Les acteurs
De Lamentations de Jérémie.
Il serait vain de parler du rituel religieux, du cérémonial romain entre autres, si, en dehors des indications "scéniques" des cérémonies proprement dites, on ne parlait pas de ceux qui les ani-ment, c'est-à-dire des acteurs. Au fond, comme dans les productions théâtrales, il faut réunir plusieurs éléments : les dialogues, la didascalie, les acteurs et les décors. On s'arrêtera là avec le rapprochement du milieu théâtral pour se concentrer sur les officiants des matines de la Semaine Sainte.
Il existe toute une hiérarchie au sein des cathédrales à commencer par son chef suprême, l'évêque qui préside ou non la cérémonie. Ces deux cas sont d'ailleurs présentés séparément dans les cérémoniaux. Comme il ne s'agit pas d'une étude prosopographique. On laissera donc de côté toutes les fonctions hors du domaine musical, même s'il le touche parfois .
Ce chapitre abordera d'abord le chœur bien entendu, mais également les chantres , le maître des enfants, le règlement intérieur d'une maîtrise, les enfants de chœur, le chant sur le livre et le corps de musique.
Le chœur
Ce chantre entonne mal
C'est en Espagne qu'apparaît pour la 1ère fois la notion de chantres dirigés, comme le dit l'inscription de Mertola, par un princeps. Dans la Vie de saint Séverin du VIe siècle, on parle également du primicerius cantorum de Naples .
Isidore de Séville dans ses écrits énumère les qualités du cantor, qui doit avoir une voix chantante, douce, limpide, dans une mélodie appropriée à la sainte religion.
Il doit chanter avec humilité, chasteté, sobriété ; ses mélodies doivent amener le peuple à l'amour céleste non seulement par la sublimité des paroles mais par la suavité de la musique .
Cette conception… est réexprimée fortement dans les canons du concile d'Aix de 816, qui une fois encore s'en tient au lexique et à la phraséologie d'Augustin et d'Isidore : "…que la mélodie (des chantres) élève les âmes du peuple qui les entoure jusqu'à la remémoration (memoria) et l'amour des choses célestes, non seulement par la haute portée des mots, mais encore par la suavitas des intonations (tonorum) que l'on fait entendre.
Il convient donc que le cantor, comme l'ont enseigné les saints Pères, soit remarquable et distingué par la voix et par l'art, de manière à ce qu'il saisisse l'âme de ses auditeurs par une sorte de diversion heureuse … La voix (du chantre) ne sera ni dure, ni enrouée, ni discordante, mais bien chantante, harmonieuse, claire et élevée, ayant une sonorité et une conduite mélodique en accord avec une religion sainte. Elle ne fera donc pas entendre un art de tragédien, mais un art qui dans sa modulatio même manifeste une simplicité chrétienne, qui ne sente pas la posture des musiciens ou l'art théâtral, mais qui exerce plutôt une véritable compunctio sur ses auditeurs.
Plus récemment, Jean-Yves Hameline précise à propos de la récitation des psaumes, qu'ils doivent être récités ni précipitamment (cursim), ni avec des voix élevées, désordonnées, mal dosées (intemperatis), mais d'une manière égale (plane), et distinctement, de sorte que l'esprit des récitants soit tranquillement nourri, et que les oreilles des auditeurs soient charmées de leur belle diction (pronuntiatio)." C'est déjà tout un programme pour les Leçons des Ténèbres.
Il serait difficile de relever tous les textes concernant les chantres mais on peut noter déjà par ces quelques textes, l'importance du chantre dans le chapitre de la cathédrale et dans les cérémonies puisqu'il y participe largement.
Les chantres avaient aussi la réputation d'être des personnes un peu difficiles et gaies. On trouve, par exemple, les expressions boire comme un chantre , chantre de lutrin qui est un méchant musicien (A. Furetière, Dict. Universel 1690) ou mauvais musicien (J.F. Féraud, Dict. critique de la langue française, Marseille, Mossy 1787-8), ce chantre entonne mal dans le double sens d'un homme qui boit beaucoup ou d'un chantre qui chante le commencement de quelque chose qui est continuë par d'autres . On appelle par raillerie ceux qui gagnent leur vie a chanter & à vendre de chansons au peuple, Chantres du Pont-neuf . Le dictionnaire de Trévoux cite même l'expression Nouvelliste et fainéant sont deux mots aussi étroitement mariés que chantre et buveur.
Nicolas Boileau, dans Le Lutrin, Chant 2, ne disait-il pas lui-même :
- Le souper hors du chœur chasse les chapelains
- Et de Chantres buvants les cabarets sont pleins. (Chant second)
et Gantez dans la lettre IX à un confrère : Tachez de ne pas acquérir la réputation que beaucoup de chantres ont d'être sujet au vin, car encores qu'on die que tous les Musiciens sont des yvrongnes, sçachez aussi que tous les yvrongnes ne sont pas musiciens.
Son ouvrage est farci de citations et de constatations relevées sur le terrain de l'expérience. Ainsi, on trouve indifféremment : on disoit que bon médecin & bon theologien ne furent jamais bons chrétiens, maintenant on y adjouste les Musiciens, car par ma foy ils sont bien dévôts, mais on peut dire que c'est envers les pots, & qu'il sont plus zelez pour la dame que pour le Seigneur (Lettre XIII), à bouche fermé n'y entra jamais mouche & les Chantres ne la devroient jamais ouvrir que pour boire […] l'instrument de la langue est glissant, & apporte grand danger à ceux qui le meprisent, or les Musiciens l'ayant plus humide à cause de la boisson, l'ont plus glissante, & par conséquent plus dangereuse, c'est pourquoy la doyent plus retenir (Lettre XV), la difference qu'il y a entre un Chantre & un Jardin, c'est que pour arrouser un Jardin il faut de l'eau, mais pour un Chantre il est requis d'avoir du vin (Lettre XIX), et puis cet Air qu'il a fait sur le subjet :
- Mon premier dessein est d'abord que je m'esveille
- De crier à Catin
- De m'apporter du vin une pleine bouteille
- Pour boire le matin.
- Il ne m'arrive pas de sortir de ma couche
- Que dix verres de vin n'ayent lavé ma bouche. (Lettre XIX)
- Mon premier dessein est d'abord que je m'esveille
Cette réputation pittoresque était acquise depuis des lustres puisque le pape Grégoire, au synode romain de 595, relève l'absence de conciliation de la compétence technique avec la dignité apostolique. C'est la raison pour laquelle il décida de confier la fonction de chantre aux sous-diacres ou même [...] aux clercs inférieurs : voici longtemps qu'est apparue la coutume fort répréhensible de choisir certains clercs comme chantres au service du saint autel et de leur conférer le diaconat pour consacrer à l'art du chant ceux qu'il serait convenable d'appeler aux fonctions de la prédication et au soin des aumônes. De ce fait, il arrive qu'en recherchant de belles voix pour le service divin, on ne pense pas à rechercher des hommes dont la conduite soit bonne; il arrive que le chantre au service de l'autel irrite Dieu par sa manière de vivre, pendant qu'il charme le peuple par ses chants .
