder tous les contrastes temporels-aspectuels de l'imperfectif au perfectif qui sont dans l'original, contrastes que couvrent d'une rationalisation uniforme (par exemple, tout à l'imparfait), déformante, vieillie, les jongleries coutumières des traducteurs avec les "temps" hébreux, auxquels on fait tout dire (le "passé" est passé-présent-futur, le "futur" est passé-présent-futur, la "participe présent" est passé-présent-futur), au profit parfois d'une certaine théologie. Le parti pris poétique rend ces textes en français à leur hébreu. Il rapproche les deux langues par ce qu'elles ont en commun, qui est une poétique. J'ai voulu rendre, et je crois qu'on ne l'avait jamais tenté, les accents et les pauses dont la hiérarchie complexe fait la modulation du verset biblique, son rythme et parfois même son sens. Le rythme est le sens profond d'un texte. La diction, noté en hébreu par un système d'accents, c'est ce que j'ai voulu recréer, par des blancs (dans une hiérarchisation non arbitraire), recréer les silences du texte, rythme de page qui n'est pas les "subdivisions prismatiques de l'Idée", selon la préface à Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, bien que ce soit aussi une "distance copiée" – mais plutôt ce que Gerard Manley Hopkins appelle "le mouvement de la parole dans l'écriture". Ainsi sont pris avant tout, sinon totalement, les textes bibliques comme textes, moments d'une écriture, sans ignorer l'accumulation des sens qui s'y trouve incorporée.

I Comme est restée seule la ville plénière de peuple a été comme une veuve Plénière entre les nations première entre les provinces a été insolvable. 2 Pleurera pleurera dans la nuit et sa larme sur sa joue nul ne la console de tous ceux qui l'aiment Tous ses amis ont été infi- dèles ont été pour elle des ennemis

Le rythme est grammatical : Je suis l'homme il a vu la misère, la pause mange le relatif, elle est l'émotion. Le rythme est par moments la seule grammaire, le seul sens du texte. Le chanoine Emile Osty (1887-1981), avec la collaboration de l'Abbé Joseph Trinquet, né en 1919, traduit et fait publier en 1970 une Bible à Lausanne et à Paris . Le texte, œuvre d'une seule personne caractérisant ainsi sa cohérence d'un bout à l'autre de la traduction, respectant jusqu'au scrupule les textes originaux hébreux, araméen et grec, auquel sont accompagnés de nombreux commentaires, est le suivant :

Aleph. 1 Comment est-elle assise à l'écart, la ville populeuse ? Elle est comme une veuve, la grande parmi les nations ; princesse parmi les provinces, elle est soumise à la corvée ! 1 "Comment" (2.1 ; 4.1), début classique de la "lamentation", genre littéraire appelé qîna, et que caractérise son rythme boiteux. – "à l'écart" (3,28 ; Jour 15,17 ; 49,31 ; Lev 13,46), ou "à part" (Deut 33,28 ; Nomb 23,9 ; Os 8,9 ; Mic 7,14), ou "solitaire (Ps 102,8). – "ville populeuse", lit : "grande en population", à quoi répond au stique d "grande parmi les nations". – "princesse", c'est-à-dire de princesse qu'elle était et qu'elle a cessé d'être. – "les provinces", terme employé ici en un sens imprécis, comme en Ez 19,8 (là aussi en parallélisme avec nations) ; Qo 2,8 ; 5,7. – "soumise à la corvée", cf Gn 49,15 ; Deut 20,11 ; Jos 16,10 ; Jug 1,30.33.35 ; Is 31,8. Bet. 2 Elle ne cesse de pleurer la nuit et ses larmes [coulent] sur ses joues. Elle n'a personne qui [la] console, de tous ceux qui l'aimaient ; tous ses amis l'ont trahie, ils sont devenus ses ennemis. "pleurer, larmes", cf v16 ; 2,11.18 ; Jour 8,23, et la note ; 9,17 ; 13,17 ; 14,17. – "Elle n'a personne qui [la] console", cf v 9,16-17.21 ; Qo 4,1 (presque identique). – "ceux qui l'aimaient, tous ses amis", cf Jour 4,30 (note importante). – "l'ont trahie", il s'agit des peuples voisins qui ont profité de ses malheurs pour l'accabler (2 Rs 24,2) et de l'appui trompeur de l'Égypte (Jour 37,5-11). Voir aussi Ez 16,37 s ; 23,22 s.

