Les enfants de chœur

De Lamentations de Jérémie.

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Version du 20 juillet 2010 à 10:44

Des enfants de chœur ont servi les offices dès les premiers siècles après Jésus-Christ comme l'attestent certains registres capitulaires. Ils ont été regroupés en maîtrise ou psallette, bien plus tard.

Les enfants de chœur des cathédrales appartenaient quelquefois à de hautes familles, plus généralement à la bourgeoisie (haute et petite) et plus rarement à la classe rurale. Ils portaient le costume des clercs, la tonsure, l'aube, le ceinturon et dans certains diocèses l'amict . Ils remplissaient également des fonctions diverses comme thuriféraires ou acolythes . C'est au cours du XIIIe-XIVe siècles qu'une séparation s'opère entre les clercs "de service" et ceux consacrés au chant.

Les maîtrises sont intégrées dans un dispositif liturgique et musical serré dont l'importance est fonction du rang du chapitre. Les plus célèbres, selon Clerval, seraient celles de Paris, de Rouen, d'Amiens et de Chartres.

En Espagne, à Tolède, les clercs remplissaient également d'autres fonctions. Certains seises et des autres clerizones dansaient dans l'église tandis que d'autres, travestis, animaient des scènes "théâtrales" religieuses (prophétie de la Sybille lors des matines de Noël, bergers pour la messe de minuit, etc.).

A la maîtrise de la cathédrale de Chartres , les enfants de chœur ont reçu des noms qui caractérisent bien la jeunesse des voix : du XIVe à la Révolution, enfants chanoines de N.-D., élèves ou nourrissons de l'église, clercs ou petits clercs ; dans les premières années, pueri chori ou de choro ; de 1316 à 1326 environ, des enfants ou clercs de chœur en aube, pueri ou clerici chori in albis, pueri chorales (1385), enfans de cuer (1415) et enfants d'aube, pueri in albis, jusqu'au dernier tiers du XVe siècle. Dans d'autres endroits, on les nomme petits chantres (choraules à Colmar) ou encore pueri altaris (Rouen).

Á Angers, les enfants sont appelés d'abord pueri chori, enfants de chœur, ou bien sertores, serteurs, serviteurs. Fin 17ème siècle et 18ème, on les désigne sous le nom de pueri simphoniaci. Ces noms disent qu'ils ont une fonction de service dans les offices du chœur et que le chant et la musique font particulièrement partie de leur fonction .

On a peu de description de la cérémonie des Ténèbres. Dans l'Histoire de la Maîtrise de Rouen, les Abbés Collette et Bourdon décrivent par une anecdote romancée de maîtrisien la première des trois cérémonies qu'il est apparu bon de rappeler .

C'est le mercredi saint, on fait l'office des Ténèbres.
La pensée du Calvaire oppresse les âmes, il y a dans l'air comme une émotion répandue ; on ne sait pourquoi, on se sent un vague désir de pleurer.
Tout à coup… Mais laissons la parole à un ancien enfant de chœur aujourd'hui publiciste. M. Cornély faisait naguère ce tableau charmant dans lequel plus d'un vieil habitué de la Cathédrale de Lyon a cru le reconnaître : Tout à coup on voit se lever d'un des bancs les plus bas un tout petit clerc. Il doit avoir onze ans. Il a le corps grêle, les cheveux châtains, les yeux bleus. Il a les joues roses, d'ordinaire du moins, car pour l'instant ses joues roses sont blanches d'émotion.
Avant de sortir du milieu de ses camarades, il a donné un coup de coude à droite en disant : J'ai bien peur. Et un coup de coude à gauche en disant : Surtout ne me fais pas rire. Ça, c'est de la forfanterie, car il n'a pas envie de rire du tout le petit clerc. Il a les tempes, la gorge et l'estomac serrés, et ses mains, croisées sous son camail, sont toutes froides.

Il se dirige en chancelant vers la vaste estrade, élevée de trois marches, qui termine le chœur et sur laquelle sont d'ordinaire installés les pupitres de la Maîtrise. Il écoute les dernières notes de la ritournelle de l'orgue et il commence, après avoir toussé doucement pour s'éclairer la voix.