Cette image du chantre que nous conservons au travers des dictionnaires et des registres capitulaires laisse un petit goût amer de dégénérescence. A noter que le terme chantre a disparu des dictionnaires peu avant la Révolution française, le dictionnaire de Féraud ne le mentionnant qu'à Chantrerie.
Il faut dire que la vie claustrale, imposée à ces clercs, qui n'avaient le plus souvent aucune vocation religieuse et avaient été choisis au hasard des villes et des campagnes avoisinantes pour la seule excellence de leur voix, explique assez bien ces attitudes . Ceci explique sans aucun doute cela.
Ceci se confirme par la bouche de François Rabelais qui a, comme chacun le sait, le verbe assez haut à une époque où le françois s'écrivait comme on l'entendait : En l'abbaye estoyt pour lors un moyne claustrier nommé frère Iean des Entommeures, ieune, guallant, frisque, dehayt, bien à dextre, hardy, adventureux deliberé, hault, maigre, bien fendu de gueule, bien advantagé en nez, beau despescheur d'heures beau debrideur de messes, pour tout dire, un vray moyne si oncques en feut depuys que le monde moyna. Icelluy entendent le bruyt que faisoyent les ennemys par le clos de leur vigne, sortit hors pour veoir ce qu'ilz faisoient. Et advisant qu'ilz vendangeoient leurs clous, on quel estoyt leur boyte de tout l'an fondée, s'en retourne au cueur de l'eglise ou estoient les aultres moynes tous estonnez comme fondeurs de cloches, lesquelz voyant chanter.
C'est, dist il, bien chien chanté.
Le rôle de chantre ou de préchantre, devenu à peu près honorifique, s'est réduit progressivement pour ne consister qu'à indiquer ce qui devait être chanté, à entonner certaines pièces, à annoncer au célébrant, aux dignités ou aux chanoines, celles qu'ils devaient entonner. Ce rôle a existé au moins jusqu'à la fin du XXe siècle. Le chantre tenait lors des fêtes doubles, ou grands doubles, des bâtons d'argent terminés en forme de tau .
A Amiens, au XIIIe siècle, le gouvernement des enfants de chœur, qui était attribué au Préchantre et au Chantre, était déchargé sur des procuratores .
Le maître des enfants
Initialement, la charge des enfants incombaient au maître de grammaire (magister puerorum, instructor, gubernator, administrator puerorum) mais au XVe siècle, la direction a été attribuée progressivement et presque naturellement au maître de musique qui assurait également le rôle de Maître de pension . Le maître sera nori, couché, blanchi de linge de lict et de table ; boira demy-setier de vin gascon ou anjou à desjuner, chopine à disner et aultant à soupper… Il doit enseigner aux enfants le contre point et leur apprendre à chanter sur le livre . Par un contrat (pris à titre d'exemple sans préjugé des autres qui peuvent être très disparates) passé en 1742 entre le Chapitre et le Sr Julien, maître de musique, ce dernier s'engage et s'oblige d'apprendre aux Enfants la Musique, la Composition, à Joüer des Instruments, les Cerimonies de l'Eglise, Et de Leur faire preuoir Ce qu'ils doiuent faire et Chanter, leur donnant au moins deux heures de Leçons par Jour, Luy present . Le canon I du concile de Bourges de 1584, groupe en une seule phrase toutes ces exigences à propos des maîtres : il faut que leur maître ou précepteur soit remarquable et exemplaire dans sa vie et dans sa foi ; qu'il ait déjà embrassé les ordres ou du moins qu'il soit ordonné dans l'année ; qu'il soit maître de ses réactions, qu'il ne soit pas violent ; qu'il ne donne pas de coups ; qu'il n'ait pas de concubine et qu'il ne puisse pas être un sujet de scandale pour la jeunesse ; il ne doit point être trop indulgent envers les enfants, ni sévère cependant au point de les détourner du pain bénit ; qu'il ne se serve pas des travaux des enfants à son profit ; qu'il soit bien versé dans l'art musical et les rites de l'Eglise ; qu'il les enseigne de son mieux ; qu'il ne néglige pas la demeure ni la famille des enfants." Il était difficile d'en trouver un convenable en France ! Ce qui ne semble pas avoir été le cas dans les autres pays européens. En effet, aux qualités musicales, il fallait allier celles de professeur pour les enfants d'aube, de chantre et d'officiant pour les cérémonies religieuses (variable d'un diocèse à l'autre) mais également celles de "tuteur" des enfants en se substituant à leurs parents pour tous les aspects domestiques et éducatifs. Les registres capitulaires sont un parfait témoin (négatif) de cet état de fait en conservant dans leurs précieuses pages l'état des manquements et des sanctions affligés aux maîtres des enfants et aux enfants eux-mêmes. "Les musiciens d'église voyagèrent beaucoup dans tous les temps : chantres ou maîtres de musique partaient à cheval quelquefois, à pied le plus souvent, & allaient de ville, en ville, de cathédrale en cathédrale, recevant ici l'hospitalité d'un confrère, d'un curé ou d'un chanoine, couchant là à la belle étoile & faisant de plus ou moins longs séjours dans les chapitres où ils réussissaient à trouver de l'emploi. Cela s'appelait vicarier . Le changement de maîtrise était considéré comme un moyen d'acquérir du talent, en ce sens que le vicariant, mis à même de juger des différentes manières de chanter & d'exécuter la musique dans toutes les paroisses qu'il visitait, y gagnait au moins quelque expérience". "Jamais, dit notre auteur, un musicien ne fut estimé, s'il n'a un peu voyagé." L'histoire des maîtrises des cathédrales, dont on trouve beaucoup d'ouvrages à partir du XIXe siècle, révèle en tout cas qu'en France, les maîtres de chapelle n'aiment pas rester trop longtemps à la même place. D'un chapitre à l'autre, ils recherchent soit à avoir une plus connaissance de la matière musicale en se confrontant avec d'autres confrères, soit à rejoindre Paris pour obtenir la gloire. Ceci est très visible à la lecture des ouvrages historiques consacrés aux maîtrises françaises, mais ce phénomène ne se retrouve pas, à quelques exceptions près, dans les autres pays latins. On a quelques traces de concours pour doter les enfants de chœur d'un maître, procédure alors très courante en Espagne par exemple. Si en France, c'était le Chapitre qui sélectionnait et recrutait le maître de musique, il en était tout autrement en Espagne, le Chapitre s'effaçant derrière un jury généralement composé de maîtres des diocèses limitrophes ou réputés. Ce qui ressort également des registres capitulaires, c'est que le recrutement était toujours délicat, les recherches nombreuses et souvent aboutissaient à prendre le moins mauvais des candidats qui se sont présentés ou qui sont recommandés (voire le Chapitre s'en privait). L'abbé Prévost témoigne de cet état de fait : c'est au XVe siècle que Frégnault fut examiné ; il offrit de composer un tel lieu qu'on voudrait et de faire chanter un motet de sa composition. On décida que cette épreuve aurait lieu après dîner chez le chanoine Prieux ; le candidat dut aussi composer un autre motet sur un sujet indiqué, et qui serait