La Bible d'André Frossard (1915-1995), journaliste, chroniqueur et écrivain, traduit le texte en 1970 de la façon suivante :

Comment gît-elle dans la solitude, la ville qui regorgeait d'habitants ? On prendrait pour une veuve, celle qui était maîtresse des nations la première jadis parmi les provinces, elle est assujettie au tribut. La nuit elle ne cesse de pleurer et les larmes coulent sur ses joues. Point de consolateur pour elle, parmi tous ceux qui l'aimaient. Tous ses amis n'ont pour elle que mépris, ils sont devenus ses ennemis.

En 1974, les Témoins de Jéhovah proposent une traduction des Saintes Ecritures , et notamment des Lamentations de Jérémie, en ces termes :

1 Ah ! comme elle est assise solitaire, la ville qui avait abondance de population ! Comme elle est devenue semblable à une veuve, elle qui était populeuse parmi les nations ! Comme elle s’est trouvée [bonne] pour le travail forcé, elle qui était princesse parmi les districts administratifs ! 2 Elle pleure abondamment pendant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues. Elle n’a personne qui la console parmi tous ceux qui l’aimaient. Tous ses compagnons l’ont trahie. Ils sont devenus pour elle des ennemis.

Cette traduction est volontairement orientée et ne peut être considérée comme un repère objectif de la Bible. En 1975, paraît la Traduction œcuménique de la Bible , appelée tout simplement Bible TOB, dont l'intérêt est de mettre à la disposition de tous les chrétiens, et pas seulement des catholiques, un texte commun qu'ils peuvent lire et commenter. Plus d'une centaine de spécialistes catholiques, protestants et orthodoxes ont participé à sa rédaction et à sa relecture.

1 Comment! Elle habite à l'écart, la Ville qui comptait un peuple nombreux! elle se trouve comme veuve. Elle, qui comptait parmi les nations, princesse parmi les provinces, elle est bonne pour le bagne. 2 Elle pleure et pleure dans la nuit: des larmes plein les joues; pour elle pas de consolateur parmi tous ses amants. Tous ses compagnons la trahissent: ils deviennent ses ennemis.

La Bible à la Colombe est une révision en 1978 par la Société biblique française de la version 1910 de la Bible Segond . Elle constitue une révision approfondie tout en portant l'accent sur une modernisation du vocabulaire.

1 Quoi donc ! elle est assise solitaire, Cette ville si peuplée ! Elle est devenue comme une veuve ! Grande parmi les nations, Princesse sur les provinces, Elle est soumise à la corvée ! 2 Elle pleure dans la nuit, Ses larmes (coulent) sur ses joues. De tous ceux qui l'aimaient Nul ne la console ; Tous ses amis l'ont trahie, Ils sont devenus ses ennemis.

En 1981, est éditée la Bible de Pierre de Beaumont, diplomate et écrivain, qui réalise une traduction dans un français relativement simple pour être lue par un plus grand nombre de personnes. Le vocabulaire de base est réduit, les phrases courtes, les verbes au présent de l'indicatif, etc. Le texte a été relu et noté par Bernard Gouel et Claude Wiéner, prêtres des missions de France. Cette Bible a tout d'abord paru en 164 fascicules dans la collection Aujourd’hui la Bible, avant d’être publié en un seul volume .

1 Aleph. Comment gît-elle solitaire la ville populeuse ! Est-elle devenue semblable à une veuve, elle, si grande parmi les nations ? Princesse parmi les cités, la voici réduite à la corvée. 2 Dèt. Elle pleure amèrement pendant la nuit. Les larmes ruissellent sur ses joues. Elle n'a aucun consolateur parmi ses nombreux amants. Tous ses amis l'ont trahie. Ils sont devenus ses ennemis.

La première version française produite selon le principe de l'équivalence dynamique par une équipe interconfessionnelle voit le jour en 1982 . Elle est connue sous le nom de Bible en français courant. Il s'agit ici de transmettre ce qui est dit plutôt que comment cela est dit en écartant les acceptions et les tournures qualifiées de familier ou populaire, aussi bien que vieilli ou littéraire.