C'est un petit son aigrelet, tremblotant, mais bien juste, qui sort de cette frêle poitrine et qui murmure :
Incipit lamentatio Jererniæ prophetæ.
Sur la dernière syllabe il y a une cadence lente et plaintive dans le mode mineur que l'enfant chanteur a particulièrement travaillée. Il l'exécute d'une manière qui le satisfait lui-même. La voix se raffermit. Ce n'est plus l'oisillon qui bal de l'aile au bord du nid : c'est l'oiseau qui vole.
Sorti du petit corps, un lamento, de seconde en seconde plus sonore, grandit, s'élève, plane. Il va frapper les vitraux qui tamisent les restes du jour dans l'abside et à travers lesquels les rayons du soleil mourant viennent diaprer les feuillets du gros livre, qui vibrent dans les doigts du petit clerc. Il monte, il contourne les piliers ; il monte encore, il emplit les voûtes et il redescend sur le chantre minuscule, qu'il excite, qu'il enivre. L'enfant n'est plus à terre. Il lui semble qu'il s'est envolé à travers le temps et l'espace, qu'il est devenu la voix de Jérusalem pleurant son veuvage, sanglotant sur ses gloires détruites et ses fils disparus.
Et, sous les nefs immenses, debout depuis six siècles, il s'égosille harmonieusement, comme un rossignol aux yeux crevés pour qui la nature tout entière se résume en son propre chant.
Ses camarades et ses maîtres le regardent avec étonnement. Les vieux chanoines ont remonté sur leur nez, pour mieux le voir, les lunettes d'or aux verres bombés...
Et là-bas, bien loin, près du bénitier, une brave femme, une mère, pleure délicieusement en buvant de toutes ses oreilles ce pépiement sacré qui est sorti d'elle.
C'est fini. Fiévreux, baigné de sueur, après avoir sangloté sa dernière note, l'interprète du prophète Jérémie revient à son banc et regarde ses condisciples, qui lui font signe avec l'œil qu'il a très bien chanté.
Les Ténèbres s'achèvent. Les clercs déposent au vestiaire calotte, camail, surplis et soutane, et, tout à l'heure, les cris joyeux de leur récréation succéderont aux lamentations du prophète."
Hors de l'église, en effet, il n'y a plus en eux que d'ordinaires écoliers.

Le nombre des enfants était généralement fixé à 6, mais il pouvait être plus important dans certains chapitres plus fortunés. Il était de 16 en Angleterre, nombre fixé par le roi Henri VI. Le "Choir" anglais est toujours composé de la même manière : les 16 "Trebles" enfants, 4 altos, 4 ténors et de 4 à 6 basses.

Le recrutement s'effectuait à partir de six ans. Le maître de musique, quelquefois le chantre ou un chanoine, écoutait les voix pour les estimer. Cet examen était complété par un autre mais médical cette fois-ci. Suivant les maîtrises, les parents étaient tenus de fournir vêtements et chaussures à l'entrée de l'enfant en maîtrise mais ensuite, la pension, l’habillement, l'entretien, l'instruction et les soins médicaux étaient entièrement gratuits. Ils étaient tous regroupés dans une maison commune, l'escolle des enffans , qui leur assurait le clos, le couvert et les répétitions.

L'emploi du temps de l'enfant de chœur était très serré. Levé tôt, vers cinqu heures trente en été et six heures trente en hiver, couché tôt, vers vingt heures trente, il assistait à matines, à la grand-messe et aux vêpres, et, entre ces moments forts de la journée, recevait l'"instruction". Celle-ci consistait à l'étude de l'écriture, il faut se rappeler que les enfants entraient jeunes à la maîtrise, de la langue latine, de la musique, et, pour les plus doués, d'un instrument, clavecin, épinette, orgue, serpent, violoncelle, etc. Aux enfants étaient réservés les leçons et les répons ; les six plus jeunes les chantaient l'un après l'autre et leur voix claire et fine s'élevant dans l'immense vaisseau [de la cathédrale de Reims] contrastait étrangement avec la psalmodie vigoureuse du chœur .