exécuté par les experts du chapitre, parmi lesquels le maître des enfants de Saint-Etienne. Le 30 décembre, il subit l'épreuve ; il composa promptement deux motets ; mais on les trouva médiocres. Fort heureusement, il avait les autres qualités requises pour ses fonctions. Il fut donc agréé, à condition de n'avoir point de suite avec lui qui pût donner mauvais exemple, comme il était arrivé à son prédécesseur . Le 2 avril 1682, on prie les trésoriers, chambrier et intendants de la fabrique, de faire chanter M. Roussel, qui se présente comme maître de musique, afin d'examiner sa voix. – Le 6 avril suivant, on remercie M. Roussel de ses peines, étant incapable . S'il est accepté, il prête alors le serment qui énumère également ses devoirs. Il a droit à l'habit de chanoine et à une prébende, mais dans les stalles il se tient au dernier rang. Le maître de musique assurait la relation entre le chapitre (personnage invisible ) et les enfants de chœur. Ce rôle devait être délicat car avec les Chappitres il n'y a rien à gaigner . Les témoignages ne sont sans doute pas représentatifs des habitudes de l'époque puisqu'aussi bien, le registre capitulaire ne consignait que ce qui sortait de l'ordinaire, en plus, bien entendu, de l'inscription des dépenses générales de la cathédrale ou de la collégiale. Aussi bien, les exemples qui suivent ne sont que des épisodes qu'il faudra savoir recentrer dans leur contexte. Ils émanent tous de Gantez, un fameux observateur de son époque, mais surtout le seul qui ait consigné par écrit les us et coutumes de sa corporation. Comme on l'a déjà dit, la responsabilité du maître de musique sur les enfants de chœur est considérable. Il en résulte forcément des abus : j'ay veu un Maistre qui ostoit le pain aux enfans de Chœur pour le donner aux siens propres, & pour ce subjet il en fut chassé afin que les enfants soient dignes du maître : un Maistre qui ne pouvant faire comprendre une notte à l'Enfant, l'arracha avec tout le papier pour la luy faire avaller, en luy disant que puisqu'il ne la pouvoit concevoir par raison qu'il la fourreroit par force dans la teste . Mais c'est sans compter avec la force de caractère de quelques-uns. Le Chapitre veille, heureusement pour les enfants. Chacun de s'émouvoir : on [le Chapitre] fit venir les autres enfants qui, interrogés à leur tour, répondirent : "depuis que Mr Louys Lebrun a logé et faict sa despance en la dicte maistrise, Ils sont mal traités et vilipandés par luy; mais que depuis le despart de Mr le Maitre, [Jean Mestre] il les a excédés touz a grands coups de fouet de baston. [ ... ]. Le maître de musique doit rester célibataire ou être ordonné : un Musicien marié est quasi monstre parmy des prêtres . Ses relations avec les musiciens doivent être diplomatiques : comme l'on ne prend le poisson qu'avec l'ameçon on ne sauroit gaigner l'amitié des Musiciens qu'avec le verre , lorsqu'un Chantre est en cholere il ne faut que chopine d'huile de sarment pour faire la paix , un Chantre fasché de ce qu'un Maistre ne le fera pas boire si souvent qu'il souhaiteroit, il dira par despit que dans le Mottet il y a des fautes & que le Maistre ne fait ordinairement que chanter la mesme piece , vous sçavez bien qu'il est impossible de faire une bonne Musique avec des Chantres mescontens, car au lieu de dire Fa, ils diront Sol, & les auditeurs vous prendront pour un fat & pour un sot , ceux qui veulent faire cette profession ayent beaucoup d'autres qualités & qui sont autant necessaires comme d'estre courtois, civil & advenant, liberal & particulierement doux, soit envers les Chanoines que Messieurs les Chantres […] Bref la science en toutes choses, c'est d'avoir de l'entregeant, & des paroles de soye . Ses compétences doivent être solides pour ne pas être confronté à des compétiteurs de passage : un Maistre de Musique ignorant ne fera jamais recevoir dans un Chappitre quelque Chantre bien capable par la crainte qu'il aura d'avoir un compagnon & qu'il ne connaisse ou publie ses deffauts , et ses qualités musicales et littéraires sans reproches : je vous diray bien que la Musique sans les lettres est un corps sans ame, car la pluspart de nos Maistres pour ignorer le Latin, ils font mille absurditez dans leurs Mottetz, soit à la quantité, ou pour ne pas bien representer le sens de la parole, faute d'en avoir l'intelligence . Il doit donner cette impression de stabilité dans le poste qu'il occupe : il arrivera qu'après qu'on aura reconnu votre inconstance, les meilleurs Chapitres ne voudront plus de vous & vous serez contraint de vous loger dans les moindres , même si cela paraît contradictoire avec l'expérience recherchée par le chapitre. Gantez d'ailleurs se contredit dans la Lettre XVIII, lorsqu'il dit que la force d'esprit est qu'il vaut mieux vicarier ou voyager en mangeant de la vache enragée que de faire bonne chere dans un Chappitre & souffrir mille affronts de ceux qui nous surpassent en dignité plutost qu'en qualité. Il conclut son ouvrage par cette recommandation générale : et un maistre de Musique sera vrayment genereux & magnanime lors que dissimulant les affronts des Chanoines, les injures des Chantres, & l'ingratitude de ses escoliers, il ne laissera pas de servir les premiers, supporter les seconds, & oublier les derniers, estant asseuré (cher amy) que cette vertu a tant de pouvoir qu'elle esleve les hommes au plus haut point d'honneur, & abbat le cœur aux ennemys, & bien souvent donne la victoire sans combattre . D'une manière générale, le maître de musique devait laisser sa musique, propriété du chapitre. On est loin des droits d'auteur actuels. Jean-Jacques Rousseau, dans ses Confessions (Livre III), raconte à ce sujet les déboires d'un maître de musique de ses amis : l'ancien Chapitre de Genève, où jadis tant de princes et d'évêques se faisaient un bonheur d'entrer, a perdu dans son exil son ancienne splendeur, mais il a conservé sa fierté. Pour pouvoir y être admis, il faut toujours être gentilhomme ou docteur de Sorbonne, et s'il est un orgueil pardonnable, après celui qui se tire du mérite personnel, c'est celui qui se tire de la naissance. D'ailleurs tous les prêtres qui ont des laïques à leurs gages les traitent d'ordinaire avec assez de hauteur. C'est ainsi que les chanoines traitaient souvent le pauvre Le Maître. Le chantre surtout, appelé M. l'abbé de Vidonne, qui du reste était un très galant homme, mais trop plein de sa noblesse, n'avait pas toujours pour lui les égards que méritaient ses talents ; et l'autre n'endurait pas volontiers ses dédains. Cette année ils eurent, durant la semaine sainte, un démêlé plus vif qu'à l'ordinaire dans un dîner de règle que l'évêque donnait aux chanoines, et où Le Maître était toujours invité. Le chantre lui fit quelque passe-droit, et lui dit quelque parole dure que celui-ci ne put digérer ; il prit sur-le-champ la résolution de s'enfuir la nuit suivante [...] Il ne put renoncer au plaisir de se venger de ses tyrans, en