1 Hélas ! la voilà toute seule la cité autrefois si fréquentée ! Elle, si renommée parmi les nations, la voilà comme veuve. Hier princesse dominant les provinces, la voilà réduite au travail des esclaves. 2 Elle passe la nuit à pleurer, ses joues ruissellent de larmes. Parmi tous ses amis, plus personne pour la réconforter. Tous ses amis l'ont abandonnée, ils sont maintenant des ennemis pour elle.

La Bible traduite et présentée par Nathan André Chouraqui (1917-2007), avocat, écrivain, penseur et homme politique franco-israélien, a été publiée en 1985 par Desclée de Brouwer à Genève . Cette bible donne un aperçu du génie de la langue hébraïque car la traduction littérale a été poussée à l'extrême et ne peut servir à une lecture courante. Le titre est pris du premier mot des chapitres 1, 2 et 4 : Eikha, Quoi ? C'est le cri du fidèle étonné, écrasé par le désastre qui a frappé la Ville Sainte.

1 א Quoi, elle siège, solitaire ? La ville au peuple multiple est comme une veuve ; l'immense parmi les nations, la princesse des cités est à la corvée ! 2 ב Elle pleure, elle pleure dans la nuit ; ses larmes sur la joue, elle est sans consolateur parmi tous ses amants. Tous ses compagnons l'ont trahie, devenue pour elle des ennemis.

Le Bible expliquée de la Société biblique française a été éditée pour la 1ère fois en 2004. Elle est le résultat d'une traduction de l'hébreu et du grec en français courant .

1 Hélas ! la voilà toute seule, la cité autrefois si fréquentée ! Elle, si renommée parmi les nations, la voilà comme veuve. Hier princesse dominant les provinces, la voilà réduite au travail des esclaves. 2 Elle passe la nuit à pleurer, ses joues ruissellent de larmes. Parmi tous ses amis, plus personne pour la réconforter. Tous ses amis l'ont abandonnée, ils sont maintenant des ennemis pour elle.

La même année, les rabbins Nosson Scherman, educateur, auteur et orateur, et Meir Zlotowitz, auteur et éditeur, édite un ouvrage intitulé Megillat Ekah, la traduction et les commentaires étant fondés sur les sources talmudiques, midrachiques et rabbiniques . La traduction originale du texte biblique a été réalisée d'après la Bible du Rabbinat français, celle du commentaire et de l'introduction par le rabbin Jean-Jacques Gugenheim.

I Hélas ! Elle est assise solitaire ! La ville naguère populeuse est devenue comme une veuve. Elle, si puissante parmi les nations, princesse parmi les provinces, a été rendue tributaire. 2 Elle pleure amèrement dans la nuit, les larmes inondent ses joues ; elle n'a point de consolateur parmi tous [p. 55] ceux qui l'aimaient ; tous ses amis l'ont trahie et sont devenus ses ennemis.

La Bible dite du Semeur (BDS) parue en 1992 sous l'égide de la Société biblique internationale , a élaboré un texte compréhensible par un large public en visant à traduire le sens des phrases plutôt qu'à offrir une correspondance exacte entre les mots du texte original et les mots de la traduction :

Comment elle reste solitaire

la cité qui, naguère, était si populeuse !

Elle est comme une veuve ! Elle qui était importante au milieu des nations, princesse des provinces, elle est astreinte à la corvée ! Tout au long de la nuit, elle pleure, et ses larmes ruissellent sur ses joues. De tous ceux qui l'aimaient, aucun ne la console : Tous ses compagnons l'ont trahie et ils sont devenus ses ennemis.

La Bible d'étude Semeur, parue peu de temps après en 2000, présente bien entendu le même texte mais avec des références aux autres textes bibliques et des commentaires afin de faciliter une étude approfondie. La Bible des Peuples, parue en 1998, traduite à partir des textes originaux hébreux et grecs, est une traduction assez littérale, présentée et commentée pour les communautés chrétiennes et pour ceux qui cherchent Dieu par Bernard et Louis Hurault . Elle vise à rendre le texte plus percutant et actuel. C'est une réédition de la Bible des Communautés chrétiennes.