Á la maîtrise de Rouen, jusqu'à la moitié du XVe siècle, [les enfants] n'eurent à étudier que l'antiphonaire et le graduel, le plain-chant étant alors seul en usage  ; mais ils devaient, ainsi que les chapelains, chanter tout de mémoire, sauf les leçons qu'ils lisaient à l'aigle, où un petit pupitre avait été disposé pour eux, comme on le voit dans le marché passé avec un artiste de Liège chargé de faire un nouveau lutrin en 1394 . Le Chapitre voulut qu'il fût en laiton fin, et pareil à celui de l'église de Paris, "…ains que le bec et le col de l'esgle seront de meilleure contenance et fachon… ; et si ara, dessoubs la queue de l'esgle, un petit létron pour les petits enfants d'autel…". Tous les jours ils récitaient la première leçon de Matines et chantaient le premier répons, sauf à la fête de la Toussaint où on leur réservait le huitième se rapportant aux vierges, qu'ils chantaient en aube, un cierge à la main et la tête couverte de leur amict comme d'un voile.

Bien entendu, à toutes ces activités, s'ajoutaient les répétitions pour les offices. Certains s'essayaient à la composition. Ainsi, le 12 décembre 1738, Mathurin Phelippeaux reçut-il la somme de douze livres pour ses premières œuvres . Jamais les compositeurs n'avaient été si nombreux, les enfants de chœur écrivant eux-mêmes des messes et des motets : la composition est aujourd'hui chose commune, et il n'y a si petit chantrillon qui ne fasse maintenant plus que compagnon. Aussi, n'est-il pas surprenant que ces susdits compositeurs soient aujourd'hui justement oubliés.

Il fallait avoir une santé "de fer" pour assurer ce rôle d'enfant de chœur. La veuve Guyot, dans son Mémoire contre le Chapitre, insiste avec acrimonie sur ce point : Exposé qu'il a toujours été à avoir la tête rasée treize fois l'année, à être dans l'église la tête nue, hiver et été et, très souvent des journées entières, la plupart du temps debout, à remplir ses devoirs et à chanter, son tempérament et sa santé se sont altérez et altérez à un point à s'en sentir toute sa vie.

Les enfants devaient quitter la maîtrise lors de la mue de leur voix. Certains prolongeaient leur enseignement musical afin d'obtenir une place de chanteur ou d'instrumentiste, d'autres leurs études en Faculté afin d'embrasser l'état ecclésiastique, d'autres devenaient des acolytes, d'autres encore étaient placés en apprentissage.

La maîtrise est exclusivement consacrée aux cérémonies de la cathédrale ou de la collégiale à laquelle elle est attachée. Quelques chapitres défendaient ce principe, des sanctions à l'encontre de maître de musique, des chantres et des clercs sont requises, mais ils durent admettre quelques exceptions et quelques élargissements à cette règle pour la satisfaction des autres paroisses. Il n'y eut jamais d'autorisation pour des manifestations profanes. L'enfant de chœur recevait mensuellement des amanons .

La tenue du maîtrisien est très disparate d'un diocèse à l'autre. Elle est toujours fonction de la richesse locale de ses Seigneurs et Monseigneurs. Ainsi, à Dijon, l'enfant de chœur porte une soutanelle rouge, un surplis et un camail rouge à laquelle est ajouté le vert épiscopal sur le tour de cou, des liserés, des boutons et un entre-deux sur les chaussures à boucles dorées, une ceinture verte et une calotte rouge. A Saint-Nazaire, les enfants portaient nécessairement la soutane rouge - le saiòl pour les plus jeunes aussi doublée, avec un empiècement sur le devant de même couleur et une large bande en guise de ceinture ; un bonnet carré, rouge, complétait l'ensemble. Dans le chœur, l'aube blanche était de rigueur, la ceinture marquée par un cordon, la calotte ecclésiastique sur la tête. Ces aubes étaient de beau tissu pour les offices solennels, mais, par mesure d'économie, on retaillait les aubes courantes, pour les jours de semaine, dans de vieilles nappes hors d'usage.

Á Angers, aux 15ème et 16ème siècles, les enfants de chœur ont porté aussi chapes et dalmatiques. De 1407 à 1600, les inventaires nous énumèrent les dalmatiques. Il y a les violettes en satin, les vertes (celles des dimanches ordinaires) qui sont usées et pleines de cire. […] on apprend aussi que [les dalmatiques] blanches, précieuses sont destinées aux fêtes de Notre-Dame - quatre de vieil velours noir sont réservées aux anniversaires. Les chapes avaient l'avantage d'être plus chaudes dans une cathédrale glaciale en hiver : mais dès 1525, le Chapitre commence sans doute à moins les apprécier, il décide de transformer des chapes noires en dalmatiques. On peut aussi rappeler que pour les processions du Sacre, les enfants portaient des couronnes ou des chapeaux de roses .