les laissant dans l'embarras aux fêtes de Pâques, temps où l'on avait le plus grand besoin de lui. Mais ce qui l'embarrassait lui-même était sa musique qu'il voulait emporter, ce qui n'était pas facile : elle formait une caisse assez grosse et fort lourde, qui ne s'emportait pas sous le bras. […] Après avoir passé très agréablement quatre ou cinq jours à Belley, nous en repartîmes et continuâmes notre route sans autre accident que ceux dont je viens de parler. Arrivés à Lyon, nous fûmes loger à Notre-Dame-de-Pitié, et en attendant la caisse, qu'à la faveur d'un autre mensonge nous avions embarquée sur le Rhône par les soins de notre bon patron M. Reydelet. M. Le Maître alla voir ses connaissances, entre autres le P. Caton cordelier, dont il sera parlé dans la suite, et l'abbé Dortan, comte de Lyon. L'un et l'autre le reçurent bien : mais ils le trahirent comme on verra tout à l'heure ; son bonheur s'était épuisé chez M. Reydelet. […] Sa caisse de musique qui contenait toute sa fortune, cette précieuse caisse, sauvée avec tant de fatigue, avait été saisie en arrivant à Lyon, par les soins du comte Dortan, à qui le Chapitre avait fait écrire pour le prévenir de cet enlèvement furtif. Le Maître avait en vain réclamé son bien, son gagne-pain, le travail de toute sa vie. La propriété de cette caisse était tout au moins sujette à litige ; il n'y en eut point. L'affaire fut décidée à l'instant même par la loi du plus fort, et le pauvre Le Maître perdit ainsi le fruit de ses talents, l'ouvrage de sa jeunesse, et la ressource de ses vieux jours . Adieu les droits d'auteur, mais ils n'existent pas en ce temps-là. On retrouve quelques témoignages, ici ou là, de l'abandon imposé de la musique composée par le maître, musique pour laquelle le chapitre le rémunère. C'est le cas d'Adrien Allou, maître de musique de la cathédrale de Langres, dont le chapitre décide le 17 janvier 1608 qu'Allou, à son départ, devra laisser à la psallette les livres d'hymnes et de motets de sa composition . C'est également le cas de François Petouille, maître de musique de 1723 à 1727 à Langres, puis à Notre-Dame de Paris, le chapitre l'ayant invité, par décision du 21 avril 1727, à laisser en s'en allant, une partie de sa musique ; et on décida de la faire copier. De plus, on lui demanda plus tard d'envoyer à Langres les compositions écrites par lui pour la cathédrale de Paris . A-t-il seulement été rétribué ? Dans certains diocèses, ils étaient mêmes tenus par leurs contrats de fournir au Chapitre un certain nombre d'œuvres par an. Au XVIIIe siècle, on leur demandait, par exemple, de composer chaque année une messe, des vêpres, un Te Deum et un motet au Saint-Sacrement . Mais d'une manière générale, la musique quotidienne était considérée comme du consommable et ne fut jamais considérée comme étant de grande valeur. Gantez raconte que dans bien des maîtrises, les enfants de chœur se servaient des feuilles de musique pour allumer le feu ; "les serviteurs, ajoute-t-il, en faisaient des cornets à épices et les maîtres eux-mêmes des passeports pour l'anti-chambre" . On ne peut terminer ce portrait du maître de musique sans citer, ce que le chanoine Poirier rappelle dans son ouvrage, une anecdote qui pourrait concerner Clément Janequin lui-même : le Chapitre d'Angers mentionne le 25 mars 1534 qu'il est enjoint au maître de faire chanter la troisième leçon des Ténèbres en musique selon l'usage . En effet, Janequin est donné à cette époque comme maître de psallette de la dicte église d'Angiers . Certaines maîtrises avaient à leur tête parfois plusieurs sous-diacres : le prior ou primicerius, le secundus ou secundicerius, le tertius, le quartus ou archiparaphonista et des paraphonistæ, sorte de chefs de groupes. Si cette distinction a été relevée au cours des premiers siècles dans l'organisation de la maîtrise de la cathédrale de Chartres , on ne peut en tirer une règle générale. A Reims, revêtu de la dignité canoniale, présidait bien au-dessus du Maître de musique, une personne que l'on appelle indifféremment "Chanoine supérieur de la Maison des Enfants de Chœur, Administrateur de la Messe des Enfants de Chœur, Monsieur le Maître de la Prébende", et dans les documents latins "Officiarius prebendae Puerorum Chori" . Quelques maîtrises complétaient l'encadrement de la maîtrise avec maître de grammaire, un économe et quelquefois un sous-économe (bailon).
Le règlement intérieur Les fabriques n'ont pas toutes laissé les règlements intérieurs qui ordonnaient l'organisation des maîtrises et leur encadrement. Elles s'y réfèrent souvent et c'est par approches successives, basées sur les délibérations des Chapitres, qu'on commence à avoir une certaine idée de la question. Mgr du Marais, évêque de la cathédrale de Laval a promulgué le sien le 18 août 1877 . Il est donné à titre d'exemple car il est assez représentatif de ceux, divulgués ou non, appliqués dans les différentes régions de France. Voici ce qu'il dit: 1. Les enfants seront reçus à la psallette sur l'avis des membres de la commission qui examineront le jeune candidat ; 2. Les conditions exigées pour l'admission sont: l'honnêteté des parents, une bonne conduite, des dispositions à la piété et à la musique, de la voix, un âge déterminé [dans certains diocèses, un concours est imposé] ; 3. L'enfant ne sera pas admis avant 8 ans et il devra posséder les petites connaissances que possèdent les enfants du même âge dans les écoles des frères ; 4. Le nombre des enfants admis à la psallette ne dépassera pas 40 ; 5. Tout est gratuit dans l'enseignement, même les fournitures de bureau ; 6. Les études sont divisées en 3 classes : deux pour l'instruction primaire, qui seront faites par les frères, la troisième pour le latin, qui sera faite, ainsi que la classe de musique, par un ecclésiastique ; 7. Il y aura deux classes de musique par jour et d'une heure chacune ; 8. Les enfants arrivent en classe à 8 heures et s'en vont à 11 heures et demie ; ils reviennent à 1 heure et sortent à 6 heures et demie ; 9. L'instruction religieuse et l'enseignement des cérémonies sont confiés à M. le Directeur ; 10. La surveillance à la cathédrale pendant les offices est exercée à l'église et à la sacristie par un frère ; 11. Les avantages que la psallette offre aux parents pour leurs enfants sont : a) Une instruction et une éducation religieusement soignées ; b) la surveillance de l'enfant jusqu'à 6 heures et demie ; c) la facilité d'apprendre les premiers éléments du latin , si la conduite et les talents de l'élève méritent cette récompense. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, les réglements intérieurs sont le plus souvent des recopies de réglements antérieurs ou de diocèses voisins adoptés comme tel ou adaptés aux us locaux. Les recherches réalisées dans les archives des cathédrales révèlent, en tout cas en France, de très grandes difficultés pour recruter des enfants de chœur convenables et cela, malgré un bon traitement.