1 1 Hélas ! Elle reste seule, la ville au peuple nombreux, elle est resté comme une veuve, la grande parmi les nations ; jadis reine parmi les provinces, elle est soumise à la corvée. 2 Elle a pleuré toute la nuit et les larmes couvrent ses joues. Parmi tous ses amants, pas un ne la console. Tous ses amis l'ont trahie, sont devenus des ennemis.

En 2000, paraît la Bible Parole de vie qui connaîtra plusieurs éditions . Le texte qui est le résultat d'une traduction en "français fondamental", le vocabulaire étant volontairement restreint à 3 000 mots, en est le suivant :

1 1 Hélas ! la voici abandonnée, cette ville autrefois si peuplée ! Elle est comme une veuve, celle qui était si célèbre parmi tous les peuples. La voilà esclave, celle qui était une reine parmi les provinces ! 2 Elle passe ses nuits à pleurer, et ses joues sont couvertes de larmes. Parmi ceux qui l'aimaient, personne ne la console. Tous ses amis l'ont trahie, ils sont maintenant ses ennemis.

En 2000, paraît également une traduction du texte de Eikha par le Rav Yehoshua Ra'hamim Dufour .

1 Hélas! Comme elle est assise solitaire, la ville si peuplée autrefois, et maintenant comme une veuve ! Immense parmi les nations, princesse parmi les Etats, elle est réduite à payer tribut ! 2 Elle pleure sans cesse la nuit, et ses larmes couvrent ses joues. Elle n'a pas de consolateur parmi tous ceux qui l'aimaient. Tous ses amis l'ont trahie et sont devenus ses ennemis.

La littérature française entretient ainsi avec la Bible une relation paradoxale et plus riche que les autres littératures européennes mais, comme le dit Paul Claudel en 1936, malheureusement les Bibles de langue française ne nous donnent que des transcriptions pauvres et plates, sans résonance et sans poésie. Il est vrai que les traducteurs français n'associaient jamais d'écrivains contemporains. Trop souvent les traductions de la Bible en français sont issues d'une pensée de la langue, des langues, ou d'une pensée de l'histoire et de l'archéologie des textes, rarement, voire jamais, d'une pensée de la littérature, est-il dit dans la partie introductive de la Bible. C'est chose faite avec la Bible [des écrivains] depuis 2001 avec le travail collectif entre plusieurs exégètes et écrivains francophones, une cinquantaine, de part et d'autre de l'Atlantique, afin de retrouver la légèreté d'une langue écrite et parlée dans un monde en devenir. L'originalité repose donc sur la constitution de binômes composés d'un exégète et d'un écrivain. Le résultat est quelquefois décapant.

Aleph. Comment ! Elle habite en solitude, la ville remplie de peuple ? Elle est comme une veuve : Grande parmi les nations, princesse parmi les provinces, La voilà livrée à mépris. Beth. A pleurer : elle pleure dans la nuit Et ses pleurs sont sur ses joues. Pour elle, pas de consolateur, parmi ceux qui l'aiment, Tous ses proches l'ont trahie, Devenus pour elle ennemis.

La Nouvelle Bible Segond (NBS) , bible protestante, qui paraît en 2002, ne présente pas de différences avec la version précédente de 1874 tout au moins en ce qui concerne les textes étudiés dans le présent chapitre. La Bible d'Alexandrie LXX, traduction du grec de la Septante préparée dans le cadre du Centre Lenain de Tillemont de l'université Paris-Sorbonne, unité associée au CNRS, comprend dans le volume 25.2, paru en 2005 aux Editions du Cerf à Paris, les livres de Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie . L'introduction et les notes figurant en tête du livre des Lamentations ont été préparées par Isabelle Assan-Dhôte et Jacqueline Moatti-Fine .

Alph « Comme elle s'est assise solitaire, la cité qui s'était multipliée en peuples! Elle est devenue comme une veuve, elle le qui s'était multipliée parmi les nations, princesse parmi les provinces, elle est devenue tributaire !Tout au long de la nuit, elle pleure, et ses larmes ruissellent sur ses joues. Beth Elle a pleuré, pleuré dans la nuit, et ses larmes sur ses joues, et il n'y a personne qui la console, parmi tous ceux qui l'aimaient ; tous ceux qui la chérissaient l'ont trahie, ils sont devenus pour elle des ennemis.