En 1583, le Chapitre décide que les enfants de chœur ne porteront plus de chapes noires, comme il était pour lors d'usage, mais des aubes blanches .

Á Rouen, le costume de chœur des [enfants de chœur] se composait d'une tunique ou soutane en drap généralement de couleur violette, d'une aube unie et de peliçons ou camails se terminant en point comme ceux des chanoines. L'hiver ils portaient de longs manteaux noirs à queue. A partir de 1460 ces vêtements furent garnis de fourrures.

Comme presque partout, et même jusqu'à la fin, les enfants portaient la grande tonsure avec une simple couronne de cheveux, dont le soin particulier était assuré par un maître chirurgien. Cet usage se perpétua jusqu'au XIXe siècle dans certaines maîtrises.

La jeunesse est turbulente. Celle des siècles passés ne déroge pas à la règle. Ainsi l'abbé Prévost signale une punition à un enfant qui avait jeté en plein chœur une absconce à la tête d'un des vicaires présents . Le Chapitre n'hésitait pas à recourir aux châtiments corporels ou à la prison, à la privation des gratifications ou du salaire par l'intermédiaire de commissaires enquêteurs . Á Rouen, un jour [3 et 4 septembre 1466] on dressa contre lui [Jean du Crotay] un long réquisitoire au Chapitre, dans lequel on lui reprochait "de traiter durement ses élèves, de les frapper à coups de pieds et de poings, de ne pas les instruire suffisamment sur la musique et la grammaire, de ne pas mettre à profit le temps qui suivait matines, le plus favorable pour l'étude, de les laisser souvent inoccupés et vagabonds pour s'en aller chanter des messes avec des camarades et (ce qui était plus grave) d'aimer à fréquenter les tavernes et de rentrer tard au logis du grand-chantre où couchaient ses élèves.

Toujours à Rouen, l'histoire raconte que Charles Broche, l'organiste de la cathédrale, d'un caractère violent et emporté, menait assez rudement ses élèves. Le petit Boïel , ayant fait un jour une tache d'encre sur un des cahiers de son maître, prit la fuite pour se rendre à Paris.

Á l'étranger, Haydn n'avait pas été mieux traité à la maîtrise de Vienne ni chez son cousin Franck, où il reçut, comme il l'a dit lui-même, plus de taloches que de bons morceaux, ni chez le vieux Porpora, auquel il servait de domestique. Grétry fut très durement mené aussi à la collégiale de Saint-Denis de Liège, où il avait été reçu comme enfant de chœur à l'âge de six ans.

Il faut dire que ces rigueurs étaient à l'époque d'un usage courant, ceci, bien entendu, sans chercher à justifier l'attitude excessive de certains vieux maîtres.

D'un caractère violent et emporté, Nicolas Morel, comme les hommes passionnés, passait facilement d'un excès à un autre, corrigeant ses élèves avec dureté ou leur laissant une trop grande liberté.

La maîtrise était logée généralement dans une maison loué ou acheté par la fabrique, à proximité de la cathédrale ou de la collégiale. Le nom de cette maison a pu varier au cours des siècles en fonction de l'évolution de la langue française mais sans influence sur sa fonction. C'est ainsi que l'on peut trouver les noms de domus puerorum, ostel des enfants de cuer (1415), ostel des enfans d'aulbe (1462).

La maîtrise communiquait avec la fabrique par l'intermédiaire directe de chanoines, de cloîtriers, du maître de chapelle, du maître de grammaire, d'un commis (commis à l'Œuvre) ou, lorsque l'organisation était assez forte pour la prévoir, par une commission (Commissi ad domum puerorum).

La longue histoire des maîtrises ne pourrait se terminer si on ne rappelait pas le problème des enlèvements d'enfants qui, dès le XVe siècle, gangrenait l'organisation des cathédrales. C'est déjà en 1517 que François Ier avait été marqué par la perfection du chant et de la beauté des voix d'un des enfants de chœur de la cathédrale de Rouen (1517) . Mais d'autres cas devraient être cités comme celui de Gabriel Apolis, chantre à la cathédrale de Béziers qui a fait l'objet d'une tentative d'enlèvement à l'âge de 10 ans.

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