Les enfants de chœur Des enfants de chœur ont servi les offices dès les premiers siècles après Jésus-Christ comme l'attestent certains registres capitulaires. Ils ont été regroupés en maîtrise ou psallette, bien plus tard. Les enfants de chœur des cathédrales appartenaient quelquefois à de hautes familles, plus généralement à la bourgeoisie (haute et petite) et plus rarement à la classe rurale. Ils portaient le costume des clercs, la tonsure, l'aube, le ceinturon et dans certains diocèses l'amict . Ils remplissaient également des fonctions diverses comme thuriféraires ou acolythes . C'est au cours du XIIIe-XIVe siècles qu'une séparation s'opère entre les clercs "de service" et ceux consacrés au chant. Les maîtrises sont intégrées dans un dispositif liturgique et musical serré dont l'importance est fonction du rang du chapitre. Les plus célèbres, selon Clerval, seraient celles de Paris, de Rouen, d'Amiens et de Chartres. En Espagne, à Tolède, les clercs remplissaient également d'autres fonctions. Certains seises et des autres clerizones dansaient dans l'église tandis que d'autres, travestis, animaient des scènes "théâtrales" religieuses (prophétie de la Sybille lors des matines de Noël, bergers pour la messe de minuit, etc.). A la maîtrise de la cathédrale de Chartres , les enfants de chœur ont reçu des noms qui caractérisent bien la jeunesse des voix : du XIVe à la Révolution, enfants chanoines de N.-D., élèves ou nourrissons de l'église, clercs ou petits clercs ; dans les premières années, pueri chori ou de choro ; de 1316 à 1326 environ, des enfants ou clercs de chœur en aube, pueri ou clerici chori in albis, pueri chorales (1385), enfans de cuer (1415) et enfants d'aube, pueri in albis, jusqu'au dernier tiers du XVe siècle. Dans d'autres endroits, on les nomme petits chantres (choraules à Colmar) ou encore pueri altaris (Rouen). Á Angers, les enfants sont appelés d'abord pueri chori, enfants de chœur, ou bien sertores, serteurs, serviteurs. Fin 17ème siècle et 18ème, on les désigne sous le nom de pueri simphoniaci. Ces noms disent qu'ils ont une fonction de service dans les offices du chœur et que le chant et la musique font particulièrement partie de leur fonction . On a peu de description de la cérémonie des Ténèbres. Dans l'Histoire de la Maîtrise de Rouen, les Abbés Collette et Bourdon décrivent par une anecdote romancée de maîtrisien la première des trois cérémonies qu'il est apparu bon de rappeler . C'est le mercredi saint, on fait l'office des Ténèbres. La pensée du Calvaire oppresse les âmes, il y a dans l'air comme une émotion répandue ; on ne sait pourquoi, on se sent un vague désir de pleurer. Tout à coup… Mais laissons la parole à un ancien enfant de chœur aujourd'hui publiciste. M. Cornély faisait naguère ce tableau charmant dans lequel plus d'un vieil habitué de la Cathédrale de Lyon a cru le reconnaître : Tout à coup on voit se lever d'un des bancs les plus bas un tout petit clerc. Il doit avoir onze ans. Il a le corps grêle, les cheveux châtains, les yeux bleus. Il a les joues roses, d'ordinaire du moins, car pour l'instant ses joues roses sont blanches d'émotion. Avant de sortir du milieu de ses camarades, il a donné un coup de coude à droite en disant : J'ai bien peur. Et un coup de coude à gauche en disant : Surtout ne me fais pas rire. Ça, c'est de la forfanterie, car il n'a pas envie de rire du tout le petit clerc. Il a les tempes, la gorge et l'estomac serrés, et ses mains, croisées sous son camail, sont toutes froides. Il se dirige en chancelant vers la vaste estrade, élevée de trois marches, qui termine le chœur et sur laquelle sont d'ordinaire installés les pupitres de la Maîtrise. Il écoute les dernières notes de la ritournelle de l'orgue et il commence, après avoir toussé doucement pour s'éclairer la voix. C'est un petit son aigrelet, tremblotant, mais bien juste, qui sort de cette frêle poitrine et qui murmure : Incipit lamentatio Jererniæ prophetæ. Sur la dernière syllabe il y a une cadence lente et plaintive dans le mode mineur que l'enfant chanteur a particulièrement travaillée. Il l'exécute d'une manière qui le satisfait lui-même. La voix se raffermit. Ce n'est plus l'oisillon qui bal de l'aile au bord du nid : c'est l'oiseau qui vole. Sorti du petit corps, un lamento, de seconde en seconde plus sonore, grandit, s'élève, plane. Il va frapper les vitraux qui tamisent les restes du jour dans l'abside et à travers lesquels les rayons du soleil mourant viennent diaprer les feuillets du gros livre, qui vibrent dans les doigts du petit clerc. Il monte, il contourne les piliers ; il monte encore, il emplit les voûtes et il redescend sur le chantre minuscule, qu'il excite, qu'il enivre. L'enfant n'est plus à terre. Il lui semble qu'il s'est envolé à travers le temps et l'espace, qu'il est devenu la voix de Jérusalem pleurant son veuvage, sanglotant sur ses gloires détruites et ses fils disparus. Et, sous les nefs immenses, debout depuis six siècles, il s'égosille harmonieusement, comme un rossignol aux yeux crevés pour qui la nature tout entière se résume en son propre chant. Ses camarades et ses maîtres le regardent avec étonnement. Les vieux chanoines ont remonté sur leur nez, pour mieux le voir, les lunettes d'or aux verres bombés... Et là-bas, bien loin, près du bénitier, une brave femme, une mère, pleure délicieusement en buvant de toutes ses oreilles ce pépiement sacré qui est sorti d'elle. C'est fini. Fiévreux, baigné de sueur, après avoir sangloté sa dernière note, l'interprète du prophète Jérémie revient à son banc et regarde ses condisciples, qui lui font signe avec l'œil qu'il a très bien chanté. Les Ténèbres s'achèvent. Les clercs déposent au vestiaire calotte, camail, surplis et soutane, et, tout à l'heure, les cris joyeux de leur récréation succéderont aux lamentations du prophète." Hors de l'église, en effet, il n'y a plus en eux que d'ordinaires écoliers. Le nombre des enfants était généralement fixé à 6, mais il pouvait être plus important dans certains chapitres plus fortunés. Il était de 16 en Angleterre, nombre fixé par le roi Henri VI. Le "Choir" anglais est toujours composé de la même manière : les 16 "Trebles" enfants, 4 altos, 4 ténors et de 4 à 6 basses. Le recrutement s'effectuait à partir de six ans. Le maître de musique, quelquefois le chantre ou un chanoine, écoutait les voix pour les estimer. Cet examen était complété par un autre mais médical cette fois-ci. Suivant les maîtrises, les parents étaient tenus de fournir vêtements et chaussures à l'entrée de l'enfant en maîtrise mais ensuite, la pension, l’habillement, l'entretien, l'instruction et les soins médicaux étaient entièrement gratuits. Ils étaient