La Nouvelle King James Française de 2006 présente une version classique du texte des Lamentations :

Comment est assise solitaire, la ville qui était si peuplée! Comment est-elle devenue comme une veuve! Celle qui était grande parmi les nations, et princesse parmi les provinces, comment est-elle devenue tributaire! Elle pleure beaucoup durant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues; parmi tous ses amants, elle n'en a aucun pour la consoler; tous ses amis ont agi perfidement avec elle, ils sont devenus ses ennemis.

Dans l'essai biographie du prophète, Jérémie le prophète, l'homme en son temps ¸ figurent les Complaintes sur la destruction de Jérusalem . Ces textes, écrits par Eric Dereeper, abordent dans leur contexte historique les textes des Livres bibliques.

1 Hélas ! Elle est assise solitaire, cette ville si grande ! Elle est devenue comme une veuve ! Elle, si grande parmi les nations, princesse sur les provinces, elle est astreinte à la corvée ! 2 Elle passe la nuit à pleurer, ses joues ruissellent de larmes. De tous ceux qui l'aimaient, personne ne la console ; tous ses amis l'ont trahie, ils sont devenus ses ennemis.

Il faut prendre conscience que ces quelques pages ne traduisent qu'une brève évolution des textes bibliques des Lamentations de Jérémie. Ce chapitre n'a pas la prétention de décrire l'histoire de la bible. Bien entendu, les Lamentations de Jérémie ont été reprises dans différentes langues régionales françaises. C'est l'exemple même du jersiais, langue minoritaire de Jersey, qui vient des langues d'oil, du normand, du guernesiais, du picard, du gallo et du ouallon. Et si cette langue est intéressante à plus d'un titre, c'est qu'elle est encore parlée au XXe siècle jusqu'au bord de la Loire. Les deux premiers versets, écrits en jersiais par le poète Geraint Jennings en juin 2000 , se présentent comme suit :

La ville est veuve - la grise campangne mouothit. Les nièrs c'mîns vithent coumme des ribans dé deu Copant les bouais'sies d'if, dé tchêne, d'louothi, D'bouôlias et d'fau. Prannons d'la fouaille pouor l'feu, Satchant lé tondre. La tendresse dé nos tchoeurs Alleunm'tha les rouoges veues d'touos nos carrefours. Lé brit dû du trafi sonn'na nos plieurs. Nos lèrmes sont à laver hors nos amours.

Ces lamentations n'ont pas été mises en musique ! Chaque Leçon des Ténèbres se termine sur le texte latin, Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum, tiré du Livre du prophète Osée (14,2). Du Jerusalem, Jerusalem convertissez-vous au Seigneur vostre Dieu du XVIIIe au Allez reviens Israël jusqu'à Yhwh ton Dieu. Tu es tombé, c'est de ta faute du XXe, en passant par Reviens pécheur à ton Dieu qui t'appelle du XIXe, ce texte revient comme une ritournelle destinée à inciter à la conversion des âmes comme le rappelait récemment Paul VI dans son homélie de canonisation des martyrs d'Ouganda du XIXe siècle lorsque Charles Lwanga protégea les pages des avances homosexuelles du roi du Baganda, Mwanga . Parlant de ce crime, Paul VI recourt à Jérémie car combien ne reconnaîtraient pas la même confusion, le chaos culturel, l'idolâtrie, la licence, l'injustice des jours de Jérémie dans le milieu dans lequel tout prêtre, aujourd'hui en 1996, doit vivre, se déplacer, avoir son existence ? Combien, à un moment ou à un autre, ne pourraient pas faire l'écho au sentiment d'abandon complet de Jérémie, ou de solitude existentielle ? Combien n'a jamais souffert de cette frustration de Jérémie, celle de prêcher à des sourds ? La réforme du Concile du Vatican de 1962 a pratiquement supprimé les Lamentations de Jérémie à l'exception d'une partie de l'Oratio (versets 5:1 à 5:7 et 5:15 à 5:21) maintenue à la Prière matinale du Samedi Saint.

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