Et celui de l'abbé Victor-Alfred Dumax l'année suivante

De Lamentations de Jérémie.

Aujourd'hui, mon cher ami, à quatre heures de l'après midi, a commencé à la Sixtine, avec les ténèbres la série des offices des derniers jours de la grande semaine, connus plus spécialement, comme je vous l'ai dit ailleurs, sous le nom de Fonctions. Bien des fois naturellement, vous le supposez, j'avais assisté à l'office des ténèbres, dans nos églises de France, mais jamais je n'avais aussi bien compris que ce sont les funérailles même de Jésus-Christ, dont l'Eglise entend célébrer le douloureux souvenir. Quel deuil ! quelle tristesse ! que de larmes dans toutes les prières et dans toutes le voix ! Ainsi qu'il est d'usage dans les cérémonies de deuils, les cardinaux étaient revêtus de la soutane et de la cappa violettes ; le Pape ne portait qu'une mitre en drap d'argent, et l'on apercevait une étole violette sous son vaste manteau de serge rouge. Les six torches qui brûlaient sur lautel étaient en cire jaune, comme aux offices de requiem. Dans le sanctuaire, au coin de l'épître, apparaissait le mystérieux candélabre, dont le sommet triangulaire était garni des quinze cierges que l'on devait voir s'éteindre les uns après les autres, à la fin des psaumes. Une foule nombreuse se pressait aux portes et dans les tribunes. Chaque année, la Fonction de ténèbres attire une affluence considérable. Il n'est aucun étranger qui ne veuille entendre les magnifiques chants des lamentations, après les psaumes du premier nocturne, et ceux du Miserere qui terminent la cérémonie. Je voudrais pouvoir, mon cher ami, vous exprimer tout ce qu'il y a d'harmonie, de beauté, d'accords entraînants dans le chant des lamentations, d'ailleurs si celèbre, et dont certainement vous n'êtes pas sans avoir entendu parler. Je n'entreprendrai point cette tâche. Ce sont là de ces choses que l'on sent, mais qui ne peuvent se traduire en paroles. Je me contente de vous déclarer que tout ce que l'on a pu raconter de la composition de cette musique religieuse, due au célèbre Grégoire Allégri, et de la manière dont elle est exécutée à la chapelle Sixtine, est au-dessous de la vérité. Il est impossible d'entendre ces chants si pathétiques et si pleins de larmes, et de ne pas se sentir soi-même les yeux humides. C'est ce que m'ont avoué plusieurs personnes, qui semblaient cependant ne leur prêter qu'une attention toute profane. Pour ceux-là donc qui les ont écoutés en rapprochant des mélodies de la musique le sens si touchant des paroles, je puis affirmer que les émotions que se sont succédé dans leur âme sont au-dessus de toute expression. […] Durant le cours de l'office, tous les cierges du triangle avaient été successivement éteints, un seul excepté, que l'on avait porté derrière l'autel ; les torches de la balustrade, puis celles de l'autel avaient été aussi éteintes : ainsi la chapelle était dans une obscurité presque complète. Cette demi-nuit mystérieuses aidait l'âme à savourer les suaves impressions quelle ressentait comme malgré elle, et auxquelles elle se trouvait heureuse de s'abandonner. Comme à Paris, la fin de la fonction fut notifiée à tous les assistants par un bruit confus qui se fit entendre dans le sanctuaire . Dès que l'on eut replacé sur l'autel l'unique lumière conservée, le Pape se retira avec sa suite. Je ne m'empressai point de sortir ; ainsi qu'il arrive après une triste cérémonie de funérailles, j'avais besoins de silence et de paix... Adieu, mon cher ami ; demain et après-demain, j'assisterai encore à l'office des Ténèbres, mais je ne vous en entretiendrai pas davantage.

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