tous regroupés dans une maison commune, l'escolle des enffans , qui leur assurait le clos, le couvert et les répétitions. L'emploi du temps de l'enfant de chœur était très serré. Levé tôt, vers cinqu heures trente en été et six heures trente en hiver, couché tôt, vers vingt heures trente, il assistait à matines, à la grand-messe et aux vêpres, et, entre ces moments forts de la journée, recevait l'"instruction". Celle-ci consistait à l'étude de l'écriture, il faut se rappeler que les enfants entraient jeunes à la maîtrise, de la langue latine, de la musique, et, pour les plus doués, d'un instrument, clavecin, épinette, orgue, serpent, violoncelle, etc. Aux enfants étaient réservés les leçons et les répons ; les six plus jeunes les chantaient l'un après l'autre et leur voix claire et fine s'élevant dans l'immense vaisseau [de la cathédrale de Reims] contrastait étrangement avec la psalmodie vigoureuse du chœur . Á la maîtrise de Rouen, jusqu'à la moitié du XVe siècle, [les enfants] n'eurent à étudier que l'antiphonaire et le graduel, le plain-chant étant alors seul en usage ; mais ils devaient, ainsi que les chapelains, chanter tout de mémoire, sauf les leçons qu'ils lisaient à l'aigle, où un petit pupitre avait été disposé pour eux, comme on le voit dans le marché passé avec un artiste de Liège chargé de faire un nouveau lutrin en 1394 . Le Chapitre voulut qu'il fût en laiton fin, et pareil à celui de l'église de Paris, "…ains que le bec et le col de l'esgle seront de meilleure contenance et fachon… ; et si ara, dessoubs la queue de l'esgle, un petit létron pour les petits enfants d'autel…". Tous les jours ils récitaient la première leçon de Matines et chantaient le premier répons, sauf à la fête de la Toussaint où on leur réservait le huitième se rapportant aux vierges, qu'ils chantaient en aube, un cierge à la main et la tête couverte de leur amict comme d'un voile. Bien entendu, à toutes ces activités, s'ajoutaient les répétitions pour les offices. Certains s'essayaient à la composition. Ainsi, le 12 décembre 1738, Mathurin Phelippeaux reçut-il la somme de douze livres pour ses premières œuvres . Jamais les compositeurs n'avaient été si nombreux, les enfants de chœur écrivant eux-mêmes des messes et des motets : la composition est aujourd'hui chose commune, et il n'y a si petit chantrillon qui ne fasse maintenant plus que compagnon. Aussi, n'est-il pas surprenant que ces susdits compositeurs soient aujourd'hui justement oubliés. Il fallait avoir une santé "de fer" pour assurer ce rôle d'enfant de chœur. La veuve Guyot, dans son Mémoire contre le Chapitre, insiste avec acrimonie sur ce point : Exposé qu'il a toujours été à avoir la tête rasée treize fois l'année, à être dans l'église la tête nue, hiver et été et, très souvent des journées entières, la plupart du temps debout, à remplir ses devoirs et à chanter, son tempérament et sa santé se sont altérez et altérez à un point à s'en sentir toute sa vie. Les enfants devaient quitter la maîtrise lors de la mue de leur voix. Certains prolongeaient leur enseignement musical afin d'obtenir une place de chanteur ou d'instrumentiste, d'autres leurs études en Faculté afin d'embrasser l'état ecclésiastique, d'autres devenaient des acolytes, d'autres encore étaient placés en apprentissage. La maîtrise est exclusivement consacrée aux cérémonies de la cathédrale ou de la collégiale à laquelle elle est attachée. Quelques chapitres défendaient ce principe, des sanctions à l'encontre de maître de musique, des chantres et des clercs sont requises, mais ils durent admettre quelques exceptions et quelques élargissements à cette règle pour la satisfaction des autres paroisses. Il n'y eut jamais d'autorisation pour des manifestations profanes. L'enfant de chœur recevait mensuellement des amanons . La tenue du maîtrisien est très disparate d'un diocèse à l'autre. Elle est toujours fonction de la richesse locale de ses Seigneurs et Monseigneurs. Ainsi, à Dijon, l'enfant de chœur porte une soutanelle rouge, un surplis et un camail rouge à laquelle est ajouté le vert épiscopal sur le tour de cou, des liserés, des boutons et un entre-deux sur les chaussures à boucles dorées, une ceinture verte et une calotte rouge. A Saint-Nazaire, les enfants portaient nécessairement la soutane rouge - le saiòl pour les plus jeunes aussi doublée, avec un empiècement sur le devant de même couleur et une large bande en guise de ceinture ; un bonnet carré, rouge, complétait l'ensemble. Dans le chœur, l'aube blanche était de rigueur, la ceinture marquée par un cordon, la calotte ecclésiastique sur la tête. Ces aubes étaient de beau tissu pour les offices solennels, mais, par mesure d'économie, on retaillait les aubes courantes, pour les jours de semaine, dans de vieilles nappes hors d'usage. Á Angers, aux 15ème et 16ème siècles, les enfants de chœur ont porté aussi chapes et dalmatiques. De 1407 à 1600, les inventaires nous énumèrent les dalmatiques. Il y a les violettes en satin, les vertes (celles des dimanches ordinaires) qui sont usées et pleines de cire. […] on apprend aussi que [les dalmatiques] blanches, précieuses sont destinées aux fêtes de Notre-Dame - quatre de vieil velours noir sont réservées aux anniversaires. Les chapes avaient l'avantage d'être plus chaudes dans une cathédrale glaciale en hiver : mais dès 1525, le Chapitre commence sans doute à moins les apprécier, il décide de transformer des chapes noires en dalmatiques. On peut aussi rappeler que pour les processions du Sacre, les enfants portaient des couronnes ou des chapeaux de roses . En 1583, le Chapitre décide que les enfants de chœur ne porteront plus de chapes noires, comme il était pour lors d'usage, mais des aubes blanches . Á Rouen, le costume de chœur des [enfants de chœur] se composait d'une tunique ou soutane en drap généralement de couleur violette, d'une aube unie et de peliçons ou camails se terminant en point comme ceux des chanoines. L'hiver ils portaient de longs manteaux noirs à queue. A partir de 1460 ces vêtements furent garnis de fourrures. Comme presque partout, et même jusqu'à la fin, les enfants portaient la grande tonsure avec une simple couronne de cheveux, dont le soin particulier était assuré par un maître chirurgien. Cet usage se perpétua jusqu'au XIXe siècle dans certaines maîtrises. La jeunesse est turbulente. Celle des siècles passés ne déroge pas à la règle. Ainsi l'abbé Prévost signale une punition à un enfant qui avait jeté en plein chœur une absconce à la tête d'un des vicaires présents . Le Chapitre n'hésitait pas à recourir aux châtiments corporels ou à la prison, à la privation des gratifications ou du salaire par l'intermédiaire de commissaires