Et le chant grégorien, dans tout cela

De Lamentations de Jérémie.

Parallèlement à cette tendance déliquescente attachée au XVIIe et XVIIIe siècles, Guillaume Gabriel Nivers#59 défend, à sa façon, dans sa Dissertation, le chant grégorien qui tente de survivre à tant de dépenses harmoniques, [s'adressant à Louis XIV) j'ai sasché d'expliquer les Antiquitez & l'Excellence du Chant Gregorien, qui fut introduit par les Roys Pepin & Charlemagne vos Augustes Predecesseurs dans toutes les Eglises de France…, ou à tant de déviations, le Chant Romain, pour lui, étant comme la source de tous les autres qui en sont emanez, & qui portent le nom de Gregorien.

Il regrette ces déformations dues à la pratique journalière car pour bien chanter le Pleinchant de l'Eglise, il n'y faut rien changer, ajoûter, ou diminuer ; mais simplement chanter ce qui est dans le Livre#60. Il faut donc oublier ces petites notes, les ports de voix, les glissandi, certaines langueurs, tous ces effets qui se font ordinairement par ceux qui veulent fredonner sur le Pleinchant (ce qui est insupportable, particulierement à l'Autel) parce que non seulement ils ne gardent pas la bien-seance & la gravité que requiert le Service divin, mais encore ils détruisent l'essence du Pleinchant, qui doit estre simple & uny#61. Et de citer toute une série de conciles (Milan, Trente, Avignon, Malines, Trulle, Laodicée, Tours) et d'écrits de Saints Pères (S. Valerien, S. Jerosme, S. Isidore, S. Bernard, S. Chrysostome, S. Augustin) de l'Église.

Ainsi, le chant grégorien, perverti dans plusieurs de ses parties, par l'introduction sans authorité dans plusieurs Eglises [de Chants particuliers & differens, n'était] pas comparable à la source parce que les uns sont composez à la maniere profane du theâtre, ce qui repugne à la bienseance Ecclesiastique, les autres à la verité […] plus devots, mais tout syllabiques, & par consequent peu conformes à la gravité du Service divin ; & les autres enfin sont composez dans toute la finesse du Chant, (lesquels pourtant sont tres-rares ;) mais cette grande delicatesse ne vaut pas la devotion & la pieté sensible & interieure qu'inspire & cause dans l'ame cette simplicité agreable & melodieuse du Chant Gregorien.#62

S'il regrette que ce n'a jamais esté que la coûtume des Chantres qui ait authorisé le chant corrompu#63, il affirme qu'il faut se servir des Regles pour corriger tous les Chants irreguliers & corrompus#64. Puis, suit une série d'exemples tous liés à la nature des chants et à leur interprétation, faisant au passage une attaque en règle du chant sur le livre propice à engendrer des défauts de Modes (ecclésiastiques), des licences vicieuses, des mauvais Progrez, des fausses Relations, etc. Ayant procédé à des études sérieuses, tant dans les ouvrages parisiens que provinciaux, il en vient à déterminer, selon lui, les veritables Regles à observer pour le plain-chant. La Dissertation sur le Chant Gregorien poursuit son cheminement par les chapitres suivants illustrés avec de nombreux exemples de chant grégorien :

Ch. IX – Du nombre, des figures, & de l'usage des Caracteres du Pleinchant,
Ch. X – De la quantité de Notes,
Ch. XI – Du commencement de l'Office divin,
Ch. XII – Des antiennes où il est traité à fond des huit Tons de l'Eglise,
Ch. XIII – Des pseaumes où il est traité à fond de leurs terminaisons differentes & specifiques selon les huit tons du Chant Gregorien,
Ch. XIV – Des Capitules, & des Respons,
Ch. XV – Des Hymnes,
Ch. XVI – Des Cantiques,
Ch. XVII – Des autres parties de l'Office divin.

S'agissant des Leçons des Ténèbres, Guillaume Gabriel Nivers précise dans le ch. XIV qu'elles se doivent chanter tout droit, avec une seule inflection de la Tierce mineure à la fin, conformément & selon l'usage universel de toutes les Eglises Cathedrales, Collegiales, & considerables. Toutes ces inflections frequentes à toutes les virgules, de Seconde, de Tierce, & autres, avec la finale des Versets de l'Office des Morts & des Tenebres, n'ont esté introduites que par quelques Religieux-peu versez au Chant.#65

Benoît XIV a fait paraître, en 1749, un document d'importance concernant plus précisément le chant ecclésiastique. C'est l'encyclique Annus qui qui demande aux évêques des États pontificaux de chanter les heures avec dévotion, sans précipitation, en observant les pauses et les alternances ; avec ensemble ; que le chœur soit dirigé par des maîtres capables... On peut certes discuter l'emploi de l'orgue, des instruments, du chant figuré ; mais ce qui est hors de doute, c'est que le chant ne doit jamais rien avoir d'impudique, rien de belliqueux (nouvelle précision) et qu'en tous cas il faut qu'on entende toujours bien les paroles, qui sont le principal.#66


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59. Dissertation sur le chant grégorien, dediée au roy. Par le Sr Nivers, Organiste de la Chapelle du Roy, & Maistre de la Musique de la Reyne, Guillaume Gabriel Nivers, 1683.
60. Nivers, op. cité, p. 51.
61. Nivers, op. p. 52.
62. Nivers, op. p. 146.
63. Nivers, op. p. 62.
64. Nivers, op. p. 62.
65. Nivers, op. p. 135.
66. Dictionnaire de Droit canonique, op. cité.

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