enquêteurs . Á Rouen, un jour [3 et 4 septembre 1466] on dressa contre lui [Jean du Crotay] un long réquisitoire au Chapitre, dans lequel on lui reprochait "de traiter durement ses élèves, de les frapper à coups de pieds et de poings, de ne pas les instruire suffisamment sur la musique et la grammaire, de ne pas mettre à profit le temps qui suivait matines, le plus favorable pour l'étude, de les laisser souvent inoccupés et vagabonds pour s'en aller chanter des messes avec des camarades et (ce qui était plus grave) d'aimer à fréquenter les tavernes et de rentrer tard au logis du grand-chantre où couchaient ses élèves. Toujours à Rouen, l'histoire raconte que Charles Broche, l'organiste de la cathédrale, d'un caractère violent et emporté, menait assez rudement ses élèves. Le petit Boïel , ayant fait un jour une tache d'encre sur un des cahiers de son maître, prit la fuite pour se rendre à Paris. Á l'étranger, Haydn n'avait pas été mieux traité à la maîtrise de Vienne ni chez son cousin Franck, où il reçut, comme il l'a dit lui-même, plus de taloches que de bons morceaux, ni chez le vieux Porpora, auquel il servait de domestique. Grétry fut très durement mené aussi à la collégiale de Saint-Denis de Liège, où il avait été reçu comme enfant de chœur à l'âge de six ans. Il faut dire que ces rigueurs étaient à l'époque d'un usage courant, ceci, bien entendu, sans chercher à justifier l'attitude excessive de certains vieux maîtres. D'un caractère violent et emporté, Nicolas Morel, comme les hommes passionnés, passait facilement d'un excès à un autre, corrigeant ses élèves avec dureté ou leur laissant une trop grande liberté. La maîtrise était logée généralement dans une maison loué ou acheté par la fabrique, à proximité de la cathédrale ou de la collégiale. Le nom de cette maison a pu varier au cours des siècles en fonction de l'évolution de la langue française mais sans influence sur sa fonction. C'est ainsi que l'on peut trouver les noms de domus puerorum, ostel des enfants de cuer (1415), ostel des enfans d'aulbe (1462). La maîtrise communiquait avec la fabrique par l'intermédiaire directe de chanoines, de cloîtriers, du maître de chapelle, du maître de grammaire, d'un commis (commis à l'Œuvre) ou, lorsque l'organisation était assez forte pour la prévoir, par une commission (Commissi ad domum puerorum). La longue histoire des maîtrises ne pourrait se terminer si on ne rappelait pas le problème des enlèvements d'enfants qui, dès le XVe siècle, gangrenait l'organisation des cathédrales. C'est déjà en 1517 que François Ier avait été marqué par la perfection du chant et de la beauté des voix d'un des enfants de chœur de la cathédrale de Rouen (1517) . Mais d'autres cas devraient être cités comme celui de Gabriel Apolis, chantre à la cathédrale de Béziers qui a fait l'objet d'une tentative d'enlèvement à l'âge de 10 ans.
Le chant sur le livre Le chant sur le livre semble être une spécificité française. Elle a revêtu une importance inégalée jusqu'à la Révolution à la fin du XVIIIe siècle. L'abbé Lebeuf, rédacteur ecclésiastique du Mercure de France, explique le procédé en ces termes : "Au moment qu'on commence à faire sonner une note du livre de plain-chant, un musicien qui sait les règles du chant sur le livre, c'est-à-dire qui sait faire des accords, tire du fonds de sa science un, deux, trois ou quatre sons concordants plus ou moins en nombre, suivant la teneur dont les notes du plain-chant sont battues et ainsi en contrepoint jusqu'au bout de la pièce notée en plain-chant. Comme les voix de taille et celles d'au-dessus sont les plus flexibles et les plus maniables, c'est à ces voix qu'on a réservé la pratique de ces accords, et les voix basses chantent seules les notes du livre de plain-chant dont toutes les notes doivent être également mesurées. On y fait abstraction des pauses que les points parsemés dans les discours sembleraient exiger… C'est une manière de débiter le chant qui le rend si uniformément mesuré qu'on peut dire aisément, combien de notes il faut pour remplir l'espace d'un quart d'heure ou d'une demi-heure en comptant celles d'une minute. Cette uniformité du temps pour chaque note du plain-chant qui sert de fondement aux accords, donne un mouvement qui ressemble aux battement réglés et constants que font certains ouvriers, c'est ce qui fait qu'alors on dit que c'est la note qu'on bat, d'où est venu le proverbe qu'un bon basse-contre doit savoir bien battre sa note. On lui donne aussi au chant sur le livre le nom de Fleuretis" . Il ne suscite plus guère d'intérêt chez nos musicologues à cause des témoignages peu flatteurs qui nous sont parvenus. L'abbé René Tiron, fin XVIIIe siècle, ne dit-il pas dans ses Souvenirs que le chant sur le livre est une coutume bien ridicule… Aucun musicien de nos jours [~1843], que je sache, n'a aucune idée de ce que veut dire chant sur le livre. C'était un chant improvisé et simultané que faisait chaque musicien, et dont la basse était le plain-chant que chantaient les basse[s]-contre soutenues par le serpent, d'après la mesure battue par le maître de musique. J'ai appris comme les autres ce chant sur le livre, mais les règles en étaient la plus sotte chose du monde. C'étaient les fausses relations qu'il fallait éviter ; le triton qui devait être préparé par la tierce ; la fausse quinte, qui le devait être par la sixte, et autres anomalies de ce genre. En vertu de ces précédentes règles, il pouvait arriver que, tandis qu'un musicien faisait une sixte majeure sur une note, un autre en fit une mineure en même temps. Les chants simultanés qui résultaient d'un tel état de choses formaient la plus horrible cacophonie que l'on pût imaginer. Et voilà cependant un usage qui subsistait dans toutes les églises de France où il y avait un corps de musique." Choron fait allusion dans son Dictionnaire des Musiciens, lui aussi, à cette sorte de chant ; il en fait un tableau assez caricatural : "On pratique en France dans les cathédrales un contrepoint qui se fait à première vue et qu'on appelle chant sur le livre. Pour en avoir une idée, figurez-vous quinze ou vingt chanteurs de toutes sortes de voix, depuis la basse jusqu'au soprano le plus élevé, criant à tue-tête, chacun selon son caprice, sans règle ni dessein et faisant entendre à la fois sur un plain-chant exécuté par des voix rauques tous les sons du système, tant naturels qu'altérés : vous commencerez à concevoir ce que peut être le contrepoint sur le plaint-chant, appelé en France chant sur le livre…" . Il s'agissait pour les chantres et les enfants de chœur d'appliquer en temps réel, comme on dirait aujourd'hui, les règles du contrepoint rigoureux, enseignement prévu dans les maîtrises, qu'Henry Madin essaya d'imposer à la Chapelle Royale en 1738. Toujours est-il, qu'à la cathédrale d'Angers, le Chapitre essaie par l'encouragement financier d'obtenir de ses chantres une coopération active pour chanter sur le livre : l'opposition des chantres et officiers se manifeste dès le 16ème siècle mais elle s'amplifie nettement au 17ème siècle et surtout au 18ème. Au 17ème, le Chapitre essaie de l'encouragement: il verse par faveur, 20 livres à un corbellier pour son assiduité à chanter la musique à l'aigle . Au début du 18ème siècle, une véritable crise menace, si l'on en juge par les ordres réitérés du Chapitre qui ne se soucie aucunement des réticences ou protestations des chantres. 8 Février 1738, les officiers et psalteurs chanteront sur le livre sous peine de mulete. On les avertit à nouveau d'avoir à chanter le chant sur le livre le 12 avril de la même année. Le 3 Août 1743, pour la troisième fois une monition est adressée aux officiers pour qu'ils aient à chanter sur le livre. Le 19 Août 1743, on affiche dans la sacristie que les officiers seront muletés toutes les fois qu'ils refuseront de chanter le chant sur le livre. Le 23 Décembre de la même année, l'Ami du Secrétaire consigne que des officiers continuent de refuser d'obéir. Cette fois, et nous sommes à la veille de Noël, la situation paraît bloquée, car, de son côté, le Chapitre refuse de verser aux officiers une part de leur traitement. L'évêque, Mgr de Vaugirauld, informé sans doute par son secrétaire, Denis Péan, un ancien maître de grammaire de la psallette, intervient alors personnellement auprès du Chapitre. Les bourses qui avaient été fermées aux officiers pour refus de chanter le chant sur le livre sont ouvertes à la sollicitude de M. de Vaugirauld, évêque, qui promit au Chapitre que les officiers chanteraient le chant sur le livre . La question ne sera pas cependant réglée si simplement. Dès le 8 Février 1744, Benesteau, sous-chantre, est cité au Chapitre pour refus de chanter sur le livre. Le 11 Février, le dit Benesteau se soumet aux ordres du Chapitre. Jusqu'à la veille de la révolution le Chapitre restera vigilant et ne démordra pas de ses exigences. Cette musique improvisée présentait-elle un grand intérêt ? D'aucuns blâment sa rudesse, d'autres louent sa spontanéité. Peut-être la qualité des voix y paraissait-elle davantage : l'improvisation permet, en effet, à un musicien de talent de mettre en valeur la qualité de son chant ou de son instrument et la qualité vocale des psalteurs peut difficilement être mise en doute. Mais ce n'est sûrement pas cette ostentation des chantres qui était souhaitée, elle aurait été en pleine contradiction avec les consignes générales données aux psalteurs et résumées dans le De recta Ratione psallendi de Jacques Eveillon, Le chant de l'église n'entend pas être une sorte de séduction des oreilles en vue d'une vaine délectation... On évitera de faire étalage de son art et de sa voix. C'était peut-être aussi un moyen de camoufler la médiocrité du plain-chant dès cette époque et d'introduire plus de variété dans l'expression de la prière. La pratique du chant sur le livre a-t-elle appliquée pour la lecture des Lamentations de Jérémie ? On n'en a pas trace dans les archives. Tout juste, signale-t-on dans l'ouvrage de Toussaint, l'apprentissage du fleuretis et du faux-bourdon d'après un programme détaillé établi en chapitre le 29 août 1646 à Coutances. Mais il ne semble pas que les leçons des ténèbres aient été visées. Une délibération du chapitre de Bayeux du 14 février 1669 nous apprend comment plain-chant et musique étaient exécutés les jours de fête : "il fut également décidé que, désormais, pour la plus grande gloire de Dieu et de son Église, aux fêtes de seconde classe, les musiciens chanteront les hymnes des Vêpres in cantu modulato qu'on appelle en français fleuries, tandis que le Magnificat sera chanté in bombo vulgairement appelé faux-bourdon.
Le corps de musique Presque toujours, un corps de musiciens (habitués ) accompagne le chœur et les chants. Nous en avons une large connaissance, ne serait-ce que par les cantates de Johann Sebastian Bach, pour ne prendre qu'un exemple bien connu. On en trouve également une application également en Italie, en Espagne et aussi, bien entendu, en France. Le corps de musique comprenait deux types de musiciens, appelés quelquefois habitués ou gagistes : ceux qui étaient attachés en permanence pour soutenir le chœur, c'est le cas par exemple des organistes et des serpentistes (plus rarement d'autres instruments), et ceux qui intervenaient exceptionnellement pour les grandes fêtes (musici forastieri della musica straordinaria à Rome), les processions et les Te Deum. Il ne sera pas fait état des instruments utilisés car on les rencontre un peu tous à des degrés divers et suivant les régions : orgue, orgue portatif (dans le chœur ou au jubé), cornet, sacqueboute, serpent, viole, violon, violoncelle, fagon ou basson, etc., mais aussi cornemuse, ophicléide, clavecin, etc. Ces musiciens, nous les retrouvons assez souvent en chape. C'est ce que révèle Lecerf de Viéville dans un fragment d'une lettre qu'il adresse à Mr l'Abbé *** : il y avoit deux basses de Violon : mais quoi qu'elles servissent assez à la Musique, cela faisoit ce jour-là un effet qui me remit bien-tôt en pensée ce que j'ai tant lû des suites fâcheuses du relâchement. Tous les Musiciens étoient en Chappe, & un d'eux qui joüoit en cét état de la basse de Violon, choquoit plus, ce me semble, par l'indécence de son action, que tous les autres n'édifioient par la bienséance de leur parure. Ils doivent respecter le règlement du chapitre quand bien même leur activité n'est exercée que partiellement au sein de la cathédrale. C'est ainsi que le Chapitre d'Annecy deffend expressement la pratique des Cabarets sans la permission du Président de la Compagnie . Ce même Chapitre sanctionnait plus tard des musiciens qui s'émancipent à faire des actions indécentes en jouant du violon en des bals publics . Il leur demandait également qu'ils menassent une vie exemplaire, exempte de tout dérèglement, sans procès "criminel" avec les voisins, sans disputes et sans querelles graves avec leurs épouses : bref, un musicien de la cathédrale devait vivre en paix avec lui-même et son entourage… Ceux qui contrevenaient à ces règles de bienséance subissaient le châtiment en rapport avec leur faute . Beaucoup d'entre eux s'engagèrent dans les Gardes nationales lorsque leur gagne-pain fut supprimé en 1789. Ainsi, on faisait appel aux musiciens du théâtre ou d'une autre église épiscopale lorsque les circonstances l'exigeaient afin de donner plus d'éclat aux services solennels.